Automate de shoot : "Je m'injecte chez moi, le matin et le soir. Ici, c'est la merde"
/2015/04/02/IMG_0634_1.jpg)
En attendant l'expérimentation de salles de consommation encadrée, l'association Safe met à disposition des toxicomanes des distributeurs de kit d'injection. Reportage près de l'hôpital Lariboisière, à Paris.
"T'as pas une 2 cc s'te plaît ?" Moins de cinq minutes après avoir garé sa camionnette devant l'automate de la rue de Maubeuge, le long de la gare du Nord à Paris, Benoît se retrouve au milieu d'un petit attroupement.
Le temps de trouver la seringue, sept hommes se sont agglutinés derrière lui. "Poussez-vous !", s'énerve l'un d'entre eux, qui insiste pour obtenir un sac de couchage. Il sort subitement une bombe lacrymogène de la manche de son blouson et la brandit aux visages des autres : "Rentrez chez vous maintenant !"
Le groupe se disperse aussitôt, certains déguerpissent au coin de la rue. Benoît garde le sourire. "C'est bon, je vais m'occuper de tout le monde", lance-t-il, toujours affairé dans son fourgon. L'homme finit par ranger son arme de défense en s'excusant.
Benoît, salarié depuis trois ans pour Safe, effectue des tournées quotidiennes pour remplir les 34 distributeurs de kits d'injections stériles que l'association met à disposition des toxicomanes à Paris.
Adaptées à partir d'un modèle allemand de distributeurs de cigarettes, ces machines permettent aux consommateurs de drogues d'obtenir un kit comprenant deux seringues de 1 millilitre, un récipient pour faire le mélange, de l'eau stérilisée, des tampons alcoolisés et un préservatif. "Le problème, c'est qu'on ne peut pas mettre dans le même distributeur des seringues de 2 ou de 5 centimètres cube pour les usagers qui ont besoin de plus diluer leur produit", explique le membre de SAFE en fouillant dans les cartons de sa camionnette.
Des tensions, mais pas de violences
Commentant la scène qui vient de se dérouler, Karim, un autre homme venu chercher un kit, explique : "Vous savez, nous, on dort sur des cartons dans un squat." Ce trentenaire, rasé de près et vêtu d'une petite veste en jean, ne colle pas vraiment au cliché du toxico. Pourtant, il se rend souvent au distributeur de la rue de Maubeuge pour obtenir des seringues stériles. "Moi, je m'injecte chez moi, le matin et le soir. Ici, c'est la merde, y'a les flics qui nous mettent la pression", confie-t-il.
Les automates de l'association Safe sont disposés dans des lieux de consommation de drogue connus dans la capitale, qui sont aussi les endroits où gravitent les dealers. A deux pas du distributeur, aux abords de l'hôpital Lariboisière, on vend à peu près tout ce qui s'injecte. Pour se piquer, les usagers se cachent où ils peuvent : des halls, des parkings, et parfois même dans la rue.
Pas de mort dans les salles de consommation encadrée
"On milite depuis six ans pour la création de salles de consommation encadrée en France", se désole Catherine Duplessy, la directrice de Safe. La première infrastructure d'accueil pour les toxicomanes a ouvert en 1986, à Berne (Suisse), il en existe aujourd'hui plus de 80 en Europe. Dans ces lieux, les usagers de drogues sont reçus par des professionnels de santé, qui veillent à la prévention des risques de contaminations virales (sida, hépatites...) et bactériennes. Mais ils facilitent aussi une prise en charge des addictions et un accès plus général aux soins de santé.
"Cela permet d'assurer plus de salubrité dans l'espace public. Usagers, professionnels, riverains : tout le monde est gagnant", assure-t-elle. Le projet de loi Santé, veut remettre sur la table l'expérimentation de ces "salles de consommation de drogue à moindre risque". A la suite de l'opposition suscitée par un premier projet d'expérimentation à Paris, la mairie a finalement décidé d'implanter la salle de consommation sur le terrain de l'hôpital Lariboisière.
La machine a été 85 fois en rupture de stock
En attendant la loi, les bénévoles de Safe remplissent quotidiennement leurs distributeurs de kit d'injection. "Ici, c'est le premier distributeur de France", plaisante Benoît empilant, au fur et à mesure, les 360 kits que peut contenir la machine. Au total, 157 974 seringues ont été prélevées dans cette machine pour la seule année 2014.
Malgré les rondes quotidiennes de Benoît et de ses collègues, la machine s'est retrouvée 85 fois en rupture de stock. Il lui faut un petit quart d'heure pour remplir l'automate et évacuer les paquets usagers. Alors qu'il s'apprête à remonter dans son véhicule pour poursuivre sa tournée, une femme s'approche en tendant la main, un nourrisson dans les bras. Une fois le kit en main, et sans avoir échangé un mot, elle disparaît aussitôt avec son enfant au coin de la rue, direction l'hôpital Lariboisière.
À regarder
-
Cancer : des patientes de plus en plus jeunes
-
Cessez-le-feu à Gaza : un premier pas vers la paix
-
Quand t'as cours au milieu des arbres
-
Il gravit la tour Eiffel en VTT et en 12 min
-
Pourquoi on parle de Robert Badinter aujourd'hui ?
-
Robert Badinter : une vie de combats
-
La tombe de Robert Badinter profanée à Bagneux
-
Accord Hamas-Israël, la joie et l’espoir
-
"Qu’on rende universelle l'abolition de la peine de mort !"
-
Guerre à Gaza : Donald Trump annonce qu'Israël et le Hamas ont accepté la première phase de son plan
-
Les "MedBeds, ces lits médicalisés qui affolent les complotistes
-
Front en Ukraine : des robots au secours des blessés
-
Taylor Swift : la chanteuse de tous les records
-
Robert Badinter : le discours qui a changé leur vie
-
Nouveau Premier ministre, retraites : les temps forts de l'interview de Sébastien Lecornu
-
Lennart Monterlos, détenu en Iran depuis juin, a été libéré
-
Charlie Dalin : sa course pour la vie
-
La mère de Cédric Jubillar se dit rongée par la culpabilité
-
Le convoi du président de l'Équateur attaqué par des manifestants
-
Le discours de Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort en 1981
-
Pourquoi les frais bancaires sont de plus en plus chers ?
-
Oui, en trois ans, le coût de la vie a bien augmenté !
-
Pas de Pronote dans ce collège
-
Robert Badinter : une vie de combats
-
Disparition dans l'Orne : la petite fille retrouvée saine et sauve
-
"L’antisémitisme est devenu une mode", déplore Delphine Horvilleur
-
"Une pensée de l'espoir" nécessaire pour Delphine Horvilleur
-
Ils ont le droit à l’IA en classe
-
"Il y a un monde politique qui est devenu dingue. Il est temps que ça s’arrête. Ça va rendre fou tout le monde"
-
Pouvoir d'achat : les conséquences d'une France sans budget
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter