Amélie Nothomb raconte l'enfance terrible de sa mère : "Elle a terminé une lignée de haine et l'a transformée en amour"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 5 septembre 2025, la romancière belge Amélie Nothomb. Son dernier livre, "Tant mieux", est sorti le 20 août dernier aux éditions Albin Michel.
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La plume d'Amélie Nothomb a d'ores et déjà séduit des milliers de lecteurs depuis ses débuts en 1992. Ses 33 romans ont été des succès, même si un reste malgré tout davantage dans nos bibliothèques, Stupeur et tremblements. En 2015, elle a également été élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique. En 33 romans, elle a grandi à nos côtés autant que nous avons grandi à ses côtés. Elle nous avait raconté sa sœur et son père. Aujourd'hui, elle nous raconte sa mère avec Tant mieux, publié le 20 août 2025, aux éditions Albin Michel. L'histoire de la transmission au sein d'une famille où les enfants sont plus adultes plus responsables que les parents. Au cœur de l'histoire, il y a la petite Adrienne, fille d'Astrid et de Donatien et petite sœur de Jacqueline. Le couple maintient le lien, même s'il bat de l'aile avec des histoires d'amour parallèles, des mensonges, et même une violence conjugale. Deux grands-mères, diamétralement opposées sont au cœur de cette histoire et pour survivre à tout ça, Adrienne apprend à affronter l'inacceptable en s'offrant le terme tant mieux.
franceinfo : D'avoir des mantras permet-il de rester debout ?
Amélie Nothomb : Oui, quand on assimile complètement le mantra, je pense que ça permet de rester debout. Ma mère, puisqu’Adrienne n'est autre que ma mère, toute seule à l'âge de 4 ans, livrée à son abominable grand-mère maternelle, cherchait une formule magique et la trouve dans le terme tant mieux. Tant mieux, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire puisque tout va mal, tout va bien puisque je veux m'en sortir, donc ça va bien se passer, c'est l'optimisme paradoxal. Ma mère avait tellement assimilé le tant mieux que les gens qui la connaissaient bien l'appelaient Madame Tant mieux.
Ce tant mieux, il affronte aussi la duplicité d'un individu. Effectivement, votre mère se dissociait et c'est ce qui l'a sauvée.
C'est l'attitude naturelle d'un enfant qui assiste à des choses inhumaines.
"La mère de ma mère était serial killer de chat. Ma mère, à l'âge de 8 ans, a vu sa mère en train de tuer des chats avec cruauté."
Amélie Nothombà franceinfo
Pour un enfant, c'est un choc abominable de voir une chose pareille et c'est là que ma mère, à son insu d'ailleurs, parce qu'elle n'a jamais su qu'elle réagissait comme ça, s'est dissociée. Quand j'ai connu ma mère, elle avait cette tendance à la dissociation, mais je ne le savais pas. J'observais que ma mère, une fois de temps en temps, basculait de l'autre côté. J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qui lui était arrivé, que c'était une mesure de protection, qu'elle avait adoptée à son insu pour résister à des spectacles insoutenables pendant son enfance.
Il y a aussi des phrases chocs, parfois assassines. "Profite bien de ta jeunesse, elle ne dure pas et après, on ne sait pas ce qu'on devient."
Ça, c'était une des phrases de ma grand-mère qui était très méchante, il faut bien le dire. Elle avait été une jeune femme d'une beauté, mais absolument insoutenable et puis elle avait perdu sa beauté, tardivement d'ailleurs. Mais elle l'avait quand même perdue à force sans doute de méchanceté. Son horrible âme avait fini par s'inscrire sur son visage. Elle ne supportait pas de voir des jeunes femmes plus fraîches, des jeunes femmes agréables à regarder et à tous les coups, elle leur disait des choses comme "Profite bien de ta jeunesse parce que ça ne durera pas". Elle était vraiment très méchante.
C'est dur d'avoir conscience qu'on descend de cet arbre généalogique là ?
Non, parce qu'il y a eu ma mère. Elle était dans une lignée de femmes haineuses, son arrière-grand-mère, haineuse, sa grand-mère, haineuse, sa mère, haineuse. Elles se transmettaient cette haine et surtout cette haine féminine. Ma mère n'a pas hérité de cette haine, elle l'a transformée en amour. Elle aimait sa mère, pourtant, elle voyait que sa mère était une femme, très discutable. Elle avait décidé qu'elle aimerait et qu'elle protégerait sa mère jusqu'au bout. Tout ça sans avoir le sentiment de faire quelque chose d'exceptionnel, donc on peut dire que vraiment, ma mère a terminé une lignée de haine et la transformée en amour. Finalement, je suis très heureuse de descendre de cette famille-là.
On sent que vous avez appris à cultiver votre jardin, qu'à chaque roman, vous déposez un bagage.
C'est tellement vrai ce que vous dites, mais croyez-moi, j'en ai encore beaucoup, raison pour laquelle je vais certainement écrire encore beaucoup.
En attendant, on sent que vous êtes à cœur ouvert, avec pudeur, mais sans vous cacher et c'est un gage de confiance avec vos lecteurs.
Vous savez, cette très belle histoire d'amour que je vis avec tant de lecteurs dure depuis 33 ans. Cela me fait déborder de gratitude, mais évidemment, ça implique une réciprocité, ça suppose aussi que je ne mente pas.
"Ma mère est morte il y a un an et demi, j'ai passé une année à être incapable de le dire et ce n'était pas parce que je voulais mentir, c'est parce que les mots ne sortaient pas de ma bouche."
Amélie Nothombà franceinfo
Donc je présente mes excuses à tous ces gens à qui il m'est arrivé de mentir parce que des lecteurs me disaient, "Comment va votre mère ?" Et je répondais, "Très bien" et ce n'était pas par plaisir de mentir, c'était parce que je n'y arrivais pas. J'ai écrit ce livre pour bien des raisons, mais aussi parce que je voulais enfin être capable de dire aux gens, ma mère est morte et maintenant, je suis orpheline.
C'est très touchant parce que vous dites que vous avez réussi à la séduire, cette maman. Est-ce que c'était un but ?
Oh oui, quand j'étais petite, moi, mon grand but, c'était de séduire ma mère. À 42 ans, j'ai enfin réussi à la séduire, j'ai pris beaucoup d'années, mais ça a fini par marcher.
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