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Reportage
Chlordécone aux Antilles : plus de 30 ans après le scandale, seules 154 victimes indemnisées
Jusque dans les années 1990, l’usage du pesticide était répandu dans les bananeraies antillaises alors qu’il était interdit depuis 1975 aux États-Unis. Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique sont contaminés, selon Santé publique France. Les populations présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
En Guadeloupe, des ouvriers agricoles ont demandé réparation après des décennies d'empoisonnement dans les champs de bananes. Dans le sud-ouest de la Guadeloupe, dans la commune de Capesterre-Belle-Eau, le berceau historique de la production de la banane sur l’île, Elin Jaffard, 58 ans, a fait pousser la banane dans la plantation de Blondinière de 1988 à 2018. Et régulièrement, pour exterminer les charançons notamment, lui et ses camarades répandaient à mains nues et sans aucune protection les pesticides dont le curlone-chlordécone.
"C’était sous forme de poudre et de grains, comme le café moulu, se souvient-il. J’ai utilisé le Round up, le Fusillade, le Régent…, énumère Elin, tous les plus dangereux. On commençait le matin, on finissait vers midi. on n’était pas informés. On ne savait pas".
Elin se souvient aussi du petit Cessna, l’avion qui, dans le ciel, prenait le relais des ouvriers en arrosant les champs au chlordécone tandis que lui et ses camarades cassaient la croûte sur la parcelle d’à côté en respirant, se souvient Elin, les pesticides à plein nez. "Ça m’est arrivé trois fois de tomber à cause de ces produits. On ne pouvait pas supporter l’odeur donc on commençait à vomir", poursuit Elin.
"Notre santé s’est dégradée au fil des années. J’ai failli y passer. On nous a sacrifiés".
Eli Jaffardà franceinfo
Taux record mondial de cancer de la prostate
Elin a littéralement vu sa famille décimée. Trois de ses frères travaillaient dans la plantation. Il y a 15 ans, le premier est mort d’un cancer de l’estomac, le second d’un cancer du pancréas, le dernier a, comme lui, développé une tumeur de la prostate. Elin en a subi l’ablation en 2019, une longue cicatrice sur le ventre en témoigne. L’homme est physiquement cassé, il ne voit presque plus. Il vient de toucher, en octobre ses premières indemnités, deux ans après la reconnaissance de sa maladie : autour de 1 500 euros par trimestre. Il avait déposé son dossier début 2022.
Depuis 2020 en effet, les anciens ouvriers de la banane malades ont le droit d’être indemnisés, sous conditions. Mais ils sont peu nombreux à entreprendre les démarches auprès du Fonds des victimes de pesticides. En quatre ans, seuls 200 dossiers ont été reçus, a communiqué à franceinfo la direction générale de la santé. 84 en Guadeloupe, 114 en Martinique. Une goutte d’eau rapportée au nombre potentiel de malades dans cette région qui détient le taux record mondial de cancer de la prostate. Aujourd’hui, 154 ouvriers ont vu leurs dossiers validés. Chaque trimestre, ils touchent en moyenne 2 616 euros. Mais certains attendent toujours l’argent.
Fuites urinaires, troubles de l’érection...
Plus de deux ans après avoir fait reconnaître son cancer de la prostate comme une maladie professionnelle, Tiburce Cléon, vient de reçevoir son premières indemnités. Il a travaillé dans la plantation Maleneck dès l'âge de 16 ans. Il en a 69 aujourd’hui. Vivre sans prostate, c’est vivre avec des fuites urinaires, des troubles de l’érection. "Beaucoup d’ouvriers ont honte, explique Tiburce en créole. C’est difficile de se faire indemniser. Ça prend du temps, il y a plein de papiers. Tu dois te soigner. En même temps, les médecins hésitent à reconnaître la maladie. Si tu n’es pas aidé, tu te décourages. J’ai des cousins, des collègues dans cette histoire qui ont déjà été opérés mais ils ne font pas la démarche. Ils ont honte".
En Guadeloupe, la CGT informe et aide les ouvriers à monter leurs dossiers. Pour eux, les pouvoirs publics ne font pas assez pour faire connaître et indemniser. Ils se reposent exclusivement sur des associations comme Phyto-victimes qui vient d’ouvrir une antenne en Guadeloupe. Mais l’association ne peut pas tout, explique Claire Bourasseau, l’une des responsables. "Aujourd’hui, la loi ne permet pas de réparation autre que pour les travailleurs qui ont été exposés aux pesticides et les enfants qui ont été exposés in-utero via une exposition professionnelle de leurs parents. Aujourd’hui les indemnisations pour les maladies professionnelles de manière globale sont totalement insuffisantes. On le dénonce depuis des années. À aucun moment on a dit qu’on était là pour réparer le scandale du chlordécone. Je fais avec les moyens qu’on me donne et avec les moyens que j’ai mais je ne peux pas faire de miracle".
Au début de l’année, l’État a reconnu sa responsabilité dans ce scandale sanitaire via une loi qui, après l’Assemblée, attend d’être votée par le Sénat. Dans la ligne de mire de ce texte, l’indemnisation de tous les Antillais directement victimes du chlordécone, via la pollution des sols, de l’eau, des aliments... Selon les études, plus de neuf Antillais sur 10 sont porteurs du pesticide.
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