Affaire Urgo : bouteilles de champagnes, bijoux, smartphones... Les cadeaux empoisonnés du géant pharmaceutique

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Article rédigé par France 2 - B. Delombre, J-M. Lequertier, E. Henry, A. Raynal, J. Louradour, M. Laurent, O. Barba, A. Lopes. Édité par l'agence 6Médias
France Télévisions

Vendredi 19 septembre, 17 pharmaciens de la Sarthe ont été condamnés à des amendes pour avoir reçu des cadeaux du groupe Urgo. Près de 8 000 pharmaciens, soit 40% de la profession, auraient accepté un pacte illégal avec le géant pharmaceutique. 

Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour le regarder en intégralité.

Pour un pharmacien, dénoncer les pratiques des laboratoires n'est jamais facile. D'autant plus quand elles sont à l'origine de l'un des plus grands scandales de l'histoire de la profession. Pendant des années, à la place des remises de prix sur les commandes de compresses ou de pansements, un grand laboratoire français a proposé à un pharmacien des cadeaux pour son usage personnel. "C'était assez alléchant et important. Ils avaient un catalogue de cadeaux qu'on pouvait obtenir en échange, en moyennant une commande de produits. C'était comme si c'était plus une fleur du labo", raconte le professionnel.

55 millions d'euros de cadeaux distribués illégalement

Des cadeaux illégaux, destinés à fidéliser les pharmaciens et proposés par une marque connue des Français depuis des générations : la société Urgo. Entre 2015 et 2021, selon la répression des fraudes, l'entreprise bourguignonne aurait distribué illégalement 55 millions d'euros de cadeaux via un catalogue. On y trouvait des ordinateurs portables, du mobilier de luxe ou des ventilateurs dernier cri.

En France, 8 000 pharmaciens auraient accepté ces cadeaux pourtant synonymes d'infractions aux règles déontologiques, de fraudes fiscales et d'abus de biens sociaux. C'est le cas d'un praticien du sud de la France. Lui a dû payer 17 000 euros d'amende pour avoir accepté, entre autres, un frigo ou une montre de luxe. Interviewé en 2024, il assurait avoir été trompé. "Je ne suis pas juriste. L'assurance m'était faite à chaque fois que les avocats, c'était bouclé, c'était verrouillé, que tout était déclaré à l'État. J'ai été très bien entraîné, bien accompagné à commettre ce délit", estime Marc Alandry, pharmacien à Couiza (Aude).

Des cadeaux plutôt que des remises

Depuis 2017, la loi française est pourtant claire : à l'exception de deux repas par an de moins de 30 euros, de livres ou d'échantillons, les cadeaux des laboratoires sont interdits. Alors pourquoi la multinationale Urgo a-t-elle enfreint la loi ? Contactée, la société n'a pas répondu aux demandes d'interviews de France Télévisions. L'équipe de journaliste a pu échanger avec un ancien employé du groupe. Pour lui, Urgo gagnait de l'argent en proposant des cadeaux plutôt que des remises. "Urgo s’y retrouvait parce qu’ils négociaient les prix. Le prix du cadeau n’était pas du même montant que la remise perdue. Si la remise valait 500 euros par exemple, le laboratoire achetait le cadeau à 300 euros", détaille la source.  

Le stratagème a très vite dépassé les attentes des commerciaux eux-mêmes. "Des pharmaciens nous appelaient : 'tiens j’ai besoin d’une montre', j’ai besoin d’un iPhone pour mon fils'. Une fois que le client avait choisi son cadeau, ça n'avait plus aucune importance ce qu'il fallait faire. C'est-à-dire qu'on n'était plus dans le monde de la pharmacie", poursuit l'ancien employé. Chaque cadeau offert est alors scrupuleusement répertorié par Urgo. Des centaines de pages, où apparaissent les noms des pharmaciens.

Les listings livrés aux enquêteurs

Quand l'affaire éclate, les enquêteurs de la répression des fraudes mettent rapidement la main sur ces listings, une source ayant eu accès à l'enquête confie : "Tout était répertorié au cadeau près. C'était du pain béni pour les enquêteurs. Urgo était une marque en qui les pharmaciens avaient confiance. Et là, au premier pépin, ils balancent tout."

Les listings servent aujourd'hui de base aux poursuites judiciaires et créent le malaise dans la profession. Pour Carine Wolf-Thal, la présidente du Conseil de l'Ordre des Pharmaciens, l'heure est au recadrage. "Dès qu'on parle d'avantages, il faut qu'il y ait une lumière qui s'allume, qu'il y ait attention, danger. Le professionnel de santé doit avant tout penser à l'avantage du patient et de l'assurance maladie avant des avantages personnels", commente-t-elle.

Dans l'affaire Urgo, environ 500 pharmaciens ont déjà été condamnés, et des centaines d'autres sont en attente d'être jugés. Le laboratoire, lui, a négocié sa sanction : un peu plus d'un million d'euros d'amende.

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