Reportage "C'est gagnant-gagnant pour tout le monde" : à Paris, une unité mobile de psychiatrie, alternative à l'hospitalisation pour des schizophrènes

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Dans les locaux de l’équipe FACT dans le XIe arrondissement de Paris avant que le psychaitre Étienne Bally parte visiter ses patients du jour. (CAMILLE LAURENT / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Dans les locaux de l’équipe FACT dans le XIe arrondissement de Paris avant que le psychaitre Étienne Bally parte visiter ses patients du jour. (CAMILLE LAURENT / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

L'équipe "FACT", une unité mobile psychiatrique et pluridisciplinaire, propose à des patients atteints de forme sévère de schizophrénie d'être suivis dans leur environnement.

Face à des hôpitaux publics surchargés, notamment en psychiatrie, un suivi hors les murs est-il la solution ? Les chiffres du dernier rapport de la Fédération hospitalière de France sur l'accès aux soins sont alarmants. Le nombre d'adolescents et de jeunes adultes ayant consulté un service de psychiatrie est ainsi en hausse de 32% entre 2023 et 2024.

Dans ce contexte, une unité mobile psychiatrique propose une alternative à l'hospitalisation pour des patients atteints de forme sévère de schizophrénie. Cette équipe est nommée "FACT", l'acronyme de "Flexible assertive community treatment", qui signifie, en français, "suivi intensif dans la communauté, au long cours". L'équipe est mise en place par les hôpitaux Paris Est Val-de-Marne et opère dans le XIe arrondissement de Paris. Pluridisciplinaire, elle est composée de 11 membres, des soignants comme des psychiatres, des infirmiers psychiatriques ou une aide-soignante, mais aussi un éducateur, une assistance sociale et un médiateur pair-aidant.

Au pied d'un immeuble du XIe arrondissement de la capitale, le psychiatre Étienne Bally sonne à l'interphone pour une visite à domicile. "Une patiente de 23 ans, schizophrène très symptomatique, avec beaucoup d'hallucinations, souvent très péjoratives et désagréables, précise le médecin. Ses voix lui intiment de passer à l'acte, de se faire du mal et parfois même de s'immoler, donc c'est extrêmement inquiétant. L'aspect positif, c'est qu'elle est en lien avec nous, elle nous accueille, elle prend son traitement."

Comme cette jeune femme, 45 patients, les plus compliqués du secteur, sont suivis de façon quotidienne ou plus espacée, selon leurs besoins. "Ce sont des patients qui sont hospitalisés plus de 50 jours dans l'année ou plus de quatre fois dans l'année. Donc souvent, ils sont recrutés à l'hôpital, qui repère des symptômes résiduels et pense à FACT", explique Étienne Bally.

"Comme à l'hôpital les choses sont bien réglées, une fois à l'extérieur, c'est compliqué pour eux de reprendre un rythme 'normal'."

Lydie Aholu, infirmière psychiatrique au sein de FACT

à franceinfo

Lydie Aholu, l'infirmière avec qui le psychiatre forme le binôme du jour, a quitté l'hôpital, troqué sa blouse "donc il n'y a pas cette barrière-là" et se sent plus libre dans l'approche des patients : "On prend le temps. En général, on passe une demi-heure avec les patients. On parle de leurs besoins, de leur quotidien. On parle de tout et très peu de la maladie, sauf si eux, ils demandent à comprendre leur maladie, leur traitement et ou leur état du jour. Ça part toujours du patient", souligne-t-elle.

"Aller vers"

Entre visites à domicile et propositions d'activité, le binôme parcourt les rues du XIe arrondissement. "Certains patients ne veulent pas sortir de leur domicile, nuance le psychiatre Étienne Bally, mais dans l'idéal, on essaye d'arpenter la ville ensemble, d'aller boire des cafés et de marcher et, au mieux, de faire des activités dans un milieu ordinaire, ce qui n'est pas toujours facile."

"L'objectif principal, c'est vraiment de pouvoir accéder à une vie relationnelle et faire des choses pour soi, des activités qui font plaisir comme tout le monde."

Étienne Bally, psychiatre au sein de l'équipe FACT

à franceinfo

Les voici au pied d'un hôtel social pour voir un autre patient qui "est isolé, explique Lydie Aholu, donc le seul contact qu'il peut avoir dans la journée, ça va être nous". Mais ce matin-là, il ne veut pas sortir de son lit. "Rien d'alarmant, commente le médecin, ça décrit bien cette idée 'd'aller vers'. On essaye de suggérer que les choses se fassent sans être trop intrusifs non plus." "Ça n'est pas un souci, ajoute l'infirmière, on repassera sûrement ce soir, en tout cas demain, obligé. Quand on va leur rendre visite, on a nos antennes. Et l'avantage, c'est que comme ils évoluent dans leur quartier, ils sont un peu connus. Donc on a des petits bruits de couloir qui nous alertent et nous, on est encore plus vigilants."

Il leur arrive parfois de devoir gérer des crises et d'avoir recours à une hospitalisation. "Il faut pouvoir l'envisager de temps en temps, confirme le psychiatre. On fait le maximum pour un maintien hors de l'hôpital et les visites sont plus accrues. Et quand on voit qu'on n'arrive pas à faire descendre l'intensité de la crise, là, on passe à une hospitalisation. Mais la crise n'est pas installée, donc l'hospitalisation est beaucoup plus courte qu'auparavant."

Petites et grandes victoires

Sortir de chez soi, se laver régulièrement ou faire un basket… "Quand des patients, qui refusaient de nous voir au début, sont dans la demande de faire des activités avec nous quelques mois plus tard, pour nous c'est vraiment une petite victoire, une victoire même", se réjouit Lydie Aholu.

Des victoires qui plaident en faveur de cette alternative à l'hospitalisation. "Si on peut arriver à prendre en charge les patients comme ça, c'est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour l'institution, c'est moins coûteux, mais il ne faut pas tomber dans le travers de vouloir absolument fermer des lits parce que ça reste quelque chose d'important parfois. Pour les soignants, c'est beaucoup plus agréable de travailler comme ça. Et puis pour les patients, qui nous répètent que ça leur convient bien mieux comme ça, et les familles aussi", énumère Étienne Bally.

L'équipe FACT est un projet pilote financé par l'ARS, qui en fera un bilan à la fin de l'année pour éventuellement l'étendre. "Les chiffres montrent qu'on a pu diminuer les journées d'hospitalisation des patients qu'on suit, assure le médecin, mais il faudrait qu'on arrive à 100 patients, et on n'y est pas encore." Il a néanmoins bon espoir : "Il faut du temps pour alléger la prise en charge et pouvoir recevoir de nouveaux usagers."

"C'est gagnant-gagnant pour tout le monde" : à Paris, une unité mobile de psychiatrie, alternative à l'hospitalisation pour des schizophrènes. Un reportage de Camille Laurent

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