Bilan de la première semaine du Festival de Cannes

La fougue légendaire de Quentin Tarantino pour ouvrir les festivités, mardi soir. La voix de Mylène Farmer sur les images de David Lynch. Les mots de Robert De Niro pour résister aux forces obscures de l'époque.

"Sirât" d'Oliver Lax

Une fois la compétition lancée, un premier choc esthétique : Sirât, du franco espagnol Oliver Lax, road movie qui file vers le cinéma de genre et l'ésotérisme. Sergi Lopez y est un père qui, avec son jeune fils, part à la recherche de sa fille aînée qui a fugué dans le désert marocain. On est dans le milieu radical, marginal des rêveurs. Et, de drame en drame, les personnages vivent une expérience spirituelle intense sur fond de musique électro et de substances psychédéliques. Oliver Lax parle de notre thanatophobie, notre peur de la mort.

"On n'a plus d'expérience qui nous fasse grandir. Ces moments où la vie secoue, ces moments où la vie demande qui tu es. Je voulais inviter le spectateur à une cérémonie cinématographique qui le force à regarder un peu à l'intérieur."

Oliver Lax, réalisateur

à franceinfo

Musique phénoménale de David Le Tellier Circa. Le premier choc du festival sortira en salles le 3 septembre.

"La petite dernière" d'Hafsia Herzi

Trois films français sont en compétition. On en a vu deux pour l'instant. Coup de cœur pour La petite dernière, le troisième long métrage de la Marseillaise de 38 ans Hafsia Herzi, actrice deux fois scénarisée. Cette fois, elle adapte le roman autobiographique de Fatima, l'histoire d'une jeune fille d'origine algérienne musulmane qui sent qu'elle est attirée par les femmes et décide, étape par étape, de vivre son émancipation face aux assignations de son entourage, de la religion ou de ses amis du lycée. Comme dans ses deux premiers films, Hafsia Herzi choisit la justesse et la tendresse pour raconter cette histoire.

"Déjà, le sujet homosexualité, religion. J'avais envie de traiter tout ça avec subtilité, parce que je sais que ce sont des sujets qui peuvent déranger. Parce que j'aime la subtilité et essayer de raconter des choses sans forcément trop de paroles, à travers un plan, une image."

Hafsia Herzi, réalisatrice

à franceinfo

Et comme une nouvelle belle histoire de Cannes, dans le rôle principal la jeune et jusqu'ici inconnue Nadia Melliti est excellente.

Plus tôt, on avait vu Dossier 137 de Dominik Moll. Décembre 2018, le mouvement des gilets jaunes, des manifestations violentes à Paris et de très nombreux blessés mutilés par des armes souvent utilisées dans une panique généralisée. Léa Drucker est une enquêtrice de l'IGPN, la police des polices. Elle instruit une plainte qui met en cause des agents de la BRI. On est au cœur de la procédure et de la recherche de preuves. Dominik Moll insère des images de vidéosurveillance d'actualité, d'autres prises au portable, ce qui rend le film d'autant plus réaliste.

"Enzo" de Laurent Cantet et Robin Campillo

Hors compétition cette semaine, une projection a beaucoup ému en ouverture de la Quinzaine des cinéastes : Enzo, de Laurent Cantet, disparu en avril 2024. Le film a été achevé par son ami et coscénariste de longue date Robin Campillo. Il y a du Campillo et du Cantet dans ce film. La délicatesse dans le traitement de moments difficiles de l'adolescence. Enzo est en marge de sa propre famille bourgeoise, dans une belle villa de La Ciotat, près de Marseille. Son frère aîné va rentrer en classe préparatoire. Ses parents sont architecte et ingénieur, lui est en CAP de maçonnerie. Il expérimente cette fracture, les rapports rugueux avec les ouvriers du bâtiment, notamment un Ukrainien. Enzo, montre une réalité douloureuse pour un adolescent quand ses parents ont honte de lui.

"Je crois que ça arrive très souvent. Le personnage de la mère le dit à un moment : les enfants, on veut les faire rentrer dans les rangs et quand ils sont rentrés dans les rangs, on regrette un peu leur folie. Il faut croire en la folie des enfants et il faut croire qu'elle est féconde, qu'elle produit quelque chose plutôt que de s'en méfier, d'en avoir peur."

Robin Campillo, réalisateur et scénariste

à franceinfo

Enzo sortira en salle le 18 juin.

"Put Your Soul on Your Hand and Walk" de Sepideh Farsi

De l'émotion aussi, dans la sélection de l'Association du cinéma indépendant avec le film hommage à la photographe palestinienne Fatima Hassuna. Hommage rendu à la fois par le documentaire – Put Your Soul on Your Hand and Walk ("Mets ton âme sur ta main et marche") – et par sa réalisatrice l'Iranienne Sepideh Farsi, qui a brandi le poing en l'air sur scène, à côté d'un portrait de Fatima Hassuna. La jeune femme de 25 ans a été tuée le 16 avril avec 10 de ses proches par un missile israélien tiré sur sa maison de Gaza. Sepideh Farsi a réalisé son film grâce à des entretiens à distance, le plus souvent en visio avec son téléphone. Elle était notre invitée cette semaine sur franceinfo, encore plus révoltée d'avoir tout juste appris que la maison de la photographe avait été délibérément ciblée par l'armée israélienne.

"C'est un assassinat ciblé. Clairement. Elle a été ciblée avec toute sa famille, avec des engins de grande précision, des missiles qui sont lancés par un drone et qui explosent là où on leur dit d'exploser."

Sepideh Farsi, réalisatrice

à franceinfo

Le documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk sortira en France le 24 septembre.

Enfin, retenons des sourires et des chansons avec le film Partir un jour de la Française Amélie Bonnin, film qu'on peut d'ores et déjà aller découvrir en salle. Un premier long métrage en film d'ouverture. C'était une première et c'était audacieux. On a aimé ça. Amélie Bonnard et ses idées rafraîchissantes de mise en scène, son casting agréable, Juliette Armanet et Bastien Bouillon en tête, et cette playlist qui décidément continue de rester en tête : plusieurs reprises de tubes populaires des années 1960 à nos jours. On souhaite bon vent à la réalisatrice et au film de continuer sa belle aventure en salles.