"Submersion" migratoire : "On est dans une époque où le ressenti nous envahit complètement", analyse le sociologue Jean Viard

Le Premier ministre François Bayrou a créé la polémique en utilisant l'expression sentiment de "submersion" migratoire. Un terme souvent utilisé par l'extrême droite qui interroge sur la manière de parler d'immigration et d'intégration, selon le sociologue Jean Viard.

Article rédigé par franceinfo - Jean Viard
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Temps de lecture : 4min
Le Premier ministre François Bayrou en visite à Mayotte, le 30 décembre 2024. (MICHAEL BUNEL / LE PICTORIUM / MAXPPP)
Le Premier ministre François Bayrou en visite à Mayotte, le 30 décembre 2024. (MICHAEL BUNEL / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Ce sont des termes qui ont marqué la semaine politique en France : submersion migratoire. Expression utilisée par le Premier ministre François Bayrou, qui a parlé plus exactement d'un "sentiment de submersion" migratoire pour qualifier la situation dans certaines régions du pays, notamment à Mayotte. Un terme rejeté et dénoncé par la gauche, mais assumé par le chef du gouvernement.

franceinfo : Est-ce que c'est l'avènement du règne du ressenti pour faire de la politique, quand bien même les réalités parfois disent le contraire ? La population étrangère représente 8,2% de la population totale.

C'est clair qu'on est dans une époque où le ressenti, le sondage, nous envahit complètement et qu'on ne parle presque plus que de ça. Submersion est un terme que je n'utilise pas pour compter des hommes, parce que la submersion, c'est quand c'est une vague qui submerge les hommes. Là, ce ne sont pas des vagues, ce sont des individus avec des histoires autonomes.

Ensuite, j'ai beaucoup travaillé sur le tourisme et quand j'ai vu apparaître le terme surtourisme, je n'étais pas convaincu. Car il n'y a pas de seuil, pour moi ça ne marchait pas. Et c'est vrai, à un endroit, ça va être à partir de 100 de plus, ailleurs, de 1 000 de plus. C'est pareil pour les immigrés. Moi qui suis à Marseille, je suis habitué à une ville de toutes les couleurs, vous allez à Neuilly, ça pose un problème.

Sur les chiffres des étrangers en France, il y en a un petit peu plus qu'avant. Hervé Le Bras disait qu'il y a 100 000 à 150 000 personnes issues de l'immigration en plus par an. Mais après, en France, depuis 50 ans, tout le temps, dans les médias, on nous dit : "on est envahi, on est envahi".

"Ce sont des discours qui viennent de l'extrême droite. Pour la plupart des gens, leur représentation du monde, c'est plus dans les médias que leur quotidien."

Jean Viard

à franceinfo

La peur de l'autre, c'est l'autre qu'on ne connaît pas. C'est toujours la même histoire.

Le terme submersion migratoire est une expression utilisée par l'extrême droite. Est-ce que c'est une victoire pour elle de voir le chef du gouvernement l'utiliser ?

Je fais partie de ceux qui pensent qu'il s'est un peu pris les pieds dans le tapis. C'est un terme qui se banalise, car l'extrême droite en France est extrêmement forte, et donc tous ces termes se développent dans la population. Mais pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas d'autres termes, parce qu'on se cache sous la table. Est-ce qu'on peut fermer les frontières ? Non. Mais qu'un État se pose la question de ses frontières, c'est normal.

Et dans le même temps, il y a tel désir de venir en Europe, il y a 30 000 personnes qui se sont noyées en Méditerranée pour venir en Europe. Vous vous rendez compte de la force du désir chez ces gens ? Il faut fortement les intégrer parce qu'on n'est pas dans le même schéma culturel. Or, je pense que là, on n’accomplit pas assez le travail.

"La France, c'est à peu près 20% de gens issus de l'immigration. Et la question, c'est comment on les forme, comment on leur donne nos valeurs."

Jean Viard

à franceinfo

Le problème, c'est comment on leur donne des études qui permettent qu'ils aient un travail, qui leur permette de vivre correctement. Il faut se poser la question plus tôt comme ça.

Cette semaine, en Allemagne, la CDU, le Parti conservateur, a fait alliance avec l'AfD, le parti d'extrême droite, sur un texte non contraignant qui appelle à durcir la politique migratoire du pays. C'est une digue qui saute dans un pays voisin ? Ça pourrait arriver en France aussi ?

Je crois que les Français n'ont pas trop intérêt à parler des digues qui sautent chez nos voisins, vu ce qu'on a fait nous-même. La vérité, c'est que la question de l'immigration, elle envahit la scène politique et ça va s'accélérer avec le réchauffement climatique. Mais quand il y a 20% des gens qui votent pour un parti d'extrême droite, forcément, à ce moment-là, petit à petit, certains vont se dire qu'il y a besoin d'eux pour une majorité.

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