Sursis et taux de récidive : comment un faux site généré par IA s'est invité dans les débats
Le député La France insoumise Manuel Bompard affirme que le sursis pousse moins à la récidive que la prison ferme. Mais il s'est basé, de bonne foi, sur un article qui semble avoir été inventé par une IA.
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Faut-il supprimer le sursis ? En pleine polémique après les violences qui ont suivi la victoire du PSG en Ligue des Champions samedi 31 mai, et alors que les premiers interpellés relâchés n'ont pas écopé de peine de prison, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a répété qu'il souhaitait supprimer le sursis et le remplacer par des peines minimales, afin que la justice soit plus sévère.
Une proposition dénoncée par la gauche qui crie à la démagogie. "Si vous voulez lutter contre la délinquance et contre la criminalité en général, vous devez vous poser la question de la sanction et vous devez vous poser la question de savoir comment cette sanction ne se traduit pas ensuite par de la récidive", a commenté le député LFI Manuel Bompard sur TF1 mercredi 4 juin. "Selon les propres chiffres du ministère de la Justice, quand il y a une peine de prison ferme, vous avez à peu près 60% de récidive, ça tombe à 34% quand vous avez une peine avec sursis", a-t-il ajouté. Vrai ou Faux ?
63% des sortants de prison récidivent dans les cinq ans
Le premier chiffre cité par Manuel Bompard est vrai. En effet, le taux de récidive après une peine de prison ferme est d'environ 60% cinq ans après la libération du détenu, selon un rapport statistique annuel publié en décembre 2024 par le ministère de la Justice, qui a suivi des détenus libérés en 2016. C'est même précisément 63%. Autrement dit, selon ce rapport, sur 100 détenus libérés en 2016, 63 avaient récidivé cinq ans après.
Notons que le taux de récidive parmi les anciens détenus augmente dans la durée. Parmi les personnes qui sont sorties de prison en 2020, 34% ont récidivé dans l'année qui a suivi leur libération, selon un autre rapport du Service de la statistique des études et de la recherche du ministère de la Justice publié en avril 2025. Ce taux de récidivistes parmi tous les détenus libérés en même temps passe à 48% au bout de deux ans, 55% au bout de trois ans et atteint presque les 60% dès la quatrième année suivant la libération, selon le rapport annuel du ministère.
Le taux de condamnés à du sursis qui récidivent introuvable dans les données du ministère de la Justice
Quand au deuxième chiffre cité par le coordinateur de la France insoumise – le taux de récidive de 34% après une peine de sursis – il est introuvable dans les études récentes du ministère de la Justice.
Le Vrai ou Faux a demandé à Manuel Bompard où il avait trouvé cette information et le député a envoyé la capture d'écran d'un texte qui stipule que "les données statistiques concernant l’efficacité du sursis partiel en termes de prévention de la récidive sont encourageantes. Une étude longitudinale menée par le ministère de la Justice sur la période 2015-2020 a comparé les taux de récidive sur cinq ans selon différentes modalités d’exécution des peines : emprisonnement ferme : taux de récidive de 59% ; sursis partiel : taux de récidive de 41% ; sursis total avec mise à l’épreuve : taux de récidive de 35%".
Or, après recherche, aucune étude du ministère de la Justice ne correspond à cette prétendue étude longitudinale. Le ministère n'a étudié que la période 2016-2021 et non 2015-2020 – le rapport statistiques annuel déjà cité plus haut – et il ne donne pas d'informations sur ce qui arrive aux personnes qui ont été condamnées à du sursis.
Les seules données rapprochant sursis et récidive dans ce rapport donnent le taux de récidivistes qui ont été condamnés à du sursis après leur deuxième infraction, soit exactement l'inverse de ce que l'on recherche. Ainsi le rapport note qu'en 2023, parmi les personnes qui ont été condamnées pour délit, "16% des condamnés à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis total [étaient] récidivistes".
Un faux site généré par IA à l'origine de la fausse information
Le texte cité de bonne foi par Manuel Bompard provient d'un article du site internet juridique-enligne.fr intitulé "La complexité du sursis partiel : analyse juridique approfondie". Ce site semble spécialisé dans l'actualité juridique dans différents domaines, droit pénal, immobilier, droit des affaires.
À première vue, il semble parfaitement crédible, mais, en creusant un peu, il s'avère que ce site a toutes les caractéristiques d'un faux site d'information généré par intelligence artificielle. Tous les articles sont publiés par la même personne qui ne semble pas exister vraiment, parfois à des horaires et des jours qui ne correspondent pas aux habitudes des rédactions françaises, il n'y a aucune présentation du site, les différentes rubriques ne sont pas très cohérentes ou redondantes ("droit", "juridique", "avocat", "divorce", "entreprise", "immobilier", "loi"), les mots "mentions légales" sont écrits en bas du site mais il est impossible d'y accéder, les images illustrant les articles ont été générées par IA, il a été créé il y a deux ans au moment où ont été lancées les premières IA génératives et, surtout, plusieurs informations contenues dans l'article cité par Manuel Bompard sont introuvables ailleurs.
Par exemple, il mentionne "une enquête menée en 2020 auprès de 120 juges correctionnels [qui] révélait que 78% d'entre eux considéraient le sursis partiel comme 'un outil efficace d'individualisation de la peine'", dont on ne trouve aucune trace ailleurs. De même, il affirme que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a recommandé "un usage plus systématique des alternatives à l’incarcération, dont le sursis partiel constitue une modalité pertinente" dans son rapport annuel de 2021. Or, cette citation n'y figure pas.
Nous avons aussi passé cet article dans six détecteurs d'IA et quatre ont estimé qu'il s'agissait d'un texte écrit en majorité par une intelligence artificielle. Ces outils, qui ne sont pas infaillibles, viennent simplement compléter le constat déjà effectué. Pour paraître crédible, le site juridique-enligne.fr semble s'être inspiré du nom et des articles du site, bien réel, actu-juridique.fr.
Le problème est que, puisque ce faux site d'information donne un chiffre qui n'existe pas ailleurs, il est très bien référencé dans les moteurs de recherche, notamment Google. Il arrive dans les premiers liens proposés quand on fait une recherche sur le taux de récidive des condamnés à du sursis. Cela montre comment, de bonne foi, il est possible de véhiculer une fausse information inventée par une intelligence artificielle et donc le danger de ces faux sites générés par IA pour l'information.
Des études plus anciennes donnent raison sur le fond à Manuel Bompard
Interrogé à ce sujet, Manuel Bompard a estimé que "la multiplication de ce type de site peut être problématique car les informations peuvent ne pas être suffisamment fiables", mais il se défend d'avoir véhiculé une fausse information. "Il est important de vérifier à chaque fois que les informations publiées sont corroborées par d'autres sources et d'autres études", s'est-il défendu avant de renvoyer vers une étude réalisée par le chercheur Pierre-Victor Tournier en partenariat avec la Direction de l'administration pénitentiaire, mais qui date d'il y a 20 ans.
Il ne s'agit toujours pas de l'étude citée par le site juridique-enligne.fr dont il a parlé dans un premier temps, mais cette étude de Pierre-Victor Tournier lui donne tout de même à peu près raison sur les chiffres. En 2005, il a publié une étude, basée sur un échantillon de 5 234 délits, et a constaté que "cinq ans plus tard, 61% des personnes condamnées à la prison ferme ont récidivé, contre seulement 52% pour celles qui ont écopé d'un sursis avec mise à l'épreuve et 36% pour les sursis simples", expliquait-il au journal Le Point quelques années plus tard.
Le député LFI a aussi envoyé au Vrai ou Faux une autre étude faite par des chercheurs de la Direction de l'administration pénitentiaire datant cette fois-ci de 2010, mais qui porte sur des peines de sursis prononcées en 1996, il y a une trentaine d'années. Cette deuxième étude lui donne aussi à peu près raison sur les chiffres : parmi les condamnés à une peine de sursis simple en 1996, 39% ont été à nouveau condamnés dans les cinq années qui ont suivi, contre 72% des sortants de prison.
Reste à savoir si ces données, datant de 20 à 30 ans, sont toujours d'actualité alors que les règles du sursis ont beaucoup changé ces dernières années et que le taux de récidive en général a augmenté de 15 points de pourcentage ces 30 dernières années, selon les chiffres du ministère de la Justice.
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