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Reportage
"Un vote de désespoir" : en Indre-et-Loire, comment la Coordination rurale a détrôné la FNSEA sur fond de défiance et de contexte climatique difficile
Lors des élections des chambres d'agriculture, la Coordination rurale a remporté une majorité de voix dans 14 départements, dont l'Indre-et-Loire. Une percée historique due, notamment, au rejet du modèle de la FNSEA et à un contexte climatique particulièrement éprouvant en 2024.
C'était une élection historique pour le monde agricole. Le 6 février dernier, jours des premiers résultats, la Coordination rurale (CR), classée très à droite, a fait reculer comme jamais la FNSEA. Aux élections pour les chambres d'agriculture, la CR a remporté 14 départements, dont 11 nouveaux. Parmi ceux qui ont basculé, il y a l’Indre-et-Loire.
Dans sa cour de ferme, au milieu des oies et des poules, cette agricultrice trouve que le résultat est une bonne chose pour son département. "Le changement, parfois ça fait du bien." Isabelle n’est pourtant pas adhérente à la Coordination rurale, mais elle ne se retrouve plus dans la politique de la FNSEA qui a toujours dirigé la chambre d'agriculture d’Indre-et-Loire. Pour l'éleveuse, produire toujours plus ne sert à rien. "Quelqu'un qui fait du blé aujourd'hui a vendu sa récolte de blé avant de l'avoir semée", constate-t-elle.
"Il faut remercier les électeurs"
Des mots qui donnent le sourire au président départemental de la Coordination rurale. Après avoir effectué plusieurs mandats dans l'opposition, il se réjouit de passer majoritaire. "C'est une bataille qu'on mène quand même depuis un certain temps, il faut remercier les électeurs", déclare Didier Tranchant.
Il explique son succès par le rejet du modèle défendu par la FNSEA, syndicat dominant ici, comme quasiment partout en France depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire la constitution de filières organisées autour d’une matière première produite par les agriculteurs. Didier Tranchant estime qu'il faut reprendre le contrôle : "Au lieu de travailler pour les filières, il faut qu'on travaille pour nous et qu'on arrive à gagner notre vie, estime-t-il. On a vu tous nos groupes coopératifs énormément grossir depuis une trentaine d'années."
"On voit aussi tous les groupes privés pas mal se gaver. À partir de là, on sait qu'il n'y a pas le retour financier aux agriculteurs, qui crèvent de faim."
Didier Tranchant, président départemental de la Coordination ruraleà franceinfo
Et la conséquence, selon lui, c'est la baisse du nombre d'agriculteurs : 100 000 en moins en dix ans en France, selon l’Insee. On le perçoit ici à l'occasion de ces élections professionnelles. Il y a six ans, dans l’Indre-et-Loire, il y avait plus de 4 000 agriculteurs inscrits sur les listes. Il y en a eu 500 de moins cette année.
Nouvel élu lui aussi de la Coordination rurale, Bruno Bois veut donner aux jeunes l'envie de se lancer. "C'est tout simple : [il faut] plus de transformation, plus de vente directe, plus de vente locale, plaide-t-il. Il y a sans doute plein de personnes qui ont la capacité de remettre en place des productions qui seront consommées sur place et qui ne feront pas faire quatre fois le tour de la planète pour ne créer aucune valeur ajoutée dans notre département. Je pense qu'il y a énormément à faire là-dessus." L'installation est une des prérogatives de la chambre d'agriculture et il compte bien le dire lors de la première réunion de la chambre, le 6 mars, date à laquelle le nouveau président sera élu.
Deux suicides d'agriculteurs dans le département
Un autre argument explique la victoire de la Coordination rurale : le contexte climatique. L'année 2024 a été très difficile pour l'agriculture en général avec beaucoup de pluie, la pire de ce point de vue depuis 25 ans en Indre-et-Loire. Alors que les années d'avant, c'était au contraire trop sec. Bruno Bois veut revoir les règles sur l'eau et le captage pour l'irrigation, lui qui est éleveur et céréalier dans le sud du département. "La possibilité d'utiliser de l'eau pour nos cultures l'été, c'est une assurance pour produire des fourrages pour nos animaux, explique-t-il. Il y a un combat à mener là-dessus, je pense qu'il va falloir vraiment reprendre la main." Avec en tête aussi le débat sur les retenues d'eau à usage agricole, que les opposants appelent aussi mégabassines.
De son côté, la FNSEA est passée de plus de 50% des voix il y a six ans à 38% cette année. "C'est clairement, on ne va pas se le cacher, un vote de sanction", lance Nicolas Sterlin, maraîcher en Indre-et-Loire. Il reste élu FNSEA à la chambre d'Indre-et-Loire mais se retrouvera dans l'opposition. "C'est un vote de désespoir", poursuit-il.
"Ce sont des exploitants qui ont le couteau sous la gorge, qui ne savent pas s'ils vont pouvoir faire une autre saison. Ce sont des jeunes qui ont un plafond de verre, un mur devant eux."
Nicolas Sterlin, élu FNSEA et maraîcher en Indre-et-Loireà franceinfo
Autre indicateur depuis le début de l’année dans l'Indre-et-Loire : deux agriculteurs se sont suicidés, et la cellule Réagir d’Indre-et-Loire dédiée aux agriculteurs en difficulté a ouvert 150 dossiers l’an dernier. C'était 50 en 2023.
L'alliance FNSEA-Jeunes agriculteurs a donc perdu 11 départements, ce qui est inédit dans son histoire. C'est un recul historique depuis la Seconde Guerre mondiale. Jamais autant de départements ont été dirigés par un autre syndicat agricole, 14 donc pour la Coordination rurale, quatre pour la confédération paysanne, trois pour des listes autonomes, et un pour le Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux), en Guadeloupe. Mais l'alliance FNSEA-Jeune agriculteurs reste majoritaire dans 80 départements, souligne François Purseigle, professeur en sociologie à l'Agro Toulouse et chercheur associé à Science Po Paris. "Son hégémonie est malmenée, mais il ne faut pas oublier que le pouvoir de la FNSEA ne se situe pas uniquement dans les chambres d'agriculture, il se situe aussi dans l'appareil coopératif", avance-t-il.
Il précise aussi que le taux de participation a cessé de baisser. Il est stable par rapport à il y a six ans, autour de 45% chez les agriculteurs. Plus d'un sur deux n'a pas participé au scrutin.
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