: Reportage "Les enseignants sont prêts à tout pour notre réussite" : à Aulnay-sous-Bois, la méthode vertueuse d'un collège REP+ qui défie les pronostics
Le collège Pablo Neruda affiche depuis plusieurs années un bon taux de réussite au brevet, au regard notamment du niveau scolaire initial de ses élèves et de leur origine sociale. Franceinfo s'y est rendu à l'occasion de la parution des indicateurs de résultats des collèges et lycées.
Devant le collège Pablo Neruda d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Hadja* attend une amie, encore en cours, pour déjeuner avec elle, en ce mardi de la fin mars. L'adolescente, piercing au nez, habite une tour HLM à seulement quelques minutes à pied de l'établissement, classé en éducation prioritaire renforcée (REP+). La collégienne rêve de travailler dans le marketing. Mais en dépit de son regard affirmé et de sa voix claire, cette élève de 3e le reconnaît sans détour : elle n'a "pas confiance" en elle, et il lui arrive même de "faire des crises d'angoisse". Dans ses moments de doute, elle sait pouvoir compter sur ses professeurs. "Les enseignants sont prêts à tout pour notre réussite. Je me confie beaucoup à ma prof d'allemand. Quand j'ai des problèmes, elle est à l'écoute et je sais qu'elle ne répète pas."
Si son établissement est "super", c'est aussi parce qu'il lui a permis de s'évader de la cité du Gros Saule. Le quartier est classé "prioritaire de la ville", mais aussi en "zone de sécurité prioritaire". Comprendre : les revenus y sont parmi les plus faibles du territoire et la délinquance y est enracinée. "L'année dernière, on est partis en Irlande et au Danemark ! On a pris l'avion, le bateau. C'est la période de ma vie que je ne pourrai jamais oublier", s'exclame la jeune fille. Ses mains jusqu'alors dans les poches s'animent. "Vous savez, le collège au Danemark, c'est un autre monde. Ils ont des canapés et un baby-foot, j'étais choquée." Elle cite également comme l'un de ses meilleurs souvenirs un voyage en Dordogne, lorsqu'elle était en 6e.
Les dernières statistiques du ministère de l'Education nationale viennent confirmer le ressenti d'Hadja. Selon les indicateurs de valeur ajoutée des collèges (Ivac), publiés mercredi 2 avril, l'établissement affiche un taux de réussite au brevet de 78% en 2024, soit quatre points de plus que ce que l'on attend de lui au regard, notamment, de l'origine sociale et du niveau scolaire initial de ses élèves. Sa valeur ajoutée est ainsi positive. En clair, il a su développer chez ses collégiens, moins avantagés que d'autres au départ, des connaissances et des capacités qui ont permis leur réussite à l'examen.
En 2022 et 2023, ce taux de réussite était même encore plus haut, respectivement 93% (+15 points) et 89% (+13 points). "Avec la suppression du correctif académique, il y a eu une baisse importante dans la plupart des établissements" en 2024, explique le principal, Marc Boutin. Les résultats de son collège restent aussi très satisfaisants, juge-t-il, en comparaison avec d'autres établissements du département, le plus pauvre de l'Hexagone, eux aussi classés en éducation prioritaire.
"Garantir un espace sécurisant"
A la cantine, Marc Boutin et son adjointe, Sophie Fecil, se font interpeller par plusieurs élèves qui engloutissent leurs tacos mexicains. Il y a le classique "bonjour monsieur", le "bon appétit" de circonstance, et un surprenant "vous voulez mon dessert madame ?" Cette absence de timidité vis-à-vis des adultes est, aux yeux de la direction, la preuve d'un climat apaisé dans l'établissement. "On essaye de leur garantir un espace sécurisant", glisse Sophie Fecil. Pour en arriver à ce résultat, la principale adjointe évoque notamment deux atouts de Pablo Neruda : la stabilité des effectifs enseignants d'année en année et la familiarité de certains membres du personnel éducatif avec le collège. "Il y a des professeurs, mais aussi des AESH [accompagnants d'élèves en situation de handicap] qui ont été élèves dans l'établissement."
"Ici, je n'ai jamais vu un assistant d'éducation crier sur un gamin."
Marc Boutin, principal du collège Pablo Nerudaà franceinfo
Guimbarde Wague, membre du bureau de la FCPE du collège, remarque aussi que l'équipe éducative est en contact étroit avec les familles. "Les parents sont prévenus dès qu'il y a un souci", salue cette mère d'un élève de 4e.
"Permettre à nos élèves de réussir, ce n'est pas uniquement miser sur l'académique. On est très attachés au développement des compétences psychosociales, et au fait de les aider à valoriser l'image qu'ils ont d'eux-mêmes", souligne Marc Boutin, en poste à Pablo Neruda depuis septembre. Les "discussions informelles", qui semblent "manquer à la maison", sont fréquentes en début et fin de cours, confirme Christelle Lafond, chargée des élèves en Segpa (Section d'enseignement général et professionnel adapté). Les élèves ont "une grande difficulté à verbaliser leurs émotions", constate Delphine Cornelissen, professeure de français.
En dehors des murs du collège, la direction et plusieurs enseignants soulignent que la délinquance liée au trafic de drogue, très présente dans le quartier, empêche ces élèves de vivre leur jeunesse avec sérénité. Nombre d'entre eux habitent dans des immeubles en bas desquels se trouvent "des points de deal", illustre Marc Boutin. A cela, s'ajoute une certaine pauvreté. Dans le jargon de l'Education nationale, l'indice de position sociale (IPS) permet d'appréhender le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales de leurs parents. Plus l'indice est élevé, plus l'adolescent évolue dans un contexte familial considéré comme favorable à la réussite scolaire. A Pablo Neruda, il est parmi les plus faibles du territoire (77, la moyenne nationale étant de 105).
Ce faible IPS se matérialise par des conditions de travail et d'apprentissage dégradées, comme "le manque de fournitures" ou "d'affaires pour le sport", et un manque d'aide efficace aux devoirs à la maison, de nombreux parents n'ayant pas le français pour langue maternelle, expose Delphine Cornelissen. La professeure propose ainsi aux élèves les plus en retard des ateliers pour travailler la lecture. "Les parents sont quand même très investis, précise Nassim Zeghoudi, conseiller principal d'éducation (CPE). S'il y a des carences éducatives, ce n'est pas par manque de volonté."
Du travail en "petit comité" sur "des points précis"
Dans son bureau décoré par les dessins de ses élèves, Nassim Zeghoudi met en avant le gros travail d'accompagnement fourni par le collège d'Aulnay-sous-Bois. Il y a d'une part le dispositif "devoirs faits", un temps d’étude encadré impulsé par l'Education nationale, mais aussi le "bureau d'aide rapide" (ou BAR), imaginé par le collège. "On travaille sur des points précis du programme en plus petit comité, quatre-cinq élèves maximum, avec ceux qui le désirent."
A la fin de la récréation de l'après-midi, le CPE en sweat gris reçoit un coup de fil de Kenza, assistante d'éducation. "Il y a encore eu une bagarre avec cet élève. J'appelle son père ?", le questionne-t-elle. Comme d'autres encadrants du collège, Nassim Zeghoudi ne nie pas les difficultés existantes à Pablo Neruda. "Il y a une certaine violence qui peut s'exprimer entre les élèves."
Pour canaliser cette colère, l'établissement propose des activités sportives et culturelles à foison : section rugby, ateliers de robotique, théâtre... A l'initiative de certains professeurs et membres de la vie scolaire, il existe des clubs informels dédiés au jardinage, aux échecs ou encore aux mangas. Le conseil de vie collégienne (CVC) contribue également à rendre le quotidien des élèves plus épanouissant. "On se réunit très régulièrement pour mettre en place des projets", rapporte Aminata, élève en 4e et membre du CVC.
"Le collège ne doit pas simplement se résumer aux cours."
Aminata, collégienne de 4e à Pablo Nerudaà franceinfo
Pour la Saint-Valentin, Aminata et ses camarades ont organisé une vente de fleurs et installé un panneau d'affichage pour y coller des déclarations et des mots bienveillants. "On est aussi en train de préparer un tournoi de foot féminin en lien avec la journée des droits des femmes. Cette année, on a dû le décaler un peu à cause du ramadan, pour permettre à toutes celles qui veulent participer de jouer dans de bonnes conditions", explique Naïm, autre représentant du CVC, en classe de 4e.
Des dispositifs académiques d'excellence
Pablo Neruda ne mise évidemment pas que sur le périscolaire pour faire réussir ses élèves. Outre sa section européenne, l'établissement propose depuis septembre des cours de culture antique et d'excellence mathématique, dans le cadre d'un plan lancé par le conseil départemental et le rectorat de Créteil, dont l'objectif est de rendre les collèges classés en éducation prioritaire plus attractifs.
Face à une petite dizaine d'élèves de 4e et 3e, Rémy Saber, professeur de mathématiques chargé de l'option renforcée dans cette matière, tente d'expliquer la suite de Fibonacci — une suite de nombres entiers dans laquelle chaque nombre est la somme des deux nombres qui le précèdent (1, 2, 3, 5, 8, 13...). "Montre-moi avec ton crayon les nombres que tu as additionnés", demande-t-il à une élève en difficulté. Pour l'enseignant, le but n'est pas de "d'aller plus loin que le programme", mais de "développer la culture des sciences". L'idée est également de mieux les préparer au lycée.
"On s'attarde plus longuement sur des démonstrations, ce qu'ils feront beaucoup en seconde."
Rémy Saber, professeur de maths à Pablo Nerudaà franceinfo
Les élèves qui suivent ce cours, tous volontaires, ne sont pas forcément des premiers de la classe, mais ils ont un intérêt pour les maths. "J'aime bien ça et c'est utile pour plein de petites choses au quotidien", relève Sarah*. Plus tôt dans l'année, elle et ses camarades ont aussi construit une structure en forme de ballon de foot de cinq mètres de haut avec des tiges, en partenariat avec un collège voisin, grâce à ce qu'ils avaient appris durant le cours d'excellence mathématique.
Pour la direction, ces nouveaux dispositifs visent sur le long terme à contrecarrer la fuite d'élèves vers d'autres établissements en rendant plus désirable Pablo Neruda, trop souvent stigmatisé par son étiquette "REP+". Selon Marc Boutin, environ 16% des CM2 des écoles élémentaires du secteur ne se sont pas inscrits en 6e dans son collège cette année.
* Les prénoms ont été changés.
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