Clément Viktorovitch : "La Ve République a fait son temps"

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 6 février 2025 : l’enseignant en sciences politiques et chroniqueur, Clément Viktorovitch. Jusqu'au 30 avril prochain, il est sur la scène du 13ᵉ Art à Paris et en tournée en France et en Belgique.

Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Clément Viktorovitch sur franceinfo, le 27 juin 2022. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Clément Viktorovitch sur franceinfo, le 27 juin 2022. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Clément Viktorovitch est un docteur en sciences politiques, très attaché à la transmission, soucieux de la vulgarisation et du besoin de rendre accessible un savoir souvent nécessaire. Il a officié notamment sur franceinfo, dans "Clique" sur Canal+ ou encore dans "Quotidien" sur TMC, avec une rigueur constante dans ses propos et arguments, presque stakhanoviste.

Aujourd'hui, il est sur la scène du 13ᵉ Art à Paris, en tournée en province et en Belgique, jusqu'au 30 avril 2025 avec son spectacle L'art de ne pas dire. Il incarne le conseiller en communication du résident de la République, évincé brutalement, donc aigri et qui cherche à rendre les coups et l'humiliation vécue. Pour ce faire, rien de mieux que de dévoiler au grand jour les secrets utilisés méthodiquement et stratégiquement pour conquérir le pouvoir. Dans cette mécanique, des questions apparaissent et notamment une très importante : la démocratie n'est-elle pas constituée de dissimulations, de manipulations, de mensonges ?

franceinfo : C'est quoi la démocratie ? Sommes-nous réellement une démocratie ?

Clément Viktorovitch : C'est la grande question et vous posez, au fond, la question que pose à la fin le spectacle : Qu'est-ce que ces nouvelles techniques de communication font à notre démocratie ? Est-ce qu'on peut encore parler de démocratie quand le débat public devient totalement biaisé, totalement torturé ? C'est cette question qui me taraudait, je l'ai traitée dans mes chroniques et j'avais le sentiment qu'il fallait aller au-delà. C'est pourquoi j'ai choisi le théâtre avec cette pièce dans laquelle j'incarne non plus le décrypteur de la communication, mais au contraire l'un des artisans de ce que j'ai appelé "le saccage du langage".

Vous avez toujours eu ce côté professeur. On parle de vulgarisation, mais cela va au-delà. L'idée, c'est de transmettre comme si vous aviez besoin de donner les armes rhétoriques au public pour essayer de se défendre et prendre conscience qu'il peut reprendre sa vie en main. Est-ce que vous êtes convaincu de ça ?

Oui, j'espère l'être en tout cas. Je n'ai pas un côté professeur, je suis un enseignant. C'est ainsi que j'ai commencé ma carrière. J'ai été professeur à l'université, à Sciences-Po.

Vous êtes passé par le CNRS aussi, ce qui en dit long sur la démarche.

Oui, tout à fait. Ce qui est important, c'est qu'en effet, à un moment donné dans ma carrière, je me suis rendu compte que j'avais acquis des armes qui auraient pu me permettre à ce moment-là, et la question s'est posée, de faire carrière dans la politique. J'ai fait le choix inverse. J'ai fait le choix de partager ce que j'avais acquis parce que ma conviction, c'est que nous ne serons pas sauvés par un homme ou une femme providentiel.

"Mon horizon, et je ne m'en suis jamais caché, c'est la démocratie participative et la démocratie délibérative."

Clément Viktorovitch

à franceinfo

C'est étonnant d'ailleurs, puisque vous avez cette attirance pour l'âme humaine et en même temps, vous êtes attiré par des pouvoirs qui nous malmènent. Comment expliquez-vous cette dualité ?

Oui. Ça fait effectivement partie des dualités, des tensions internes qui existent. Cette dualité se retrouve dans le spectacle. Vous avez raison de préciser que c'est un spectacle qui traite de questionnements, de questionnements graves. Le spectacle a quelque chose de cynique, alors en tant que comédien sur scène, c'est un plaisir d'incarner un homme sombre, cynique, froid, qui manipule l'opinion publique, même pas pour faire prévaloir des idées, mais juste parce qu'il peut le faire et qu'il en jouit. Mais derrière cette matière grave, la dualité se retrouve dans le fait que le spectacle est écrit avec beaucoup d'humour. On passe, je l'espère, un bon moment. Au sein de ce bon moment, au sein de cette joie partagée de voir les ficelles être explicitées, il y a peut-être des moments un peu plus graves, un peu plus lourds, mais je pense que l'enjeu le mérite.

Vous mettez d'ailleurs des choses en avant qui sont assez incroyables parce que finalement on ne s'en rend pas compte, mais on ne dit plus : "les pauvres" par exemple. C'est incroyable parce que cela fait partie de notre quotidien, on ne s'en rend pas vraiment compte. C'est ça aussi le travail à effectuer ? C'est un travail "d'instruction" ?

Il y a un mot anglais qui s'appelle : "empowerment", la traduction française est très moche, "empouvoirement". Si on voulait paraphraser le président de la République, on pourrait presque reprendre son concept et dire que ce qu'il faut faire, c'est du réarmement, mais en l'occurrence, du réarmement rhétorique. Moi ce qui m'importe, c'est que chacun et chacune d'entre nous, soyons capables de retrouver derrière le voile des discours ce qui compte, c'est-à-dire la sève des propositions, des orientations, des idéologies. Et ensuite on vote.

"J'aimerais que nous soyons en mesure, chacune et chacun d'entre nous, de prendre nos décisions de manière éclairée et critique. Et ça, ça implique de se réarmer, en effet."

Clément Viktorovitch

à franceinfo

Pour terminer, est-ce que vous croyez qu'un jour on va pouvoir voter pour et pas contre ?

Je l'espère. Moi, je suis encore plus idéaliste que cela. Non seulement j'espère cela, mais j'espère qu'un jour on ne votera même plus pour un homme, même pas pour des idées. J'espère qu'on participera directement aux décisions. Je pense que la Ve République a fait son temps. Nous sommes mûrs pour nous réunir citoyennes, citoyens dans une assemblée constituante et réfléchir aux modalités d'une nouvelle République qui nous permette de dépasser la figure aujourd'hui indépassable du président de la République et d'essayer d'élaborer des manières pour que les citoyennes et les citoyens interviennent directement dans le processus de décision. Mon idéal, il est là.

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