: Témoignage Cocaïne : "C'est comme commander une pizza", raconte un ex-drogué face à la banalisation du trafic
Dans le Var, la banalisation de la consommation de la cocaïne inquiète. Un ancien consommateur, aujourd'hui membre des Narcotiques Anonymes, assure que cette pratique "touche toutes les classes sociales".
Dans une petite salle, juste à côté de la Basilique de Saint-Raphaël, dans le Var, une quinzaine de personnes sont réunies autour d'un thé ou d'un café. Ce soir-là, on fête un anniversaire : les 17 ans d'abstinence de l'une des participantes du programme des narcotiques anonymes.
Interdiction de sortir le micro franceinfo pour enregistrer cette réunion d'anciens drogués : il faut préserver l'anonymat des hommes et des femmes autour de la table. A la sortie, JP accepté finalement de parler. Âgé d'une quarantaine d'années, il vit dans un petit village du Var. Il est "clean" depuis six mois. Derrière lui, des années de consommation effrénée de cocaïne et de son dérivé, le crack. "Je ne sais pas m'arrêter. D'ailleurs, mes amis m'appelaient 'no limit'. Je ne sais pas faire comme quelqu'un qui se fait un rail et qui rentre chez lui, qui va se coucher. Moi, si je bois un verre, je vais faire ça tant que j'ai de l'argent", raconte-t-il.
"Je pensais que j'allais mourir de ça"
Et de glisser : "Généralement, ça a duré sept jours. Sept jours sans dormir, sans manger, juste avec de l'alcool et de la coke... Je consommais cinq grammes par jour quand même. Donc, ce n'est pas rien". Comme lui, de plus en plus de Français consomme de la cocaïne. Au total, 1,1 million de personnes en ont consommé au moins une fois dans l'année en 2023, selon la dernière étude de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), publiée mercredi 15 janvier. C'est quasiment le double du nombre recensé dans le précédent rapport (600 000 personnes), paru en 2022. "Franchement, pour être vraiment complètement honnête, je pensais que j'allais mourir de ça", confie JP.
"Ça a duré dix ans. Dix ans en laissant mes enfants. Je les avais chez moi et je consommais dans ma chambre. Je n'en suis pas fier... Dix années où mes enfants grandissent, je ne les ai pas vus grandir. Je ne me suis pas vu vieillir. Ça m'a enlevé mes dix ans de vie."
JPà franceinfo
Depuis deux ans, le père de famille suit le programme des narcotiques anonymes, avec des hauts et des bas, des rechutes parfois. Mais depuis six mois et 24 jours, il tient bon. Et que c'est dur, d’autant qu'actuellement, le produit est partout. "Je sais très bien que même dans le petit village où j'habite, il y a des gens qui fournissent en gros. Si tu veux choper 20 grammes de cocaïne aujourd'hui, ce n'est pas un problème. Ça n'existait pas il y a encore 15 ans. Déjà, quand tu chopais un ou deux grammes de frappe, tu étais heureux", se remémore-t-il, en parlant de "la frappe", de la drogue de bonne qualité.
"Il y en a partout"
"Comme il y en a de partout, ce n'est pas un problème. Surtout, maintenant, avec les téléphones, tu peux même te faire livrer. En gros, c'est comme si tu commandais une pizza, quoi : tu veux manger une pizza, tu la commandes et tu te la fais livrer. Si tu veux de la cocaïne, tu la commandes, tu te la fais livrer. C'est exactement pareil. Et c'est un problème", dénonce-t-il.
Face à une drogue simple à obtenir, de moins en moins chère et de plus en plus pure, ces dernières années, les personnes accros à la cocaïne sont devenues majoritaires dans le programme des narcotiques anonymes à Saint-Raphaël. "C'est l'explosion ! Depuis dix ans que je vois les gens arriver dans l'association de narcotiques anonymes, la base, ça reste ce produit-là, la cocaïne. Et beaucoup plus encore aujourd'hui qu'il y a dix ans, note François, qui a ouvert cette antenne locale dans le Var, il y a 20 ans."Quand on va à la maison d'arrêt de Draguignan, c'est exactement la même chose : ils sont tous à 80% sont sur ce produit-là. Et quand on va dans un centre de traitement, c'est la même chose. Tout ça mélangé avec des médicaments, plein d'autres choses... C'est un énorme problème", constate-il, assurant que toutes les classes sociales, tous les âges, sont touchés.
"Je n'avais plus ni foi ni loi, je m'en foutais de tout"
Pour se sortir de cette addiction, le programme Narcotiques Anonymes propose donc des groupes de parole sur le modèle des alcooliques anonymes : parler, se livrer, ne plus mentir, ne plus être seul. Et pouvoir compter sur quelqu'un qui vous ressemble. Un dispositif qui permet, aujourd'hui, à JP d'entrevoir la lumière au bout du tunnel. "Le programme m'aide à essayer de me mettre des repères, de me trouver, de savoir qui je suis, quelles sont vraiment mes valeurs. C'est quelque chose que j'avais perdu. Je n'avais plus ni foi ni loi, je m'en foutais de tout. Tant que j'avais ma console et que je pouvais faire la teuf chez moi, c'est tout ce qui m'importait", se rappelle-t-il.
"Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'aujourd'hui, avec le programme, ça paraît irréaliste, mais je n'ai plus envie de consommer. Pour moi, c'est sorti de ma vie, très sincèrement. Ce n'est même plus une option."
JPà franceinfo
"Et aujourd'hui, j'ai des amis qui sont là que j'aime vraiment, sincèrement, qui comptent pour moi. Je sais que je compte pour eux, aussi. Et quand j'ai un problème, c'est eux que j'appelle. Si j'ai envie de consommer ou que la pensée me vient, c'est eux que je vais appeler. Si jamais j'ai un problème ou je me sens seul ou que j'ai une angoisse, c'est eux que je vais appeler aussi", sourit-il.
Pour éviter la rechute, JP doit tout de même suivre quotidiennement des réunions des Narcotiques Anonymes, soit en présentiel à Saint-Raphaël, soit en visioconférence sur Internet.
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