: Enquête Le dangereux business des ordonnances sur les plateformes de téléconsultation
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Le business de certaines plateformes de téléconsultation médicale inquiète les autorités de santé. Face à un médecin généraliste absent ou des délais trop longs avant un rendez-vous, de plus en plus de patients se connectent sur ces sites qui promettent ordonnances ou médicaments en ligne. Mais les contrôles sont souvent très insuffisants et les prescriptions peu rigoureuses.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription du reportage ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Et s'il était aussi facile d'obtenir une ordonnance ou un médicament que de commander une pizza en ligne ? Face aux déserts médicaux, c'est la promesse de nombreuses plateformes de téléconsultation qui fleurissent sur internet, parfois en toute illégalité et au mépris de la santé des patients. Raphaël, 24 ans, souffre d'un trouble de la personnalité sévère. Son psychiatre lui prescrit habituellement du Seresta, un psychotrope. Mais un matin, pour augmenter la dose, il se tourne vers une solution plus simple : "Je n'avais pas besoin et ni même l'envie de consulter mon psychiatre référent parce que j'avais les médicaments dans mon téléphone à portée de main."
Il s'inscrit en quelques secondes sur une plateforme médicale en ligne. Age, poids et adresse e-mail suffisent. "J'ai commencé ma consultation. On me demandait le motif de la consultation. Je mettais "anxiété". Quels sont les symptômes ? Boule au ventre, crise de panique... Puis, je mettais le traitement en question, donc là Seresta", montre Raphaël en direct sur son téléphone.
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Le jeune homme dissimule son addiction au psychotrope et, en quelques minutes, sans le voir ni lui parler, son interlocuteur valide la prescription de Seresta. "Le montant de la consultation : 30 euros. Je confirme et après, on se fait délivrer l'ordonnance très rapidement, très facilement", affirme Raphaël. A distance, le médecin lui a prescrit la dose maximale autorisée d'un anxiolytique puissant, que Raphaël consomme en une semaine au lieu d'un mois. Il finit aux urgences après une overdose médicamenteuse.
Quelle responsabilité en cas de problème ?
L'ordre des médecins a lancé une enquête disciplinaire contre le psychiatre. "Une ordonnance doit résulter d'un examen médical suffisant. Signer sans voir, c'est une faute déontologique, une pratique inacceptable", écrit le Conseil national de l'ordre des médecins.
Nous avons soumis l'ordonnance de Raphaël au président de la plateforme, Benjamin Zerah. Feeli, jeune pousse française, qui revendique plus de 100 000 téléconsultations par an, vante sur son site un "diagnostic fiable" et des "traitements adaptés". "Déjà, ce médecin n'est plus chez nous depuis une dizaine de mois, répond-il. On voyait qu'il avait quelques problématiques là-dessus, donc on régule quand même l'activité des médecins."
"Imaginons qu'il soit arrivé quelque chose de fatal à ce jeune homme. A qui incombe la responsabilité ?", demande notre journaliste. Réponse de Benjamin Zerah : "La responsabilité est directement liée au médecin. On peut aussi penser que le patient a peut-être orienté le médecin vers une mauvaise direction." Comprendre : la plateforme n'est qu'un intermédiaire. En 2023, la répression des fraudes (DGCCRF) a mis en demeure la société pour pratiques commerciales trompeuses. Depuis, elle se serait mise en conformité.
Un traitement anti-obésité sans aucun échange avec un médecin
Dans la jungle des plateformes de téléconsultation, il y en a une qui va plus loin encore. Chez DoktorABC, l'utilisateur peut choisir un traitement préféré, livré à domicile sous un à deux jours ou même obtenir un code promo pour une ordonnance à moins 50%.
Nous avons fait le test. Un rapide questionnaire en ligne, aucun document à fournir, aucun échange avec un médecin pour obtenir un traitement anti-obésité, théoriquement très encadré.
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Même facilité pour se faire prescrire un anti-inflammatoire malgré les risques élevés d'interaction avec d'autres médicaments. Deux ordonnances signées par un certain "Dr H", présenté comme généraliste. Après quelques recherches, nous découvrons qu'il est en réalité chirurgien orthopédique.
Nous avons pris rendez-vous avec lui, ordonnance en main. "Est-ce que c'est votre signature, docteur ? Est-ce que c'est votre signature ? Surtout, est-ce que vous les voyez, les ordonnances ? Est-ce qu'ils ont volé votre signature ?", demande plusieurs fois notre journaliste. "Je vais appeler la sécurité. Je ne vous dirai rien du tout madame !", répond le médecin. DoktorABC est détenu par une société israélienne installée au nord de Tel Aviv. Ses responsables n'ont pas souhaité nous répondre.
"Plus vous en validez, plus vous encaissez"
Pour savoir quel marché ces plateformes proposent aux médecins français, nous avons demandé à une généraliste complice de postuler. Alors, comment ça marche ? "C'est très simple, vous avez deux boutons : approuver l'ordonnance ou refuser l'ordonnance. Pour les honoraires, en France, nos médecins gagnent environ 2 000 euros par mois. Aujourd'hui, nous vous payons un euro par questionnaire, sachant qu'il faut 45 secondes à une minute pour vérifier le questionnaire. On ne vous impose aucune limite. Vous pouvez faire les 50 questionnaires par jour ou 500 questionnaires par jour. Plus vous en validez, plus vous encaissez", explique l'employeur de l'autre côté de l'écran, lors de l'entretien.
Quatorze millions de téléconsultations ont été réalisées en 2024. Face aux dérives, la direction générale de la santé promet une stratégie nationale pour mieux encadrer la télémédecine d'ici à la fin de l'année.
Parmi nos sources :
Un agrément pour les sociétés de téléconsultation (Ministère de la Santé - Mars 2024)
La télémédecine, une solution pour faciliter l'accès aux soins ? (vie publique - Juillet 2025)
Les téléconsultations (Rapport de la Cour des Comptes - Juillet 2025)
Téléconsultations : audition de la Cour des comptes (Sénat - Avril 2025)
Assises de la télémédecine (Assurance Maladie - Juin 2025)
La Téléconsultation : Entre Promesses et Désillusions (Fédération des Médecins de France - Janvier 2025)
En 2024, 13,9 millions de téléconsultations ont été effectuées, soit une progression de près de 20 % par rapport à 2023 (Assurance Maladie - Juillet 2025)
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