"Les valeurs de l'Occident sont défendues par des personnes qui ne sont pas forcément nées en Occident", selon la directrice de "La Revue des Deux mondes"
La célèbre revue d'idées a voulu s'intéresser au "dénigrement des valeurs occidentales" que le philosophe Alain Finkielkraut et Aurélie Julia, directrice de la revue, analysent dans la société actuelle.
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Référence du débat d'idées depuis des décennies, La Revue des Deux mondes publie en ce mois de février 2025 un nouveau numéro, titré "La Haine de l'Occident", référence directe au célèbre essai de Jean Ziegler publié en 2008. L'occasion d'un entretien fleuve avec Alain Finkielkraut, philosophe et penseur de notre temps, qui pose un regard inquiet sur la société contemporaine et l'Occident d'aujourd'hui. Pour en parler, dialogue avec Aurélie Julia, directrice de La Revue des Deux mondes.
franceinfo : Pourquoi avoir titré ce numéro "La Haine de l'Occident", et l'avoir accompagné d'une interview d'Alain Finkielkraut (que l'on entend sur France Culture dans l'émission "Répliques" depuis des années) ?
Aurélie Julia : C'est quelqu'un qui s'est beaucoup exprimé sur cette haine de l'Occident et je voulais avoir son avis sur la situation un peu schizophrénique que traverse pour moi l'Occident. L'Occident était hier un modèle à suivre, un exemple. Au XIXᵉ siècle, on était à la pointe de la technique. On avait évidemment la machine à vapeur, les ampoules, le cinéma et aujourd'hui on fait le procès de l'Occident. Donc, que s'est-il passé alors ?
Dans l'introduction, vous nous dites, et c'est vous qui écrivez : "l'Occident se trouverait au XXIᵉ siècle dans la posture du docteur Jekyll et Mr Hyde"...
Oui, pour moi, c'est justement pour cette situation schizophrénique. Hier on s'admirait, aujourd'hui on se déteste. Parce qu'on a perdu notre influence et notre aura. On avait des rêves de grandeur au XIXᵉ siècle, avec la colonisation : des rêves un peu fous. Est-ce que c'était de la naïveté et de l'arrogance ? Aujourd'hui, on s'en mord les doigts, et nous avons des intellectuels pour nous rappeler justement nos erreurs, et nous rappeler que cette colonisation ne s'est pas faite sans arrogance.
"Certains intellectuels, aujourd'hui, aiment entrer dans cette autoflagellation, cette autodénigrement qui est leur "fonds de commerce".
Aurélie Julia, directrice de "la Revue des Deux mondes"franceinfo
Ils ne sont pas les seuls à le dire, dès le XVIᵉ siècle, des religieux, des philosophes, des écrivains, des politiques se sont élevés contre cette volonté de domination. C'était Bartholomé Las Cases, Montaigne…
Montaigne, Voltaire, plus tard. On a eu déjà des avertissements, des personnes qui se sont engagées et qui ont dénoncé cette volonté de puissance. Cette arrogance ne date pas d'aujourd'hui, comme voudraient nous le faire croire certains décoloniaux.
À l'heure de Donald Trump, de Vladimir Poutine, de Xi Jinping, Recep Tayyip Erdogan, on voit que l'Occident c'est l'Amérique et l'Europe, c'est la petite Europe, et ce n'est pas beaucoup ?
On a perdu de l'influence. Je crois que tout ça date un peu de la chute du mur de Berlin où le monde s'est recomposé un peu au détriment de l'Occident et de nos valeurs démocratiques. Parce que s'il y a une mondialisation du marché, la démocratie ne s'est pas du tout mondialisée. Et il y a des pays qui ont émergé, des pays notamment qui viennent du Sud et de l'Est, les pays qu'on appelle maintenant le Sud global. Les Brics aussi, et maintenant il y a une espèce, un peu, de revanche.
Le "Make America Great Again" de Donald Trump, en réalité, c'est Ronald Reagan qui l’avait créé en 1981. Comment expliquer sa victoire ?
Quand on écoute certains discours de Donald Trump, c'est un peu la victoire de l'arrogance, de la vulgarité. Et en même temps, Donald Trump s'est intéressé à la classe moyenne, cette classe qui avait été laissée, mise de côté en tout cas par les démocrates. Je crois que l'une des grandes erreurs des démocrates, c'est de ne s'être intéressé qu'aux élites et d'avoir mis un peu la population de côté.
Pour Alain Finkielkraut, on est un peu isolés, l'est-on ?
En même temps, il ne rentre pas du tout dans cette critique de l'Occident. Lui, nous dit que les grandes valeurs que nous avons, c'est cette autocritique, ce doute et c'est tout ce qui fait notre force aussi. Mais on est, et on devient, de plus en plus isolés. Dans notre revue, on trouve un article de Nicolas Baverez sur Raymond Aron, qui avait publié en 1977 Plaidoyer pour l'Europe décadente. À l'époque, l'Europe était dans une situation un peu schizophrénique. On était à la pointe du matériel, mais on était aussi dans un dénigrement de nos valeurs. Ça résonne énormément avec notre époque actuelle je trouve. Il faut absolument relire Raymond Aron. Nous avons des valeurs.
"Ce qui est absolument incroyable aujourd'hui, c'est que l'Occident, les valeurs de l'Occident, sont défendues par des personnes qui ne sont pas forcément nées en Occident."
Aurélie Julia, directrice de "la Revue des Deux mondes"franceinfo
Je pense à un bel article de Abnousse Shalmani, une journaliste franco iranienne. Maintenant, vous avez des personnalités comme Kamel Daoud et puis Boualem Sansal aussi, qui défendaient nos valeurs. Ce sont ces personnes-là qui nous mettent un peu devant la réalité, devant nos belles valeurs qu'il faudrait défendre un peu plus.
Mais vous l'avez dit, notre force, c'est le sens critique.
Le doute et le sens critique ne rentrent pas dans la moralisation. J'aimerais citer une phrase de Raymond Aron : "Je crois à la victoire des démocraties, mais à une condition, c'est qu'elles le veuillent."
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