Narcotrafic : "On peut faire un parallèle avec la stratégie des supermarchés", estime Jean Viard

À partir de lundi, les députés se penchent sur la proposition de loi pour lutter plus efficacement contre le narcotrafic. Le sociologue Jean Viard analyse la façon dont ce phénomène gangrène les villes moyennes et comment il rompt le lien social dans les quartiers les plus exposés.

Article rédigé par Benjamin Fontaine - Jean Viard
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Plus d'un million de Français ont consommé de la cocaïne au moins une fois dans l'année en 2023 selon le ministère de l'Intérieur. (MRS / MOMENT RF)
Plus d'un million de Français ont consommé de la cocaïne au moins une fois dans l'année en 2023 selon le ministère de l'Intérieur. (MRS / MOMENT RF)

Création d'un nouveau parquet national, techniques d'enquêtes renforcées, fermeture facilitée des commerces qui blanchissent l'argent de la drogue... À partir de lundi 17 mars, l'Assemblée nationale examine la proposition de loi visant "à sortir la France du piège du narcotrafic". Le trafic du drogue a fait 110 morts et 334 blessés en 2024 en France selon le ministère de l'Intérieur.

franceinfo : Le narcotrafic ne sévit plus que dans les grandes villes désormais. Comment a-t-il gagné ce qu'on appelle la France des sous-préfectures ?

Jean Viard : Grâce à un modèle très simple. Les trafiquants ont envoyé des représentants dans les petites villes pour ouvrir des points de vente pour élargir leur marché. On peut faire un parallèle avec la stratégie des supermarchés qui ouvrent des supérettes en plus des grandes surfaces. S'ils le font, c'est parce qu'il y a énormément d'argent à gagner et parce qu'il y a des consommateurs ! Il y a aujourd'hui cinq millions de fumeurs de cannabis qui consomment chaque semaine, un million tous les jours. La stratégie de prohibition est un échec en France. 

franceinfo : Le développement des transports, des lignes à grande vitesse, a aussi joué un rôle dans ce développement. On parle aujourd'hui d'ubérisation avec des revendeurs qui voyagent facilement et rapidement d'une ville à l'autre...

Jean Viard : Le Covid a accéléré cette ubérisation parce qu'il fallait continuer à vendre. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une société de l'abonnement et de la livraison. On se fait livrer ses courses, on se fait livrer des pizzas, on se fait livrer tout un tas de choses par Amazon ou un autre réseau, c'est devenu une culture. Il y a aussi le sentiment que c'est moins dangereux de se faire livrer à sa porte que d'aller sur un point de deal où l'on peut se faire agresser. Il y a beaucoup de violences qui sont terribles pour les habitants des quartiers.

franceinfo : Vous parlez de la violence. Est-ce qu'on peut dire aussi que le narcotrafic redessine les relations sociales dans les quartiers qui sont touchés ? Entre ceux qui en profitent et ceux qui en sont victimes ?

Jean Viard : Le problème, c'est que dans ces quartiers, il y a beaucoup de misère. Dans les quartiers pauvres, vous avez deux millions de femmes seules avec enfant(s), qui ont souvent fait très peu d'études et qui ont peu de revenus. Comment réagir quand un gamin de dix ans ramène 50 € par jour ? Tout ce trafic crée une immense nuisance pour les habitants, les enfants, les parents et les policiers sont débordés. Ils manquent de moyens. Ils répètent souvent que ce n'est pas avec une petite cuillère qu'ils vont vider la piscine.

franceinfo : On observe d'ailleurs que c'est un mal qui mobilise assez largement. Pas seulement les forces de sécurité. Cela va du bailleur au maire en passant par les médiateurs sociaux....

Jean Viard : Parce que ça gâche la vie des gens. Les dealers ferment les territoires. Ils bloquent les accès aux quartiers et créent une ambiance de peur. Il est clair que cela crée des territoires dans lesquels vous ne pouvez plus, parfois, installer d'entreprises ou de commerces, parce que le vrai commerce du territoire, c'est celui de la drogue. Ce sont des situations qui cassent les liens sociaux, qui rendent ces territoires de plus en plus pénibles à habiter. Je crois qu'il faut s'intéresser à cette souffrance des habitants. Pour le moment on se penche plutôt sur la question de la morale publique que sur la question du soin aux populations.

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