Durcissement de la justice des mineurs : "On n'est pas dans un phénomène d'explosion de l'insécurité", analyse un le sociologue Jean Viard

Jean Viard, sociologue, analyse la proposition de loi sur la justice des mineurs et la parentalité. Il plaide pour une approche équilibrée entre éducation, sanction et une prise en compte des réalités sociales des jeunes.

Article rédigé par Victor Matet
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Pour le sociologue Jean Viard, il faut concilier éducation, sanction et compréhension des contextes sociaux. (Photo d'illustration). (PATRICK SHEÀNDELL O' CARROLL / MAXPPP)
Pour le sociologue Jean Viard, il faut concilier éducation, sanction et compréhension des contextes sociaux. (Photo d'illustration). (PATRICK SHEÀNDELL O' CARROLL / MAXPPP)

Alors que l'Assemblée nationale adopter jeudi 13 février un texte porté par Gabriel Attal pour durcir la justice des mineurs, avec des mesures telles que la sanction des parents et la dérogation à l'excuse de minorité, un rapport sur la parentalité suggère de promouvoir "une autorité bienveillante". Ces deux textes, qui touchent à la fois aux jeunes et à leurs parents, soulèvent des interrogations sur la répartition des responsabilités. Pour le sociologue Jean Viard, il faut nécessairement concilier éducation, sanction et compréhension des contextes sociaux, tout en insistant sur la complexité des réalités liées à la délinquance juvénile. 

Franceinfo : L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi portée par Gabriel Attal et dans le même temps, une commission d'experts propose, dans un rapport sur la parentalité, de mettre en avant, "une autorité bienveillante". Ces textes qui s'intéressent à la fois aux jeunes de moins de 18 ans et aux parentsls ont-ils une responsabilité équivalente pour vous? 


Jean Viard : Non. Ce qui est vrai, c'est qu'on parle de garçons pour l'essentiel à 80% des cas, qui souvent vivent seuls avec leur maman. Donc je dirais, c'est un peu aussi les hommes de la maison, donc c'est compliqué, il faut tenir compte de cette situation. Après la question c'est : "c'est quoi un jeune ? ". Le jeune est dans un double processus, il est dans un processus d'éducation, donc il faut lui apprendre les interdits, il faut lui apprendre les choses autorisées. Quand il transgresse une ligne, il faut prendre le temps de lui expliquer, puis de le punir après. C'était le but de l'excuse de minorité, c'était l'idée depuis 1945 et je pense que c'est à protéger. Le deuxième processus, c'est la sanction. En Europe du Nord en ce moment, on entend souvent "il vaut mieux une sanction très courte, immédiate, pour qu’il y ait une espèce de prise de conscience. " J'allais dire que c'est comme une paire de claques virtuelles. Pourquoi pas ? Je suis sociologue, je ne suis pas effectivement juge. Moi j'écoute ce que disent les juges des enfants, ils ont tendance à sursauter parce qu’ils disent qu’il y a moins de jeunes poursuivis, ou plutôt il n'y a pas d'augmentation. Mais après, il se peut qu'il y ait des phénomènes plus violents, il y a toute la question du développement du couteau. Mais faire une carte postale où la jeunesse serait particulièrement dangereuse, il faut faire attention. Il y a une mode réactionnaire qui nous saisit et je crois qu'il faut qu'on reste les pieds sur terre dans une solution un peu équilibrée, notamment les jeunes des quartiers populaires.

 
Vous avez parlé à la fois d'éducation et de sanction. Les deux doivent peuvent cohabiter ? 


Pas forcément dans le même temps. C’est justement ça un jeune. C'est-à-dire qu'il est à la fois en croissance et donc en éducation et en même temps il y a la sanction. Comment on articule les deux ? C'est vrai aussi que les jeunes ont changé, c'est vrai aussi qu'il y a Internet, c'est vrai aussi qu'il y a tout ça. Il y a aussi la question du trafic de drogue. Le nombre de meurtres en France n'a pas augmenté, il avait beaucoup baissé, il a légèrement ré-augmenté depuis quelques années. Mais en même temps, plus de 10% de ces meurtres sont en fait liés au trafic de drogue. Alors on pourrait poser une autre question si effectivement on légalise le hash et qu'on l'encadre comme en Allemagne, au Portugal, en Californie, etc. Est-ce que ça ne ferait pas diminuer ce type de violence ? J'aimerais bien une étude comparative pour savoir, par exemple en Allemagne, quand on a autorisé le haschich dans des conditions très réglementées, est ce que la violence des jeunes a diminué ? 


Avec une réalité parfois difficile à appréhender ? Tout le monde ne dit pas la même chose. Les syndicats de magistrats, par exemple, estiment que la délinquance juvénile est plutôt en baisse ces dernières années. 


Ils estiment, c'est leur job, donc j'ai tendance à croire leur chiffre. Néanmoins le couteau ne me semblait pas un outil avant autant utilisé, donc il peut y avoir, non pas pas une augmentation des délits, mais une augmentation des bagarres de bandes pour défendre des territoires et une augmentation autour de la drogue. Et les deux phénomènes peuvent être effectivement liés au fait que de plus en plus de jeunes ont un couteau. Qu à l'entrée des lycées, Il y ait des portiques métalliques pour détecter la présence de couteaux, pourquoi pas ? Mais, n'exagérons pas l'importance du phénomène. Il n'y a pas une augmentation des délits commis par les jeunes. Les juges le disent, ça aussi. On n'est pas dans un phénomène d'explosion de l'insécurité, on est dans un phénomène d’explosion d’une certaine insécurité à certains endroits et vis à vis de certaines populations. 

Dernier livre de Jean Viard : L'individu écologique. Naissance d'une civilisation, Editions de l'Aube, 2024.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.