Retour sur l'histoire de la perle naturelle, un marché qui a enrichi la région du golfe Persique bien avant le pétrole

"On peut parler d'une géopolitique de la perle et même une guerre des perles au début du XXe siècle", raconte Léonard Pouy, historien de l'art et de l'école des Arts joailliers, à l'origine de l'exposition "Paris, Capitale de la Perle" à l'hôtel de Mercy-Argenteau. Une guerre qui a notamment opposé la France et l'Angleterre, qui se sont longuement disputé les perles du golfe Persique, les plus belles du monde.

La région, longtemps restée un protectorat britannique, commence peu à peu à échapper aux forces en présence. Alors que quelques aventuriers "peu recommandables" français vont aller pêcher ces perles naturelles le long des Émirats, qu'on appelle alors "la côte des pirates", le protectorat britannique n'aura de cesse que de sécuriser l'endroit pour son propre commerce. Mais bientôt, l'ère moderne et le pétrole vont tout changer...

franceinfo : Cette histoire de perle du golfe Persique nous ramène un peu dans la géopolitique actuelle, avec la même provenance pour le pétrole.

Léonard Pouy : Aujourd'hui, les Émirats sont devenus indépendants, des nations souveraines. Mais au XXe siècle, ce qu'on a complètement oublié, c'est que, pendant plusieurs décennies, Paris va devenir la capitale mondiale du commerce des perles, après qu'un certain Léonard Rosenthal, en 1906, s'empare purement et simplement de ce marché, au nez et à la barbe des Anglais.

Mais la perle, pour les Européens, c'est très ancien. On se souvient, par exemple, de la célèbre peinture flamande "La Jeune Fille à la perle".

Ce qui est fantastique avec les perles, c'est que vous pouvez ouvrir un livre d'histoire ou d'histoire de l'art et, à n'importe quelle époque, il y a des perles. On parle de perles baroques comme de musique baroque. Le terme "baroque" sert à définir à l'époque des perles difformes, des perles irrégulières. Peu d'éléments ont eu une telle influence dans l'histoire humaine.

Les perles ont toujours fasciné de par leur rareté. Forcément, on ne peut pas forcer la nature. Il faut attendre que ces généreuses huîtres nous offrent ce précieux trésor qui n'est d'ailleurs absolument pas le fruit d'un grain de sable. Il faut tout de suite supprimer ce cliché. C'est un tout autre phénomène qui se produit. Ce sont les cellules épithéliales qui produisent de la nacre dans les huîtres qui vont se décoller de la partie supérieure pour créer de la nacre à l'intérieur, d’ailleurs tous les mollusques créent des perles, il n'y a pas que les huîtres, il y a les moules, les couteaux, tous les bivalves.

Statistiquement, environ une huître sur 100 peut contenir une perle. Lorsqu'on en mange, on a parfois l'impression de mâcher quelque chose, du sable. En réalité, vous êtes en train de mâcher de la nacre. Donc voilà, une huître sur 100 contiendrait une perle, mais seule une perle sur 100 serait potentiellement de qualité suffisante pour être sur un bijou.

En géopolitique, est-ce que la perle de naguère était le pétrole d'aujourd'hui ?

Oui, puisque la perle va faire vivre 99% des habitants du Golfe à cette époque-là. C'est vraiment la totalité de l'économie ou presque. Le pétrole arrive et va effectivement changer les choses. Néanmoins, la fin potentiellement prochaine du pétrole dans le Golfe a fait que les personnes se retournent vers les perles, donc ça redevient une réalité. En fait, ça n'a jamais cessé d'être une réalité dans la mesure où c'est vraiment un élément constituant de la culture de la civilisation du golfe Persique. C'est ce qui unit tous ces territoires entre eux. C'est quelque chose qui a toujours été là, qui a sédentarisé aussi les familles autour des rives du Golfe. Donc pour eux, c'est un élément culturel absolument majeur.

Et qui a séduit la civilisation européenne en son entier ?

Exactement. Dès Pline l'ancien et son Histoire naturelle, on voit que, même s'il y a des perles qui viennent d'Inde, du Sri Lanka, il dit que les perles de plus belle qualité sont celles qui viennent du Golfe, les fameuses perles de Cléopâtre et de Marc-Antoine.

Et, au-delà de l'Antiquité ?

Les Portugais et les Espagnols vont quitter les rives du Vieux Continent, aussi à la recherche de perles. On parle toujours de l'or du Pérou, des émeraudes de Colombie. Il y a aussi les perles du Venezuela. "Venezuela", c'est la "petite Venise". Et Venise évoque l'endroit où venaient toutes ces perles en Europe depuis l'Orient. Et on découvre tout d'un coup des perles à l'île de Margarita, "Margarita" signifie "perle" en latin, la perle de l'Amérique du Sud. Christophe Colomb revient au Venezuela aussi pour les perles.

Aujourd'hui Léonard Pouy, quelle est la plus ancienne perle qui existe ? Est-ce qu'on la connaît ?

Il y a un vif débat autour de l'endroit où serait la plus ancienne perle conservée. Certaines théories poussent pour le Mexique, d'autres pour Abou Dhabi, pour les Émirats. Et on pense être autour de 7 000 ans avant notre ère.

L'exposition de l'École des Arts joailliers "Paris, Capitale de la Perle", jusqu'au 1er juin prochain.