L’abolition de la neutralité du Net aux Etats-Unis remet en question un des principes fondamentaux de l’espace numérique

Une Cour d'appel fédérale autorise la discrimination technique entre les contenus publiés en ligne. Il reste aux Etats fédérés la possibilité d'établir localement des réglementations imposant la neutralité du Net.

Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
La neutralité est un des principes fondateurs d'Internet. (MAXPPP)
La neutralité est un des principes fondateurs d'Internet. (MAXPPP)

La neutralité du Net est des principes fondateurs de l’Internet. Il établit que sur la Toile tous les flux de données se valent et que les fournisseurs d’accès n’ont pas le droit de moduler la vitesse de débit des communications en fonction des contenus que vous consultez. Si on fait l’analogie entre Internet et le flot de la circulation automobile : il ne doit pas y avoir de véhicules prioritaires qui pourraient avancer plus rapidement que les autres.

Le 2 janvier 2025, une des 13 Cours d’appel fédérale américaine (installée dans l’Ohio) a jugé que la FCC – l’agence fédérale qui est en charge de la régulation des télécommunications et des médias (radio, TV, Internet) – ne disposait pas de l’autorité pour imposer ce principe de neutralité du Net.

La neutralité du Net ne fait pas consensus

Les positions sont tranchées en fonction d'intérêts différents. D’un côté les grandes plateformes numériques (Facebook, Google, etc.), dont les utilisateurs – notamment avec la lecture de vidéos – sont d’importants consommateurs des infrastructures du Net, plaident en faveur de la neutralité. Elles ne veulent surtout pas que leurs publications puissent faire l’objet d’une quelconque discrimination technique. C'est également le cas de nombre d’ONG qui défendent un accès uniforme aux services en ligne.

D'un autre côté, les gestionnaires du réseau, notamment les opérateurs de télécommunications, considèrent comme normal de pouvoir proposer des offres tarifaires et techniques différentes aux éditeurs de contenus en fonction de leur occupation du réseau. Un peu comme une société d’autoroute qui facturerait des péages plus élevés aux gros camions qui encombrent ses routes avec leurs activités commerciales.

Un principe déjà remis en question par le passé

Voilà 20 ans que les partisans et les opposants du principe de neutralité ferraillent juridiquement. En 2017, Donald Trump avait fait le choix de l’abolir, quand ce principe avait été instauré par une réglementation édictée en 2015 sous la présidence de Barack Obama.

Cette année, l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ohio porte avant tout sur la procédure juridique, puisque les juges ont estimé que la FCC – la Commission fédérale des communications – ne disposait pas de l’autorité administrative pour imposer ce principe à l’ensemble des acteurs du Net. Il lui aurait fallu, selon eux, une délégation claire émanant du Congrès.

Par ailleurs, Brendan Carr, l'homme que le Président élu Trump a d’ores et déjà désigné pour prendre la tête de la FCC, est favorable au fait que les opérateurs puissent ralentir ou au contraire favoriser certains services en ligne. Ainsi des offres tarifaires adaptées permettraient de rendre plus accessibles certains contenus. Il y a donc peu de chance de voir la FCC contester devant la Cour Suprême le jugement de la Cour fédérale de Cincinnati (Ohio).

Des aménagements juridiques envisageables par Etat fédéré

La seule perspective désormais est un possible recours devant la Cour Suprême par les tenants de la neutralité. Certains Etats fédérés, comme la Californie ou le Colorado, peuvent prendre des initiatives en se dotant de législations spécifiques qui consacrent sur leur territoire le principe de neutralité du Net. Tous les internautes étasuniens ne seront donc pas traités de la même manière dans leurs futurs usages numériques.

Ce n’est pas qu’une question technique de connexion à Internet. Mais aussi un sujet relatif à la liberté d’expression, à la capacité d’innovation, à la concurrence ouverte en matière d’offres numériques, à la non-discrimination et à la diversité des contenus accessibles en ligne. Une illustration supplémentaire du caractère très politique de ce réseau des réseaux.

En Europe, un principe consacré par le Droit depuis 2016

En Europe, depuis 2016, le législateur protège la neutralité du net, en reconnaissant formellement son principe dans un règlement sur l’Internet ouvert. En France, c'est l'Arcep, l’Autorité de régulation des communications électroniques, qui est chargée de sa mise en œuvre, et veille à son respect par les fournisseurs d’accès à Internet.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.