Projet de loi immigration : "Le modèle de la Ve République ne fonctionne plus ; il faut revenir à un système proportionnel", estime Jean Viard
Nous sortons d'une semaine agitée politiquement, et la prochaine ne s'annonce pas vraiment plus calme avec, lundi, la commission mixte paritaire sur la loi immigration. Les stratégies politiques tournent à l'affrontement, souligne le sociologue Jean Viard. Décryptage.
Hervé Marseille, sénateur centriste des Hauts-de-Seine, était l'invité du "8h30 franceinfo", ce samedi 16 décembre, et il estime que "les conditions sont réunies à nos yeux pour aboutir" à un accord en commission mixte paritaire, sur le projet de loi immigration, lundi 18 décembre, où sept sénateurs et sept députés vont se retrouver à 17h.
On en a beaucoup parlé sur France Info et de tous les bords : la version du gouvernement a subi la motion de rejet. Emmanuel Macron appelle à trouver un compromis intelligent au service de l'intérêt général. Mais on a vu que les jeux, les stratégies politiques à l'Assemblée prennent beaucoup de place.
franceinfo : On a l'impression qu'un an et demi après les élections législatives, Jean Viard, c'est difficile de s'adapter à la majorité relative, à l'obligation de trouver des compromis finalement ?
Jean Viard : Oui, c'est difficile, mais tout le monde cherche un peu l'affrontement, donc on ne sait pas très bien où on va, parce qu'en fait, ce dont on parle, c'est de l'immigration des gens de couleur, puisque l'immigration des Ukrainiens ne pose pas de problèmes.
Vous dites que c'est ça le fond du débat, c'est ce qui pose problème en fait ?
Ben oui, et puis l'idée de mélanger dans une loi le fait qu'on a besoin de plus de travail – on n'arrête pas de nous le dire – pour la bataille climatique, il faut plus travailler ou avoir plus de travailleurs. L'Italie vient de récupérer 500.000 personnes du sud pour créer des emplois, alors que c'est un gouvernement plus à droite que le nôtre. Donc, on est dans un modèle absurde, on mélange 'plus de travail' – oui, on en a besoin – 'plus d'expulsions de délinquants' – oui, on en a besoin. En gros, c'est ce que pensent les Français. Et on met tout ça dans la même loi, sans majorité. Donc, si on y arrive, c'est vraiment qu'on aura abandonné la loi.
Tout cela me semble politiquement désastreux, parce qu'on dirait qu'on est complètement envahi. On n'est pas envahi. La société française n'est pas plus brutale, la société française n'est pas insécurisée. Il y a des cas dramatiques, il y en a trois morts par jour en France, bien entendu. Deuxième chose, le plus important, c'est que c'est le réel qui change. Le problème, c'est que la cinquième République a été construite au moment où il y avait deux camps politiques. Il y avait l'Église d'un côté, et le Parti communiste de l'autre, pour aller très vite. Et puis, petit à petit, le Parti communiste a été mangé par Mitterand. Mais il y avait deux camps. Donc au fond chaque camp pouvait arriver à 51%.Pour simplifier, droite et gauche aussi, mais on n'est plus là-dedans.
Je suis en train de finir un livre qu'on est en train d'écrire avec Laurent Berger, qui va s'appeler : Pour une société de compromis. On n'a pas fini, ça va sortir dans trois ou quatre mois. Mais pourquoi ? Parce qu'on est dans une époque de rupture radicale : rupture climatique, avec ses conséquences effectivement sur les migrations, mais pas seulement. L'innovation, nos modes culturels, nos façons de nous déplacer, le monde va changer à une vitesse phénoménale dans ce XXIe siècle.
Et le problème, c'est que quand il y a des ruptures radicales, est-ce qu'il faut des affrontements radicaux ou à l'inverse, est-ce qu'il faut apprendre à faire des compromis ? Et donc, du coup, dans tous les pays, il y a à peu près les mêmes pourcentages. Regardez l'extrême droite, il y a 27% en Hollande, on dit l'extrême droite a gagné, nous, l'extrême droite va être presque à 40%, entre 37 et 40%, si on ajoute toutes les listes.
L'éclatement du paysage politique dans beaucoup de pays est lié à la transformation des enjeux dites-vous, mais si on comprend bien, le compromis est difficile à trouver et qu'en France, il paraît même être une faiblesse pour la classe politique parfois ?
Oui, mais c'est aussi parce que le modèle de la Ve République est construit pour un monde binaire, et ne fonctionne plus dans un monde où il faut faire des compromis. Donc ça veut dire qu'il faut revenir à un système proportionnel. La Ve République est une très belle règle, d'ailleurs elle marche, mais évidemment qu'il faut arriver à une société où on va effectivement faire de la proportionnelle, peut-être pondérer, c'est à discuter, moi, je serais pour qu'on dissolve la chambre et qu'on fasse une élection à la proportionnelle. Ça n'a pas besoin d'une loi.
Et qu'est-ce que ça changerait ?
Mais ça changerait qu'on saurait, pendant la campagne, qu'on ne va pas se gouverner tout seul. il y a quelques idées dans d'autres camps qu'on trouve sympa. Donc je veux dire, il n'y a pas le bien, le mal, les gentils, les méchants, et une société de proportionnelle oblige à des négociations, et oblige à apprendre la négociation. Regardez dans les entreprises, plus de 80% des accords, et même parfois 89% des accords sont signés par tout le monde. Et dans toutes les entreprises de France, et par tous les syndicats.
Donc on sait négocier puisqu'on sait le faire dans les entreprises, et que les syndicats ne sont pas plus d'accord entre eux – les luttes syndicales et patronales, c'est quand même des affrontements autrement violents. On sait négocier, simplement il faut un cadre qui soit un cadre de la Ve République et il faut effectivement une proportionnelle intelligente en disant aux gens : personne ne va être majoritaire, donc faites campagne en sachant que vous allez négocier, ça prendra un peu de temps. Je vous rappelle que Michel Rocard disait toujours : "gouvernons avec les sociologues", et il a quand même donné le modèle d'un gouvernement minoritaire qui, mine de rien, a bien travaillé.
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