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Reportage
"Tout le savoir-faire que l'on a va s'évaporer" : à Romans-sur-Isère, le fleuron de la chaussure de luxe, Clergerie, placé en liquidation judiciaire
Il y a trois semaines, les 60 salariés de Clergerie à Romans-sur-Isère ont perdu leur emploi.
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C'était un des derniers fleurons de la chaussure de luxe. À Romans-sur-Isère, capitale historique de cette industrie, Clergerie vient de fermer ces portes. La liquidation judiciaire a été prononcée début avril. Il ne reste, dans le centre-ville, que des statues de chaussures : des escarpins de deux mètres de haut, devant la mairie, l'office de tourisme. Mais dans les rues à côté, toutes les usines de fabrication sont fermées.
Devant celle de Clergerie, les grilles prennent déjà la poussière. Les 60 salariés ont perdu leur emploi, il y a trois semaines : "L'histoire s'arrête de but en blanc... Sensation d'inachevé, de gaspillage. On est un peu écœurés. C'était quand même la dernière entreprise de chaussures de luxe de Romans, donc du made in France qui disparaît. Tout le savoir-faire que l'on a va s'évaporer."
"La qualité a tellement baissé que les clientes sont parties"
Avant, ils fabriquaient ici jusqu'à 130 000 paires par an. Des chaussures vues aux pieds de Madonna, de Marion Cottillard, de Michelle Obama... Mais, il y a 15 ans, le patron, Robert Clergerie, prend sa retraite : "Petit à petit, ça s'est cassé la figure." L'entreprise passe de mains en mains, jusque dans celles d'un Américain, Joe Ouaknine. Il continue à vendre les paires plus de 500 euros mais décide de faire venir les matériaux de Chine : "Ça sentait la colle, le plastique mais ça ne sentait plus le cuir. Les clientes n'étaient pas contentes non plus. Elles nous faisaient savoir que ce n'était pas du Robert Clergerie comme elles avaient connu. C'était un produit niche, des clientes fidèles, de grand-mère en petite-fille. La qualité a tellement baissé qu'elles sont parties." Les dernières années, disent les salariés, ont été une longue descente aux enfers.
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Le créateur de la marque a suivi cette fin de près. Pour lui, elle est symptomatique de ce qu'il se passe aujourd'hui sur le marché de la chaussure française. Robert Clergerie a 91 ans, et la larme à l'œil quand il évoque la chute de sa marque de chaussures : "Je m'y attendais mais le jour où on me l'a annoncé, ça m'a beaucoup ému. J'en arrive à penser que la chaussure telle qu'on l'a pensée, c'est fini."
Il se revoit en 1981, lancer sa première collection à Romans-sur-Isère. À l’époque, l'industrie locale compte 2 000 salariés et trois créateurs font la réputation de la ville : Charles Jourdan, Stéphane Kélian et lui, Robert Clergerie. "Après le départ des hommes, ça a été foutu, analyse-t-il. Dans les trois cas, il y a eu des groupes financiers. Ils t'envoient un cadre pour diriger. Il n'y a pas l'attachement pour l'entreprise, pour le produit, pour les gens. De toute façon, quand il y a une marque qui démarre, c'est comme une fusée, il faut réalimenter la fusée sinon elle retombe. Et puis la mode change, les habitudes des clientes aussi, au grand dam de Robert Clergerie.
"Pour moi, il y a un changement terrible c'est que les femmes ne portent plus de chaussures. Elles vont au bureau avec des sneakers !"
Robert Clergerieà franceinfo
Dans la rue, Audrey confirme : "Je cherche du confort. Au travail, je suis constamment en baskets". La tendance est la même chez les hommes. À elles seules, les sneakers représentent la moitié des paires de chaussures vendues en France l'an dernier. Presque toutes sont produites à l'étranger.
Il reste encore une centaine de fabricants de chaussures de luxe en France. Des petits ateliers, en majorité, et quelques grandes entreprises. Weston, à Limoges, produit 60 000 paires de chaussures par an, Paraboot, près de Grenoble, plus du double. Dans cette usine, à une heure en voiture de Romans-sur-Isère, 100 salariés découpent, piquent et assemblent les chaussures, vendues ensuite entre 230 et 500 euros la paire.
"Il n'y a plus de formations dans nos métiers"
"On a, depuis deux trois ans, une augmentation et une demande assez conséquente. On a du mal à fournir toute la demande que l'on a" avec de plus en plus de clients étrangers, séduits par l'étiquette made in France, avoue Pierre Colin, directeur marketing chez Paraboot. "Les chaussures Paraboot se vendent dans le monde entier. Que ce soit au Japon, en Corée, en Italie, en Angleterre, aux États-Unis, il y a quand même de plus en plus de gens qui aspirent à avoir des produits qui durent."
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Le problème là, n'est donc pas le manque de commandes mais le manque de main-d’œuvre française : "Il n'y a plus de formations dans nos métiers de fabrication. On forme les gens directement sur la chaîne. Ce qui n'est pas évident, c'est de trouver des gens". Et de faire le poids face à la production étrangère : "C'est sûr qu'il y a une concurrence très forte dans le monde entier avec des coûts de production moindres. La fabrication française, en termes de chaussures, n'est pas forcément dans ses meilleures périodes. C'est un peu angoissant", convient Pierre Colin.
"Le made in France est quelque chose qu'il faut défendre, aider, plébisciter."
Pierre Colinà franceinfo
Pierre Colin demande, par exemple, aux pouvoirs publics, de simplifier les normes administratives ou d'aider à l'ouverture de nouveaux marchés. Sans cela, la production, dit-il, ne fera que diminuer. En 15 ans, le nombre de chaussures fabriquées en France a déjà été divisé par deux, passant de 31 millions en 2009 à 14 millions en 2023 selon la fédération française de la chaussure.
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