Y a-t-il eu plus de journalistes tués à Gaza que pendant les deux guerres mondiales et quatre autres conflits ?

Six journalistes ont été tués dans un bombardement israélien sur la bande de Gaza dans la nuit du 10 au 11 août. Depuis, de plus en plus de voix s'élèvent pour demander à Israël de cesser de viser des journalistes et de permettre aux journalistes internationaux d'avoir accès au territoire palestinien ravagé par 22 mois de guerre et menacé de famine. 

Mathilde Panot a dénoncé le bilan meurtrier de ce conflit pour les journalistes. La présidente du groupe insoumis à l'Assemblée nationale a déploré sur France Inter mardi 20 août "un nombre de journalistes tués aujourd'hui à Gaza qui dépasse les journalistes tués lors de la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre de l'Afghanistan et la guerre d'Irak cumulées, tout ça pour qu'on ne puisse pas raconter ce qui est en train de se passer dans la bande de Gaza" ?

Quelque 350 journalistes tués dans les six guerres cumulées, 

La comparaison de la députée n'est pas tout à fait exacte, mais Mathilde Panot se trompe de bonne foi. Elle cite un message publié par un spécialiste des relations internationales, Karim Émile Bitar, sur le réseau social X. C'est lui qui a fait une erreur.

Au total, selon les calculs de franceinfo et selon l'estimation la plus basse, au moins 350 journalistes ont été tués pendant les six guerres qu'il évoque. Or, selon plusieurs sources fiables comme Reporters sans frontières, rassemblées par Newsweek, à ce jour, 200 journalistes ont été tués à Gaza. C'est donc moins que dans les six guerres citées.

Notons que les journalistes tués dans le conflit entre Israël et le Hamas sont quasiment uniquement des Palestiniens, selon le Comité pour la protection des journalistes, car ce sont les seuls à pouvoir rapporter ce qu'il se passe sur la bande de Gaza. Six reporters libanais ont aussi trouvé la mort en couvrant cette guerre et deux journalistes israéliens avaient été tués le 7 octobre 2023 dans l'attaque du Hamas qui a marqué le début de cette guerre.

La guerre à Gaza, l'une des plus meurtrières pour les journalistes

L'erreur du professeur vient du fait qu'il a mal cité un travail de recherche de la Brown University américaine sur le coût humain de la guerre. Dans un article datant d'avril, l'universitaire Nick Turse publie un graphique comparant le bilan des journalistes tués pendant la guerre de Gaza à ceux de plusieurs conflits, tels qu'ils ont été comptabilisés par le Mémorial des journalistes du Freedom Forum et par le Comité pour la protection des journalistes en ce qui concerne la guerre en Ukraine.

Au total lors de la guerre civile américaine (8 reporters tués entre 1861 et 1865), des Première (2 journalistes tués en 1914 et 1918) et Seconde Guerres mondiales (67 entre 1939 et 1945), de la guerre de Corée (17 entre 1950 et 1953), de la guerre du Vietnam (60 entre 1965 et 1975), de la guerre de Yougoslavie (39 entre 1991 et 2001), de la guerre en Afghanistan (36 entre 2001 et 2021) et de la guerre en Ukraine (29 entre 2014 et 2025), dans ces conflits, selon ces estimations, 258 journalistes ont été tués, soit davantage, pour l'instant, qu'à Gaza.

Pour faire sa comparaison, Karim Émile Bitar a enlevé plusieurs conflits et a, surtout, ajouté la guerre en Irak qui a été une guerre extrêmement sanglante pour les journalistes. Entre 170 et 242 journalistes y ont été tués, selon les estimations les plus basses (Freedom Forum) et les plus hautes (RSF qui inclut toutes les personnes travaillant avec des journalistes comme les traducteurs, les fixeurs, les chauffeurs). C'est l'ajout de cette guerre qui a faussé sa comparaison.

Notons néanmoins qu'en même pas deux ans, la guerre à Gaza a plus ou moins le même bilan que la guerre en Irak, qui a duré une dizaine d'années. D'ailleurs, si la guerre en Irak reste la plus meurtrière pour des journalistes, selon RSF, elle a été doublée par la guerre de Gaza, selon le Comité pour la protection des journalistes, qui ne prend en compte que les reporters tués et non leurs collaborateurs.

Des estimations chiffrées très différentes

Si l'on met la guerre en Irak de côté, la comparaison de Mathilde Panot devient-elle exacte ? Autrement dit, la guerre à Gaza a-t-elle tué davantage de journalistes que la Première Guerre mondiale, que la Seconde, que la guerre de Corée, du Vietnam et d'Afghanistan ?

Cela dépend des sources utilisées. Comme évoqué plus haut, il y a des estimations hautes et des estimations basses. Certaines sources comptent tous les journalistes qui sont morts pendant un conflit pendant ou en dehors de leur travail, d'autres ne citent que ceux qui ont été délibérément visés dans l'exercice de leurs fonctions. Certaines ne retiennent que les journalistes, d'autres incluent aussi leurs collaborateurs. Enfin, certaines ne prennent pas en compte des journalistes militaires, quand d'autres le font. En bref, il y a autant de façons de compter les journalistes tués pendant une guerre que de personne qui les compte. Par ailleurs, plus les conflits sont anciens, moins les sources sont fiables puisqu'on ne comptait pas comme aujourd'hui.

En s'appuyant sur les données Freedom Forum, le Comité pour la protection des journalistes, Reporters sans frontières et l'Institut français du journalisme, largement rassemblées par Newsweek, nous pouvons donner des estimations haute et basse : entre 180 et 270 journalistes ont été tués dans ces cinq guerres. Le bilan de celle de Gaza se situe entre les deux.

Mais son bilan risque encore de s'alourdir. Le Comité pour la protection des journalistes a expliqué à Newsweek qu'il était encore en train d'analyser la situation de 150 personnes tuées à Gaza pour déterminer si elles étaient journalistes ou non. Si c'est le cas, la guerre de Gaza deviendrait la plus meurtrière pour les journalistes, toutes sources confondues.