"Ce livre est politique" : Rudy Ricciotti prône l'insoumission de l'architecture dans un nouvel ouvrage

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 13 mai 2025 : l'architecte Rudy Ricciotti. Il publie "Insoumission, pour la survie de l'architecture", aux éditions Albin Michel.

Article rédigé par Elodie Suigo, Étienne Presumey
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
L'architecte Rudy Ricciotti, à Valence, le 26 janvier 2021. (JEAN-CHRISTOPHE RAMPAL / FRANCE-BLEU DRÔME-ARDÈCHE / MAXPPP)
L'architecte Rudy Ricciotti, à Valence, le 26 janvier 2021. (JEAN-CHRISTOPHE RAMPAL / FRANCE-BLEU DRÔME-ARDÈCHE / MAXPPP)

Rudy Ricciotti est architecte, lauréat du Grand Prix national de l'architecture, Grand Prix spécial du Jury de L'Équerre d'argent en 2016. Il est l'architecte du Mucem à Marseille, du Pavillon noir à Aix-en-Provence, de la Passerelle de la Paix à Séoul ou encore du Palais du cinéma à Venise.

Le 3 avril 2025, il a publié le livre Insoumission, pour la survie de l'architecture, chez Albin Michel, un énorme coup de gueule sur l'architecture d'aujourd'hui, ses incompréhensions, ses stupidités et aberrations. Dix ans après son pamphlet, devenu un best-seller, L'architecture est un sport de combat, il remonte sur le ring pour défendre la créativité, le bon sens, la transmission, pour privilégier les circuits courts et les territoires et l'environnement.

franceinfo : Qu'est-ce que l'insoumission ?

Rudy Ricciotti : Le refus du renoncement au combat, aux ensembles des combats nécessaires pour que l'on puisse encore créer, développer, rendre service, être utile à son pays, à sa nation. Mes obsessions sont de produire une technologie dont les retombées du savoir restent territorialisées, éviter l'importation, faire avec ce qui est à disposition et surtout déblayer les décombres que l'on a sur notre territoire. Ce livre n'est pas qu'un livre d'architecture, c'est un livre politique qui a pour objet de défendre des valeurs, des valeurs républicaines, des valeurs laïques, des valeurs émotionnelles, d'être dans le combat et c'est un livre dans lequel tout le monde peut se reconnaître.

Ce que vous contestez, ce ne sont pas les normes, mais les solutions de facilité. C'est notre incapacité à aller chercher des solutions plus difficiles, mais qui maintiennent cette créativité.

Aujourd'hui, le champ normatif n'amène que comme posture de combat celle de la soumission, c'est-à-dire consommer dans les règles de la consommation. Nos métiers, à nous, architectes, ingénieurs, entrepreneurs du bâtiment et tous les artisans qui nous accompagnent, c'est de créer, de fabriquer et de faire in situ. Encore faut-il les aimer, ces partenaires de l'économie du bâtiment. C'est quand même un paquet de millions d'emplois. 

"Ce livre a pour objet de défendre ceux qui fabriquent de la richesse, paient des impôts en France, payent de la TVA en France, payent des charges sociales en France."

Rudy Ricciotti

à franceinfo

Vous pensez que c'est réac ? Non, c'est sensible, c'est juste, aimer encore suffisamment son pays pour en défendre les champs d'action possibles.

Vous avez beaucoup de respect pour les ingénieurs. Vous citez régulièrement Freyssinet, c'est un dieu pour vous. Vous soulignez effectivement que sans ces ingénieurs, sans les artisans, sans les ouvriers qui sont présents sur le chantier, vous n'y seriez jamais arrivé.

Non seulement, je n'y serais jamais arrivé, mais je peux vous dire que ce sont les grandes écoles françaises qui fabriquent nos meilleurs ingénieurs. Ce sont aussi nos modes de faire qui fabriquent nos supers artisans, ces gens-là sont indispensables. Étant moi-même un fils d'ancien maçon qui a fini patron d'entreprise, je connais la valeur des métiers. Je dois tout aux maçons, aux charpentiers, aux couvreurs, comme je dois beaucoup aux ingénieurs.

Votre famille a fui l'Algérie, ce sont des émigrés italiens, ils vous ont transmis justement le respect de l'endroit où vous vous trouviez ?

Ce que m'ont transmis mon père et mes grands-parents, c'est de fermer ma gueule, de baisser les yeux, de travailler, d'avoir cette conscience du labeur, rien que du labeur, et être dans le silence. Alors aujourd'hui, vous allez dire que je suis une grande gueule, je ne suis pas dans le silence quand même, mais je reste neuro-programmé par ça.

Est-ce que chaque œuvre que vous avez réalisée, chaque site, chaque bâtiment correspond à une histoire d'amour qui perdure dans le temps ?

Lorsque je termine une œuvre, je ne vais plus la voir. Je ne suis pas obsessionnel, ça ne m'appartient plus, la vie s'en empare. Avec un peu de pudeur, on est obligé de romantiser des situations. 

"Je ne suis pas un rationaliste, je suis un romantique, mais dans le sens le plus catastrophique du terme."

Rudy Ricciotti

à franceinfo

C'est catastrophique d'être romantique quand même.

L'architecture est donc une obligation morale ?

Déjà, c'est une loi qui dit que l'architecture est d'intérêt public. L'architecture est nécessaire et un pays qui abandonne l'architecture est un pays foutu. Il y a des exemples de pays étrangers où l'architecture n'a plus sa place et on voit la détérioration du tissu urbain, la détérioration de l'image des cités et les conséquences. L'exil de la beauté appelle un tarif très cher à payer, c'est pour ça que nous avons besoin des architectes et des savoir-faire de toutes les entreprises.

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