Marc Trévidic : "L'adage le plus important pour moi, c'est 'le droit est l'art du bien et de l'équitable', le droit doit tendre à la justice"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Jeudi 2 octobre 2025, le magistrat et écrivain, Marc Trévidic qui publie "Justice présumée coupable" chez Albin Michel.
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Enfant, Marc Trévidic se voyait pilote de Formule 1 et rockeur, sauf qu'il s'est très vite passionné pour le droit au point d'en faire l'essence même de sa vie professionnelle. Il a été juge d'instruction au pôle antiterroriste du tribunal de Paris avec au quotidien des affaires ultrasensibles comme les attentats de la rue des Rosiers, de la rue Copernic à Karachi en 2002 ou encore les assassinats des moines trappistes de Tibhirine en Algérie. Il est actuellement président de la Chambre de la Cour d'appel de Versailles et écrivain. Le 1er octobre 2025, il a publié Justice présumée coupable chez Albin Michel.
franceinfo : J'avoue qu'au début, quand on lit le titre, on se dit : 'ce n'est pas possible, c'est prémonitoire, il savait'... Ce titre en dit long.
Marc Trévidic : Il en dit long. Il dit surtout que ça ne date pas d'aujourd'hui, qu'on est présumé coupable. On est présumé coupable de deux façons différentes. Il y a les citoyens qui estiment que justice est mal rendue au quotidien et donc la justice est mal vue. Elle est présumée coupable pour une bonne partie de la population. Il faut être honnête et le reconnaître. Et puis elle est présumée coupable parce que depuis les années 1990, elle essaye de rendre une justice égale pour tous, c’est-à-dire aussi d'aller chercher ceux qui détiennent le pouvoir financier ou politique quand ils se comportent mal. Donc, des deux côtés, on est un peu conspués, il faut bien le dire.
Votre livre sort quand même le 25 septembre, jour de la condamnation de Nicolas Sarkozy à 5 ans de prison. L'ancien président parle d'humiliations subies par les magistrats et par la juge, il se dit innocent. L'opinion publique se déchire et la justice est au cœur de l'arène avec une défiance qui interpelle, qu'en pensez-vous ?
D'abord, les justiciables, dans leur ensemble, ne comprennent pas les décisions de justice. Ils ne comprennent pas qu'en fait, ce qui s'est produit, se produit dans les tribunaux de façon régulière. Tous les jours, il y a des personnes présumées innocentes qui arrivent à l'audience et qui se retrouvent avec un mandat de dépôt et qui vont en prison immédiatement. D'ailleurs les trois quarts du temps, c'est tout de suite les menottes. Donc, il y a cette volonté d'être très sévère, très stricte avec la délinquance de droit commun, et on voudrait qu'on ne le soit pas avec les délinquants en col blanc, voilà un peu près la problématique.
"Les Français sont un peu curieux dans leur conception de l'état de droit. Ils veulent la justice égale pour tous, mais dès qu'on touche au roi ou à l'ex-roi, ça se crispe."
Marc Trévidicà franceinfo
Il y a cette ambivalence, à mon avis, chez nos concitoyens.
Selon vous, qu'est-ce qui fait que la justice soit autant mise à mal ?
Nos institutions vont mal, il n'y a plus de respect des institutions d'une manière ou d'une autre. On va pointer du doigt les juges parce qu'en fait, ce sont eux qui tranchent, les problèmes de société. Ils sont les plus exposés. Avant, ils l'étaient moins, mais aujourd'hui, avec les médias, les réseaux sociaux, tout le monde s'exprime. On fait des radios trottoir. Je voudrais bien qu'on m'explique en quoi interviewer des gens dans la rue pour leur demander ce qu'ils pensent de la condamnation de Nicolas Sarkozy fait avancer quoi que ce soit. Si, c'est le peuple qui doit, dans un radio trottoir, décider si quelqu'un est coupable, on peut se passer de juge, mais on verra ce que ça donnera.
Ce livre, il est ponctué d'adages. Celui qui prévaut systématiquement, c'est : "À l'impossible, nul n'est tenu".
C'est vrai pour un juge. On a les moyens que l'on a, que l'on nous donne, matériel, humain, juridique. Il y a aussi des problèmes qui nous dépassent, comme celui de la mondialisation. On ne peut pas aller chercher dans les paradis fiscaux des comptes bancaires, on ne peut pas arrêter les gens parfois dans un endroit où ils se trouvent. Mais l'adage qui est le plus important pour moi, c'est celui qui clôture le livre : "Le droit est l'art du bien et de l'équitable". Le droit doit tendre à la justice. Le droit peut servir à opprimer. Un juge russe qui condamne un opposant, se sert du droit pour remplir une fonction qui est tout sauf de la justice.
"Le droit n'est pas synonyme de justice, mais il doit tendre vers la justice, et donc les magistrats doivent avoir cette idée qu'il y a quelque chose de plus important que la règle de droit, c'est la justice sociale."
Marc Trévidicà franceinfo
C’est-à-dire l'harmonie sociale, l'harmonie de la société, l'équilibre de la société, ce fameux fondement dont je parle.
Le droit est-il toujours l'art du bien et de l'équitable ?
Non, pas toujours. C’est clair que ça ne peut l'être que dans une démocratie et seulement s’il n'y a pas d'interférences politiques, si on ne dit pas au juge quelle décision il doit prendre. Il faudrait peut-être faire attention à préserver en France le fait que justement, c'est une garantie, les juges indépendants. À moins qu'il y ait quelques politiques qui voudraient que les juges ressemblent aux juges russes, algériens, nord-coréens ou chinois.
Êtes-vous inquiet quant à l'avenir de la justice ?
Très. Je pense que, vu les réactions, il est possible qu'en 2027, selon les élections, évidemment, il y ait une tentation de reprise en main de la justice qui serait d'autant plus facile que la pratique a changé au fil des années, mais pas les textes. Voilà le danger et c'est un danger pour la démocratie.
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