"Cette manière de tisser des liens entre les époques me guide ", confie l'architecte Philippe Prost

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 11 février 2025 : l'architecte et urbaniste Philippe Prost. Une exposition lui est actuellement consacrée à la Cité de l'architecture et du patrimoine ainsi qu'un livre aux éditions Norma : "Philippe Prost. La mémoire vive".

Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'architecte et urbaniste Philippe Prost, le 17 octobre 2024 à Paris. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)
L'architecte et urbaniste Philippe Prost, le 17 octobre 2024 à Paris. (QUENTIN DE GROEVE / HANS LUCAS / AFP)

Philippe Prost rêvait enfant d'être musicien, mais pour ses parents, ce n'était pas un métier ni une bonne source de revenus, en tout cas suffisante pour vivre. C'est donc son professeur de piano qui lui a conseillé de s'inscrire en architecture. C'est en entrant à l'école de Chaillot qu'il a succombé à l'architecture militaire. Sa vie a définitivement basculé en 1989 avec cette rencontre incroyable avec André Larquetoux. Ce vieil homme lui a confié un chantier titanesque avec la transformation de la citadelle Vauban à Belle-Île-en-Mer. Il a reçu le Grand Prix national de l'architecture 2022 et une exposition lui est actuellement consacrée à la Cité de l'architecture et du patrimoine. Un livre d'ailleurs, en a découlé, sorti chez Norma Éditions, le titre de cette rétrospective et de ce livre est Philippe Prost, architecte, la mémoire vive.

franceinfo : Avoir bonne mémoire est donc votre adage ?

Philippe Prost : Pour moi, la mémoire occupe une place centrale dans la création et on s'en rend compte plus on avance dans sa vie et dans sa vie d'architecte. Y compris quand on est enfant en culottes courtes. Circuler dans un bâtiment, avoir des ressentis, des émotions, en fait, notre mémoire emmagasine tout ça. Quand on en est pleinement conscient, eh bien on approche l'architecture autrement parce qu'on approche l'architecture comme une histoire du temps long qui nous dépasse et de situations dans lesquelles on va être amené à intervenir, mais après d'autres et avant d'autres, on n'est pas tout seul. La table rase et la feuille blanche, ça n'existe pas ou ça n'existe plus. En tout cas, la table rase, ça ne devrait plus exister.

"Dans l'architecture, il n'y a pas de feuille blanche et une fois qu'on a compris ça, on a toujours des idées qui viennent à l'esprit, avec lesquelles on va tricoter quelque chose." 

Philippe Prost

à franceinfo

On ne sait pas très bien pourquoi, mais finalement le cerveau agit et il ordonnance les choses. Et le cerveau, c'est la mémoire. Il y a plusieurs niveaux de mémoire, c'est ce que m'avait expliqué un jour un neuroscientifique et notamment avec l'Anneau de la mémoire où je lui avais dit : je suis très étonné, c'est que c'est venu d'un seul coup. Sur un petit carnet de croquis, j'ai griffonné quelque chose qui est venu tout seul et il m'a dit : "Ce n'est pas un miracle, c'est votre mémoire qui a travaillé à votre place".

De la transformation de la citadelle de Vauban à Belle-Île-en-Mer, au réaménagement du port Vauban à Antibes, en passant par la construction de logements sociaux, la réhabilitation de l'Hôtel de la Monnaie de Paris et la construction effectivement du sublime Mémorial International de Notre-Dame-de-Lorette, ce que vous appelez l'Anneau de la mémoire, vous êtes considéré comme l'un des plus grands spécialistes de la résurrection du patrimoine militaire et industriel. Un patrimoine qui pendant très longtemps, en fait, était totalement rejeté parce que lourd, vieux, vieillot.

Et puis aussi porteur de traumatismes. L'architecture militaire, c'est la guerre. La guerre, c'est la mémoire.

Vous préférez le terme d'architecture de guerre.

Oui, parce que ce sont des architectures qui ont une ambition de défendre, de protéger. Et puis architecture industrielle, c'est un peu la même chose, c'est-à-dire que ce sont aussi des traumatismes, des traumatismes sociaux, sociétaux, des sites industriels qui ont été abandonnés avec la désindustrialisation massive de l'Europe et de la France notamment.

"Pour conserver, il faut transformer, il faut amener de nouvelles activités, il faut imaginer de nouveaux programmes, mais pour autant préserver la forme des choses, des lieux qui font que celles et ceux qui y ont vécu continuent de dialoguer avec ces lieux."

Philippe Prost

à franceinfo

On va avoir une attitude avec un bâtiment comme on aurait avec une personne, en l'occurrence une citadelle qui commence au 16ᵉ, comme avec une vieille personne dont il faudrait prendre soin, à laquelle il faudrait faire attention et en même temps pour la porter encore plus loin dans le temps et dans l'avenir.

N'est-ce pas frustrant de se voir confier des clés sans être finalement jamais propriétaire du lieu sur lequel on travaille ?

Non, non ! Vous êtes la première à me poser cette question. Moi, je ne trouve pas ça frustrant. On sait qu'on est de passage. On arrive, on rencontre un lieu, un bâtiment, des bâtiments, un site, un paysage. Et c'est vrai qu'avec l'âge, on en profite de plus en plus parce qu'on se rend compte que quand il y a des belles rencontres, elles augurent de beaux projets.

Vous avez choisi un métier qui finalement vous plonge du début jusqu'à la fin de votre carrière dans l'apprentissage. Fier d'être un apprenti ?

Très fier d'être un apprenti. Ça, c'est une belle formule. Moi, j'ai l'impression que tous les jours je continue d'apprendre et ça développe en vous une sorte de souplesse. Et c'est un véritable plaisir de l'esprit, pour moi.

Cette exposition qui vous est totalement consacrée et puis ce Grand Prix national de l'architecture 2022 représentent quoi pour vous ?

C'est une reconnaissance d'un parcours engagé de transmission et puis ce qui est une chance extraordinaire, c'est de pouvoir présenter son travail dans les galeries de la Cité de l'architecture et du patrimoine, au milieu de la galerie des moulages, donc la partie médiévale, et ensuite dans la partie de la galerie d'architecture moderne et contemporaine. Et pour moi, c'est très important parce que c'est cette manière de tisser des liens entre les époques, entre les usages qui me guide et du coup d'être immergé dans ces collections et dans cette histoire de l'architecture au long cours. Pour moi, c'était une occasion merveilleuse qui m'a été offerte par la Cité de l'architecture et du patrimoine.

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