: Témoignages "Mon fils décrivait une personne qui n'était pas moi" : des personnes atteintes d'Alzheimer précoce et leurs proches racontent leur quotidien fragile
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Cette pathologie concerne 900 000 personnes en France et reste encore largement associée au grand âge. Pourtant, environ 9% des malades sont diagnostiqués avant l'âge de 65 ans.
"Je me suis permise d'écrire des pense-bêtes, comme ça je n'oublierai pas ce que je voulais vous dire." Au téléphone, en ce matin de septembre, Florence Niederlander est "heureuse". Voilà deux ans qu'elle partage son quotidien avec Didier qui l'emmène en vacances, lui mijote des plats gourmands et consigne tous les rendez-vous, jour après jour, sur les grands tableaux qui habillent leur maison en Sologne. Une décoration devenue indispensable pour cette femme de 55 ans atteinte de la maladie d'Alzheimer. Dimanche 21 septembre est la Journée mondiale consacrée à cette pathologie neurodégénérative qui affecte la mémoire ainsi que d'autres fonctions cognitives, comme le langage et l'apprentissage, et entraîne une perte d'autonomie.
Comme Florence Niederlander, 900 000 personnes sont touchées par cette maladie en France, selon l'Institut Pasteur. L'un des principaux facteurs de risques de la contracter est l'âge, mais environ 9% des cas sont dits "jeunes", c'est-à-dire diagnostiqués avant l'âge de 65 ans. Soit un total de 33 000 personnes, selon l'association France Alzheimer, et 5 000 de moins de 60 ans. "Classiquement, la maladie arrive entre 75 et 85 ans, explique Kevin Rabiant, docteur en neurosciences et responsable du service Etudes et recherche au sein de l'association. Quand le patient est plus jeune, les répercussions sont très différentes. La maladie progresse généralement beaucoup plus vite et les malades peuvent encore avoir des enfants à charge. Les conséquences ne sont pas les mêmes, socialement, mais aussi financièrement."
Aucune structure adaptée aux patients jeunes
Avant 60 ans, la maladie n'a effectivement pas les mêmes répercussions sur les patients, qui deviennent dépendants, ni sur leurs proches. En 2012, quand le diagnostic tombe pour Florence Niederlander, son fils n'a que 12 ans. "Au départ, je perdais mes habits, les objets avaient changé de place... Mais je trouvais toujours une excuse. Jusqu'au jour où mon fils m'a vue complètement perdue dans la cuisine. Il m'a dit : 'Là, maman, ça craint.' Je n'oublierai jamais cette phrase", retrace cette ancienne secrétaire médicale. Après une batterie de tests et d'examens médicaux, puis l'annonce des résultats, suivront des mois de silence, durant lesquels la mère de famille, "abasourdie", se sent incapable d'aborder le sujet avec ses proches. Elle finira par en parler à son fils, deux ans et demi plus tard. "L'ambiance à la maison était devenue invivable, mon fils décrivait une personne qui n'était pas moi", confie Florence.
Comme ces patients sont peu nombreux, "la prise en charge et les soins d'accompagnement ne sont pas calibrés pour eux", concède David Wallon, neurologue et codirigeant du Centre national de référence malades Alzheimer jeunes (CNRMAJ). Au grand dam de Mickael Frijero, dont la femme Lætitia, 44 ans, est devenue complètement dépendante.
"Lætitia ne reconnaît plus ses enfants, elle peut même être agressive envers eux. Elle est incontinente et ne peut plus s'habiller toute seule, elle n'a plus la sensation de soif ou de faim."
Mickael Frijero, mari d'une malade de 44 ansà franceinfo
Ce père de trois enfants, âgés de 3, 14 et 17 ans, aimerait pouvoir placer son épouse en institution. La structure la plus adaptée serait un Ehpad, mais c'est impossible avant l'âge de 50 ans. "On m'a proposé de la placer en unité de soins palliatifs, mais c'est inhumain, tance le quadragénaire. De temps en temps, le service neurologie qui la suit la prend en charge un mois pour me soulager, mais ce n'est pas adapté."
En France, il n'existe que deux structures pouvant accueillir ces jeunes malades. Les Maisons de Crolles, en Isère, sont réservées aux personnes de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Mais Mickael Frijero vit à plus de 200 km de là. Il se bat pour que l'association Mana, dirigée par trois soignants, puisse ouvrir une structure similaire en Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui prendrait en charge Laetitia. "A la retraite, j'aurais pu m'en occuper à plein temps, ou la placer dans un lieu sécurisant, souligne le policier municipal. Mais aujourd'hui, comment demander à une enfant de 3 ans de ne pas jouer ou crier ? A un ado de ne pas poser de questions ?"
Une longue errance médicale
Pour les patients et les soignants, envisager la maladie d'Alzheimer avant 65 ans n'est pas instinctif, d'où un diagnostic souvent tardif. Sans compter les symptômes spécifiques à ces jeunes malades, "non liés à la mémoire, comme les troubles du langage", qui sont "plus fréquents", observe David Wallon. La fatigue, les angoisses et les pertes de mémoire sont aussi des symptômes communs à la dépression, au burn out et à la maladie d'Alzheimer. La pathologie passe alors sous les radars et les malades "vivent souvent très longtemps avec avant de nous consulter", constate son confrère Thibaud Lebouvier.
Marilyn, ex-cadre dans la finance, était loin de s'imaginer que l'origine de sa fatigue chronique se nommait Alzheimer. "Je me sentais très fatiguée et j'avalais ma salive de travers pendant la nuit au point de m'étouffer dans mon sommeil", raconte-t-elle. Après avoir jonglé avec les chiffres toute sa vie, elle s'est inquiétée en buttant sur de simples additions. Elle a dû mettre un terme à sa carrière à 57 ans, bien avant l'âge de la retraite. "Tout s'est passé en l'espace de trois mois. Le médecin m'a mise en arrêt de suite, explique-t-elle. Ça a été dur, car j'aimais travailler et manifestement, je n'en étais plus capable."
Pour Marilyn, arrêter de travailler est aussi synonyme d'isolement. Quand elle a annoncé sa maladie à ses proches, elle a "perdu un couple d'amis, du jour au lendemain". "Souvent, l'entourage minimise les symptômes, ce qui est très difficile à vivre pour nous", regrette cette passionnée de littérature anglaise. "Je traduis encore des ouvrages, mais je n'arrive plus à suivre des conférences en anglais. Idem en lecture : je dois revenir sans cesse en arrière, le traitement de l'information est devenu difficile", explique-t-elle. Alors, sa vie sociale en a "pris un coup". Aujourd'hui âgée de 61 ans, cette habitante de Thionville (Moselle) "ne supporte plus d'être avec des personnes âgées". "Ici, il n'y a pas beaucoup d'activités proposées aux malades d'Alzheimer, à part des thés dansants, mais psychologiquement, je ne peux pas m'y résoudre", déplore Marilyn.
Une vie sociale qui s'étiole
A 61 ans également, Yannick Soulier ressent ce même décalage. En huit ans de maladie, cet ancien comédien de cinéma et de théâtre a vu son réseau professionnel et amical s'étioler au même rythme que sa mémoire. "Je me force à faire des choses, à parler avec les gens de mon immeuble, à sortir aussi, mais ce n'est pas si évident. Quand vous sortez des radars, on vous oublie vite", reconnaît l'acteur, qui a dû renoncer à ses nombreuses activités sportives, faute de pouvoir se déplacer seul. "Quand Yannick est seul, c'est le moment où il crée ses pires angoisses, analyse sa compagne, Mina Vendome, devenue son aidante. C'est isolant, car il ne peut plus se déplacer et aller vers les gens, donc il faudrait que ce soient eux qui viennent à lui". Or cet isolement peut avoir des effets délétères sur l'évolution de la maladie. Une étude de l'Inserm parue en juin 2024 a montré que le maintien d'une vie sociale active, la stimulation de son cerveau avec de la lecture, des jeux, du bricolage et l'activité physique permettaient de la ralentir.
A ce jour, il n'existe aucun remède à cette maladie. Les médicaments vendus en pharmacie permettent uniquement de lutter contre ses symptômes et ne sont plus remboursés en France depuis 2018, car jugés peu efficaces par la Haute Autorité de santé (HAS). Plus récemment, le 9 septembre, la HAS a refusé l'accès précoce au lecanemab, commercialisé sous le nom de Leqembi, un traitement novateur qui permet de ralentir les effets de la maladie, à cause d'effets indésirables graves. "Cela m'a mise très en colère, j'ai mis beaucoup d'espoirs dans ce traitement", peste Sylvie, 55 ans, qui a travaillé comme aide-soignante en Ehpad pendant des années avant de devoir y renoncer. "Quand je voyais les patients atteints d'Alzheimer, je me disais que j'aurais voulu avoir accès à l'aide médicale à mourir, pour mourir dans la dignité", raconte-t-elle. En effet, les patients atteints d'Alzheimer ont été exclus du texte sur l'aide à mourir, en raison de leur incapacité "à manifester [leur] volonté de façon libre et éclairée".
Sylvie a donc rédigé ses directives anticipées dès 2019, après que son neurologue lui a annoncé le diagnostic. Un souci évacué, qui lui permet désormais de se consacrer à l'essentiel : voyager, pratiquer des sports en tous genres et profiter de ses proches. "Avec mon mari, on se dit que le temps va être court. La maladie évolue entre dix et quinze ans, j'en ai déjà six derrière moi." Avant 2019, un baptême de l'air l'aurait effrayée. "Maintenant, je ne refléchis plus, je fais !" résume-t-elle dans un rire. C'est ainsi que, début août, elle est montée pour la première fois à bord d'un petit avion pour graver de nouveaux souvenirs. Avant que ceux-ci, à leur tour, ne s'envolent.
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