Cyberattaques, harcèlement, espionnage... Les satellites au cœur de la guerre qui se mène dans l'espace
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Des tensions sont en cours au-dessus de nos têtes. Il s'agit d'espionnage, de brouillage ou encore de provocations. Mais les différents exercices, les démonstrations de capacité et les gestes inamicaux demeurent sous le seuil de l'agression caractérisée pouvant engendrer un conflit armé.
"Guerre spatiale". Cette expression active souvent tout un imaginaire mêlant rayons laser et courses-poursuites de vaisseaux. La réalité est loin de la science-fiction mais le conflit en orbite existe bel et bien. La France considère l'espace comme le "cinquième milieu" de confrontation militaire, avec les milieux terrestre, maritime, aérien et cyber. L'édition 2025 du Salon international de l'aéronautique et de l'espace, qui s'ouvre au Bourget (Seine-Saint-Denis) lundi 16 juin, devrait l'illustrer une nouvelle fois.
La France se prépare depuis plusieurs années à une guerre dans la banlieue de la Terre. En 2019, l'armée de l'air est devenue l'armée de l'air et de l'espace et un Commandement de l'espace (CDE) a été créé. Depuis 2021, elle mène aussi des exercices appelés AsterX, qui simulent des opérations militaires avec une dimension spatiale. Pour l'édition 2025, les participants ont été confrontés à "un environnement spatial simulé, réaliste, complexe et interconnecté avec les autres milieux", selon le ministère des Armées. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
Les satellites en première ligne
Les principaux appareils au cœur des tensions spatiales sont les satellites, militaires comme civils. Surtout, ces outils sont devenus de la plus haute importance pour les militaires, qui s'en servent pour échanger de façon sécurisée, pour tenter d'écouter les communications de l'ennemi, et pour essayer de savoir la position de ce dernier ainsi que les équipements dont il dispose.
La constellation de satellites Starlink, qui appartient au milliardaire Elon Musk, joue ainsi un rôle crucial dans les échanges entre militaires ukrainiens. "Sans Starlink, nous aurions perdu la guerre", avait déclaré un commandant militaire ukrainien en juillet 2022. En effet, privée de cet outil, l'armée ukrainienne ne peut plus communiquer. La menace, en février, d'une remise en question de l'accès de Kiev à ce réseau a donc été critique. Mais après avoir laissé planer le doute, l'homme le plus riche du monde a finalement promis de ne pas fermer la porte à l'armée ukrainienne. Côté imagerie satellite, les Etats-Unis ont tout de même porté un coup aux opérations ukrainiennes en les privant temporairement des services de l'entreprise américaine Maxar. Les troupes de Kiev s'en servaient pour suivre les mouvements des soldats russes et évaluer les dommages après les frappes.
Avec ce basculement technologique, l'espace n'est plus un "sanctuaire stratégique", écrit Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de La Ruée vers l'espace – Nouveaux enjeux géopolitiques.
"Avec cette place irremplaçable dans les opérations militaires, les satellites se sont aussi vu conférer un nouveau statut : celui de cibles potentielles."
Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégiquedans son livre "La Ruée vers l'espace – Nouveaux enjeux géopolitiques"
L'un des exemples les plus connus de ciblage est le rapprochement opéré en 2017 par le satellite russe Luch Olymp vers le satellite franco-italien Athena-Fidus, spécialisé dans les communications militaires sécurisées. Cette opération était survenue à quelque 36 000 km du sol, sur une orbite géostationnaire. "Tenter d'écouter ses voisins, ce n'est pas seulement inamical. Cela s'appelle un acte d'espionnage", avait déclaré Florence Parly, alors ministre des Armées. L'accusation publique portée par la France n'a pas dissuadé les Russes de continuer. En effet, ils poursuivent leurs agissements avec, notamment, le Luch Olymp-2, a rapporté Le Parisien, en mars. Cet autre satellite "butineur", qui change de cible tous les quatre mois environ, s'est récemment placé à proximité de satellites de télécommunications américains.
Du renseignement "chaud" et "froid"
Ecouter des communications s'apparente à du renseignement "à chaud", explique le général Michel Friedling, qui a dirigé le Commandemant de l'espace entre 2019 et 2022. Mais ce rapprochement permet aussi de faire du renseignement plus "froid" : en prenant des images du satellite cible, en l'inspectant, en scrutant les structures visibles de l'extérieur, comme la taille des panneaux solaires, il est possible de récolter des informations sur le niveau de technologie mobilisée et la puissance du satellite, détaille-t-il.
"Il ne faut pas croire que les Russes sont les seuls" à butiner, souligne Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des politiques spatiales. "Les Américains le font, les Chinois aussi."
Face à ce type de menace, la start-up française Dark développe un engin appelé "Interceptor", capable d'être lancé depuis un avion de ligne et d'aller désorbiter un satellite trop curieux. En clair : le neutraliser en le mettant hors course et l'apporter au point Nemo, cimetière des engins spatiaux au milieu de l'océan Pacifique. Une démonstration est prévue pour 2027, avant un premier test complet envisagé en 2030. La Chine, elle, a déjà démontré, avec le satellite Shijian-21, sa capacité à remorquer un satellite.
Matriochka, harcèlement et aveuglement au laser
D'autres pratiques spatiales sont encore plus intrigantes. En orbite basse, à quelques centaines de kilomètres d'altitude, le satellite russe Kosmos 2519 avait expulsé, en 2017, les plus petits Kosmos 2521 et Kosmos 2523. Ce largage de satellites gigognes est en principe interdit, car les Etats lanceurs doivent déclarer aux Nations unies tous les engins placés en orbite terrestre. Une fois libérés, ces appareils miniatures ont "réalisé des manœuvres simulant une cible potentielle avant de réintégrer le satellite dont ils avaient été propulsés", décrivaient en 2021 les députés Pierre Cabaré et Jean-Paul Lecoq dans un rapport sur l'espace. Les deux petits Kosmos "ressemblent plus à des missiles" et "ne semblent pas vraiment inoffensifs", complétait, en 2022, à l'Assemblée nationale, le général Philippe Adam, à la tête du CDE. "J'imagine mal comment les Russes pourraient nous expliquer que ces moyens n'ont pas une vocation militaire. Nous devons donc étudier cela de près", avait-il ajouté.
Moins impressionnantes, les manœuvres qui perturbent les satellites sur leur orbite et les poussent à se déporter peuvent se révéler très gênantes, explique le général Jean-Marc Laurent, qui dirige la chaire "Défense & Aérospatial" à Sciences Po Bordeaux. Ce harcèlement mène à des changements de trajectoire qui consomment de l'énergie et finissent par réduire la durée de vie des appareils.
Depuis la fin des années 1990, les armées testent aussi d'autres méthodes plus ou moins offensives pour brouiller les communications des satellites, comme les éblouir, de façon temporaire ou définitive, à l'aide de lasers. Le journal Le Monde rapportait que les Etats-Unis avaient expérimenté cette technique en 1997. D'autres pays, comme la Russie et la Chine, ont aussi développé cette technologie, mais peu de détails sont disponibles. "Je pense que beaucoup de choses existent déjà, mais les Etats ne s'en vantent pas", commente Jean-Marc Laurent. Et la France ? Elle joue le "découragement", la défense active. Sans hostilité, elle agit pour dire aux éventuels assaillants : "Il ne faut pas s'en prendre à nous parce que l'on pourrait vous détecter et que l'on pourrait répliquer", selon Isabelle Sourbès-Verger. Une mise à jour de la stratégie spatiale nationale a été demandée début mars par le Premier ministre, Français Bayrou, et devrait être dévoilée en juin.
Piratage et manipulation d'images
Les satellites sont aussi sensibles aux attaques informatiques. Lors du 2e Salon de la cybersécurité des systèmes spatiaux, en 2023, des hackers éthiques avaient ainsi réussi à prendre le contrôle d'un satellite de démonstration. Des ingénieurs de la société Thalès ont alors réussi à modifier les données transmises par l'appareil, truqué les images, masqué certaines zones géographiques, et ce, tout en cachant son activité. En situation de conflit, de telles actions "sont susceptibles de donner un avantage décisif en cas d'affrontement", synthétise Michel Friedling dans son livre Commandant de l'espace.
Le croisement entre cybersécurité, satellites et guerre est déjà opérationnel. Au premier jour de l'invasion en Ukraine, le 24 février 2022, le satellite Ka-Sat, appareil stratégique qui fournit internet à des milliers de clients, dont les forces ukrainiennes, a été victime d'une cyberattaque. Internet a été coupé pour une grande partie des utilisateurs, dont les militaires. Avec des conséquences inattendues bien au-delà des frontières ukrainiennes, comme des perturbations de champs d'éoliennes en Allemagne et en Belgique.
Eviter les débris
Qu'en est-il de la destruction pure et simple de satellites ? Pour l'instant, seules quatre puissances ont démontré avoir cette capacité : les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l'Inde. La France, le Royaume-Uni ou encore le Japon jouissent d'une maîtrise technique assez poussée dans ce domaine, avait affirmé auprès de franceinfo, en 2021, le spécialiste de la propulsion spatiale Stéphane Mazouffre. Mais tous les experts sollicités par franceinfo s'accordent à dire que ce mode d'action n'est pas celui qui est privilégié. La raison : il génère un grand nombre de débris autour de la Terre, ce qui gêne tout le monde, y compris les acteurs à l'origine de la pulvérisation, d'autant que l'orbite basse de notre planète est déjà encombrée.
Les tensions au-dessus de nos têtes risquent d'être discrètes pendant encore longtemps. Ce qui ne signifie pas qu'elles sont sans conséquences. En effet, un conflit armé et ouvert pourrait avoir, théoriquement, l'espace comme point de départ. Mais pour l'instant, il s'agit principalement d'exercices, de démonstration et de provocations qui restent à la limite de l'agression caractérisée.
Les efforts des différents acteurs mondiaux se concentrent sur la manœuvrabilité des satellites et la surveillance de leurs environs. La France est sur la brèche et travaille activement au développement de Yoda, pour "Yeux en orbite pour un démonstrateur agile". Ce patrouilleur, qui doit opérer avant 2030, aura pour mission de protéger les satellites, de détecter la présence d'appareils intrus et, si nécessaire, de s'interposer. Pour Michel Friedling, "il ne faut pas imaginer des satellites qui se poursuivent avec des lasers. Ce n'est pas vrai. Mais ça pourrait le devenir demain."
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