Des jihadistes au pays des manchots : construire un bagne dans les îles Kerguelen, est-ce bien raisonnable ?
Candidat à la présidentielle, Nicolas Dupont-Aignan a proposé d'exiler les jihadistes de retour de Syrie dans cet archipel isolé et volcanique.
Au beau milieu de l'océan Indien se trouvent les îles Kerguelen. Plus de 7 000 km² où se côtoient roches volcaniques, espèces animales variées et scientifiques emmitouflés. Situé à quelque 5 000 km au sud-ouest des côtes australiennes, l'archipel des Kerguelen fait partie des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Le lieu, presque désert et habitué au calme, a été projeté sur le devant de la scène, mercredi 16 mars, par Nicolas Dupont-Aignan lors d'une interview accordée à France Info.
Le candidat à la présidentielle de Debout la France a proposé qu'il accueille "les 250 jihadistes de retour de Syrie" : "Il faut isoler les jihadistes dangereux. Au lieu de les mettre dans des prisons normales, où ils sont mêlés aux prisonniers, ce qui est une folie, il faut les envoyer dans un centre très isolé, explique-t-il à francetv info. Les Kerguelen représentent une possibilité qui peut tout à fait convenir."
Une proposition qui ne surprend pas Yann Libessart, ancien chef de district de l'archipel. "Les Kerguelen reviennent régulièrement, on a déjà parlé de transformer l'île en bagne", se souvient-il, contacté par francetv info. Alors pourquoi Nicolas Dupont-Aignan a-t-il choisi de cibler ces îles ? Qu'ont-elles de particulier ? Sa proposition est-elle crédible ?
Non, des recherches scientifiques y ont lieu
Les îles Kerguelen abritent différents observatoires dont ceux du Centre national d'études spatiales (CNES) et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Mika Mered, président de Cluster Polaire, un regroupement d'entreprises, de chercheurs et d'innovateurs français consacré aux zones Arctique et Antarctique, va bientôt installer un laboratoire à Port-aux-Français, base de l'archipel. Pour lui, c'est l'endroit parfait. "C'est un territoire protégé, où il y a très peu de pollution visuelle vers l'espace, un climat ressemblant au nord de l'Islande donc supportable, des infrastructures de communication qui existent déjà et la présence sur place d'organismes de recherche de pointe", énumère-t-il.
Les scientifiques présents y couvrent de nombreux domaines allant de la sismologie à la chimie atmosphérique en passant par le magnétisme ou la météorologie, comme le montre la vidéo ci-dessous. Leur présence permet ainsi "aux équipes françaises de disposer des plus longues séries de données disponibles dans le subantarctique", explique le site des TAAF.
Pour Nicolas Dupont-Aignan, les craintes des occupants des îles quant à une possible perturbation de leurs recherches passent au second plan. "La sécurité de l'ensemble de la communauté nationale l'emporte sur les peurs d'ici ou là. La peur que j'ai moi, c'est celle de nouveaux attentats", affirme le candidat de Debout la France.
Une conclusion qui exaspère les scientifiques. "A l'heure où d'importants enjeux stratégiques, scientifiques et environnementaux se jouent à Kerguelen, il est nécessaire de faire prendre conscience aux Français de l'importance stratégique et technologique de ces 'confettis de la République'", s'insurge Mika Mered, qui juge que la déclaration de Nicolas Dupont-Aignan "sape le travail de scientifiques et d'associations telles que la nôtre en réduisant ces territoires à de lointaines contrées isolées, sans intérêt, où l'on pourrait envoyer des jihadistes".
Non, la faune et la flore sont protégées
S'ajoute à ces recherches l'observation de plusieurs espèces marines qui viennent s'y reproduire. "On trouve par exemple sur le littoral des éléphants de mer, des manchots ou des otaries. On peut aussi observer diverses espèces d'oiseaux", décrit Yann Libessart. Un véritable laboratoire naturel permettant d'observer les effets des changements climatiques, d'après le site des TAAF : "Les espèces animales et végétales de ces territoires, parfaitement adaptées aux conditions extrêmes, sont très sensibles aux perturbations de l’environnement."
"Construire une prison à Kerguelen serait contraire aux lois en vigueur protégeant la faune, la flore et le sol des terres australes françaises. Les îles Kerguelen font partie dans leur ensemble de la Réserve naturelle nationale des Terres australes, donc ce serait parfaitement impossible", explique Mika Mered. L'archipel est en effet classé depuis octobre 2006 afin de protéger la faune et la flore locales. Les oiseaux autochtones et "les mammifères marins des Terres australes et antarctiques françaises sont intégralement protégés par un arrêté ministériel", note le site. S'y ajoute un accès réglementé à certaines zones, parfois même réservé aux scientifiques, depuis 1985.
Face à ces arguments, la position de Nicolas Dupont-Aignan reste ferme : "Les 250 jihadistes de retour de Syrie, qui sont dangereux pour la sécurité des Français, doivent être isolés des Français. N'en déplaise aux pingouins et aux oiseaux de mer." Et tant pis si les Kerguelen ne comptent aucun pingouin, mais plusieurs milliers de manchots...
Non, les infrastructures manquent
L'un des critères, en plus de l'éloignement de la métropole, qui a décidé Nicolas Dupont-Aignan à évoquer les îles Kerguelen, est sa faible population. "Il vaut mieux un endroit où il n'y ait pas grand monde. Personne n'a envie de voir des jihadistes de retour de Syrie dans son environnement proche", justifie-t-il.
L'archipel volcanique est occupé par 45 personnes, d'après des données de 2012. "Il y a trois populations sur les îles. On trouve un tiers de militaires, présents pour la logistique, un tiers d'ouvriers recrutés à La Réunion et se chargeant de petits boulots, et enfin un tiers de scientifiques recrutés par les laboratoires", détaille Yann Libessart. Tous ne restent que six mois avant d'être remplacés.
Pour les accueillir, les aménagements sont sommaires. "Tout se situe à Port-aux-Français, la base de l'archipel", explique l'ancien chef du district. En plus des installations scientifiques et des chalets de logement, "il y a un bar, un restaurant, une salle de cinéma et un petit hôpital, décrit Yann Libessart. Aucune piste d'atterrissage. Pour rejoindre l'île, il faut entre 4 et 6 jours de bateau depuis La Réunion." Un constat qui le pousse à juger la proposition de Nicolas Dupont-Aignan "purement démagogique", "l'opération coûterait bien trop cher."
Mika Mered ajoute d'autres réserves : "Il n'y a pas de population permanente aux Kerguelen. Construire une prison nécessiterait donc l'installation de forces de police, d'administration pénitentiaire, de nouvelles infrastructures locales, expose ce maître de conférences en économie politique spécialiste de l'Arctique et de l'Antarctique. Au-delà de l'empreinte écologique évidente de toutes ces constructions et des apports de personnel, il faudrait aussi régler la question des évacuations sanitaires qui aujourd'hui n'est possible que par bateau, à raison d'environ une rotation tous les 3 mois vers La Réunion." Nicolas Dupont-Aignan dit devoir "chiffrer et voir quelle est la meilleure solution. Nous avons plusieurs territoires isolés, il faut en discuter", persiste le candidat à la présidentielle.
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