Chaussures odorantes, vaches zébrées et lézards croqueurs de pizzas... Voici les 10 lauréats des Ig-Nobel, récompensés pour leurs recherches des plus farfelues

Voilà vingt-cinq ans que les recherches les plus farfelues ont droit à une cérémonie de remise de prix. L'édition 2025 des Ig-Nobel – jeu de mots entre "prix Nobel" et "ignoble" – a livré son verdict, jeudi 18 septembre à Boston (Etats-Unis). Cette compétition récompense chaque année "des accomplissements qui font d'abord rire les gens, puis les font réfléchir", un mois avant que ne soient décernés les vrais prix Nobel. Voici le palmarès complet de cette 35e édition, dans les différentes catégories.

1 La croissance d'un ongle ralentit avec l'âge

Littérature. La science réclame de la patience. L'Américain William B. Bean a été distingué à titre posthume pour avoir "consciencieusement enregistré et analysé la vitesse de croissance de l'un de ses ongles", sur une période de trente-cinq ans. Ces travaux ont montré un "ralentissement avec l'âge", avait observé l'intéressé dans un article publié en 1980. "La croissance quotidienne moyenne de l'ongle du pouce gauche a varié de 0,123 mm par jour pendant la première période de l'étude, quand j'avais 32 ans, à 0,095 mm par jour à l'âge de 67 ans." Auteur de nombreux ouvrages, ce médecin renommé a mené cette auto-expérimentation médicale de 1940 à 1980, avec des mises à jour régulières tous les cinq à dix ans. Le fils du chercheur, Bennett, était présent à la cérémonie.

2 Flatter l'intelligence d'autrui renforce son narcissime

Psychologie. Marcin Zajenkowski et Gilles Gignac ont fait une découverte intéressante, quoiqu'assez intuitive, dans le domaine de la psychologie. Dire à quelqu'un qu'il est intelligent, même si ce n'est pas tout à fait vrai, renforce son sentiment de narcissime, établit l'étude de ces deux chercheurs. Ou, en d'autres termes plus savants : "Le retour sur le QI peut façonner les croyances des individus quant à leur intelligence, et (...) les concepts profanes de l'intelligence pourraient intégrer des éléments narcissiques, comme le sentiment d'être unique et spécial."

3 La pizza "quatre fromages", reine chez les lézards

Nutrition. Les célèbres Tortues Ninja, dans la série d'animation, ne font jamais les difficiles devant une bonne part de pizza. Mais la science des ingrédients entre en jeu quand il s'agit de régaler les lézards arc-en-ciel, ou agama agama. Ces petites reptiles, commun dans les zones suburbaines d'Afrique, se nourrissent classiquement d'arthropodes, mais leur comportement opportuniste les conduit parfois sur d'autres chemins gustatifs. Plusieurs individus ont opté pour des reliquats de pizzas, dans une station balnéaire du sud du Togo. Ils se sont concentrés presque uniquement sur la version "quatre fromages", ont constaté les chercheurs, qui formulent l'hypothèse de potentiels signaux chimiques.

4 Les bébés sont sensibles à l'ail consommé par leurs mères allaitantes

Pédiatrie. L'expérience alimentaire des nourrissons allaités, fort logiquement, repose en grande partie sur les choix de leurs mères. "Par exemple, lorsque les mères allaitantes consomment de l'ail, de la vanille ou de nombreuses autres saveurs, leur lait prend une saveur reconnaissable et ces saveurs sont détectées par le nourrisson", expliquent les chercheurs Julie Mennella et Gary Beauchamp, dans une étude parue en 1991. Cet apprentissage précoce a des effets dans la petite enfance. Certains ont mieux accepté les fruits par la suite, car leurs mères allaitantes en consommaient davantage. Ces deux chercheurs, dans une autre étude, ont également établi que la consommation d'ail modifiait l'odeur du liquide amniotique, après avoir administré des gélules à 10 femmes enceintes.

5 Les vaches déguisées en zèbres ont moins de piqûres d'insectes

Biologie. Si vous aviez lu cet article de franceinfo en 2019, vous le saviez déjà. Une équipe universitaire japonaise a tenté d'expliquer pourquoi les zèbres avaient un pelage blanc et noir si caractéristique. Ils ont donc peint plusieurs vaches pour tenter d'analyser les effets. Les chercheurs se sont aperçus que les mouches étaient deux fois moins nombreuses sur ces vaches zébrées. Les comportements de défense face aux insectes sont également moins nombreux chez les vaches zébrées (39,8 réactions en moyenne, contre 53 chez les vaches avec uniquement des bandes noires), ajoute l'étude, ce qui suggère que les insectes étaient moins nombreux à importuner les animaux du premier échantillon. En 2016, une équipe hongroise avait déjà été distinguée par un Ig-Nobel, pour avoir établi que les taons étaient moins attirés par les chevaux blancs que par les chevaux à la robe foncée.

6 Manger du Téflon coupe la faim

Chimie. A ne pas reproduire chez vous. Les chercheurs Rotem Naftalovich, Daniel Naftalovich et Frank L. Greenway ont imaginé un moyen assez original pour modifier la quantité d'aliments nécessaire au sentiment de satiété. Ils ont nourri des rats avec des aliments contenant 25% de poudre de polytétrafluoroéthylène (PTFE), un plastique souple plus connu sous le nom de Teflon. Les auteurs affirment que les animaux ont perdu du poids et n'ont pas présenté de signe de toxicité. Il est permis d'émettre quelques réserves sur la méthode et d'adopter la plus grande prudence sur ce régime alimentaire peu ragoûtant, dont les effets potentiels à long terme ne sont pas connus. Deux des auteurs ont déposé un brevet sur cette innovation.

7 Une faible quantité d'alcool améliore les compétences en langue étrangère

Paix. Après quelques verres, certains ont parfois le sentiment de devenir bilingue. Les chercheurs Fritz Renner, Inge Kersbergen, Matt Field et Jessica Werthmann ont donc constitué un groupe de 50 germanophones ayant appris le néerlandais. Une faible dose d'alcool a été proposée à la moitié d'entre eux, et tous ont ensuite tenu une discussion avec un Néerlandais. Il s'est avéré que les participants ayant consommé de l'alcool ont été plus performants dans la prononciation de la langue étrangère. Les auteurs estiment donc que cette consommation peut bénéficier aux personnes "qui ont récemment appris une langue étrangère". Il va sans dire que tout s'écroulera en cas de consommation trop élevée. L'administration d'une dose d'alcool, par ailleurs, n'a eu aucun impact sur la manière dont ils évaluaient eux-mêmes leurs compétences en néerlandais. 

8 Les chaussures qui puent, un problème ignoré par les concepteurs de meubles

Ingénierie. C'est un problème qui touche des pans entiers de la population, notamment dans les pays chauds et humides. En Inde, par exemple, "la transpiration est fréquente après une activité physique modérée à intense, ce qui entraîne une mauvaise odeur corporelle", soulignent les chercheurs Vikash Kumar et Sarthak Mittal. Et si la population prend soin de son hygiène corporelle et lave ses vêtements, il en va différemment des chaussures, rarement lavées. Ce qui représente un terrain fertile pour le développement d'une bactérie odorante nommée Kytococcus Sedentarius. Or, la conception des meubles à chaussures est trop focalisée sur l'ergonomie, fait valoir l'étude, qui appelle à une meilleure prise en compte du facteur bactérien. Les auteurs proposent des étagères et le recours à des rayons ultraviolets (tubes UVC).

9 Les chauves-souris ivres ont plus de difficultés à voler

Aviation. Quand ils commencent à mûrir, les fruits charnus renferment parfois de l'éthanol, à une concentration qui peut être toxique pour la faune. Les roussettes d'Egypte, des chauves-souris frugivores, se détournent naturellement des aliments qui en contiennent trop, et elles ont bien raison. Les chercheurs Francisco Sánchez, Mariana Melcón, Carmi Korine et Berry Pinshow ont fait ingérer à plusieurs individus des fruits renfermant de l'éthanol, afin d'en vérifier les effets. Le verdict de l'étude est sans appel : les animaux volaient moins vite que leurs congénères, et cette consommation affectait significativement leur comportement et leurs capacités d'écholocalisation, qui leur permet de se répérer. C'est la raison pour laquelle vous ne verrez jamais Batman au bistrot.

10 La sauce "cacio e pepe" nécessite des compétences en chimie

Physique. Le dernier lauréat, enfin, avait déja été salué par franceinfo, début 2025. Des chercheurs en physique de l'institut Max-Planck (Allemagne) se sont penchés sur les mystères d'un grand classique de la cuisine italienne : les pâtes cacio e pepe, composées de pâtes, de pecorino et de poivre. L'étude pointe l'importance de la concentration d'amidon (PDF) dans le succès du plat, et recommandent d'en placer quatre grammes (amidon de maïs ou de pomme de terre) avec 40 grammes d'eau, avant de chauffer le mélange doucement pour qu'il devienne visqueux et transparent. Afin de faire progresser encore la science, il serait peut-être intéressant d'en proposer un plat aux lézards amateurs de pizzas au Togo ?