: Vrai ou faux L'aide à mourir est-elle vraiment plus utilisée quand l'euthanasie est autorisée ?
Interrogé sur franceinfo, l'urgentiste Alexis Burnod a comparé les chiffres du Canada, où l'euthanasie est autorisée, et ceux de la Californie, qui ne permet que le suicide assisté. Mais de nombreux autres facteurs peuvent expliquer les différences de pratiques entre les deux territoires.
Le recours à l'aide à mourir est-il 16 fois plus fréquent dans les pays qui autorisent l'euthanasie plutôt que le suicide assisté ? C'est ce qu'a affirmé l'urgentiste Alexis Burnod, spécialiste en soins palliatifs à l'Institut Curie, sur franceinfo, lundi 12 mai. Le même jour, l'Assemblée nationale a commencé l'examen de la proposition de loi visant à légaliser l'aide à mourir en France. Un texte sensible, qui permettrait aux adultes atteints d'une malade incurable en phase avancée ou terminale de demander à mettre fin à leur vie.
Plus de 2 600 amendements ont été déposés. L'un des points les plus débattus concerne le mode d'administration de la substance létale : soit par suicide assisté, lorsque le patient s'auto-administre la substance, soit par euthanasie, quand le geste est effectué par un médecin. Le texte actuel prévoit d'autoriser les deux pratiques, même si la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a expliqué vouloir faire du suicide assisté la voie principale.
Mais l'autorisation de l'euthanasie favorise-t-elle vraiment le passage à l'acte ? Pour Alexis Burnod, le texte actuel va "beaucoup trop loin" : "Dans les pays où on ne peut que s'auto-administrer la mort, le passage à l'acte est 16 fois moins fréquent que ceux qui ont un rendez-vous avec un médecin", a-t-il affirmé au micro de franceinfo. Pour illustrer son propos, le médecin a comparé le Canada à la Californie : "L'un ne fait que l'euthanasie [le Canada], l'autre ne fait que le suicide assisté [la Californie]. Ils ont ouvert l'aide à mourir la même année, et pourtant le rapport est de 1 à 16."
Des chiffres qui ne disent pas tout
Les propos d'Alexis Burnod s'appuient sur les données officielles des ministères de la Santé du Canada et de la Californie. Les deux territoires ont légalisé l'aide à mourir en 2016. Depuis, 60 301 personnes sont mortes médicalement assistées au Canada contre 4 287 en Californie. Le nombre de cas est donc 14,07 fois plus élevé au Canada. En rapportant ces chiffres à 10 000 habitants, pour prendre en compte la différence de taille des populations, le ratio grimpe à 16,97.
Si la différence est impressionnante, selon Giovanna Marsico, qui dirige le Centre national sur les soins palliatifs et la fin de vie, ce n'est pas simplement parce que l'un pratique l'euthanasie et l'autre le suicide assisté : "C'est beaucoup plus compliqué que ça."
"Ce sont des législations très différentes, donc on ne peut pas forcément les comparer."
Giovanna Marscioà franceinfo
En effet, les deux lois sur l'aide à mourir ne se ressemblent pas du tout. En Californie, seule la forme de suicide assisté est autorisée et dans un cadre très strict : il faut être en phase terminale, avec une espérance de vie inférieure à six mois, être en capacité mentale de décider, et physiquement capable de s'auto-administrer le médicament. Au Canada, les conditions sont beaucoup plus souples : un patient n'a pas à être en phase terminale, aucun délai temporel n'est précisé, mais le patient doit tout de même souffrir d'une maladie incurable et être capable de faire la demande. L'euthanasie et le suicide assisté sont par ailleurs tous deux autorisés, mais l'écrasante majorité des Canadiens choisit l'euthanasie : seulement 6 cas de suicide assisté ont été recensés en 2023, d'après le ministère de la Santé.
Des facteurs d'explication multiples
L'écart observé entre le Canada et la Californie a suscité l'intérêt de plusieurs chercheurs. Dans la revue American Journal of Bioethics, l'universitaire Daryl Pullman a analysé les différents modèles de fin de vie adoptés dans les deux territoires. Il souligne que le suicide assisté, tel qu'il est pratiqué en Californie, pourrait en partie expliquer la différence. Dans cet Etat américain, les patients reçoivent une prescription de médicament létal, mais restent libres de l'utiliser quand ils le souhaitent, voire de ne pas l'utiliser du tout. Résultat, 30% des personnes ayant reçu le médicament ne le prennent finalement pas. Pour Daryl Pullman, cela montre que "pour un nombre considérable d'individus, savoir qu'il y a une option pour finir sa vie a l'air d'être suffisant".
D'autres recherches universitaires montrent qu'il existe de nombreux facteurs susceptibles d'influencer les taux de recours à la fin de vie d'un pays à l'autre. Une étude publiée dans la revue scientifique Mortality en 2024 liste dix explications pour comprendre la différence entre le Canada et la Californie. Parmi elles, le mode d'administration du produit, mais aussi le fait que le dispositif de fin de vie est connu de seulement 25% des Californiens contre 67% des Canadiens, le fait que les Californiens ont un meilleur accès aux soins palliatifs ou encore que moins de personnes aux Etats-Unis considèrent qu'un dispositif de fin de vie est moralement acceptable.
"Le fait que le Canada autorise l'euthanasie et la Californie non peut être un élément pour comprendre l'écart entre les deux pays, mais ce n'est pas le seul facteur d'explication", analyse Pier-Luc Turcotte. Chercheur à l'université d'Ottawa au Canada, il estime que c'est avant tout le modèle canadien qui constitue une exception sur la scène internationale. En 2023, près d'une personne sur vingt au Canada est décédée par aide médicale à mourir. C'est le deuxième taux le plus élevé au monde après celui des Pays-Bas, où l'euthanasie est autorisée depuis trois fois plus longtemps.
Pour expliquer cette situation, Pier-Luc Turcotte évoque l'approche très libérale du Canada dans l'adoption de sa loi. "Au Canada, l'aide à mourir a été conçue comme un soin comme un autre et non comme une solution de dernier recours", estime le chercheur. En mars 2024, le gouvernement du Québec, la province où l'aide à mourir est la plus pratiquée, a même lancé un projet de recherche pour mieux comprendre cette forte demande, sans rendre de conclusion pour le moment.
Au-delà de la comparaison entre la Californie et le Canada, les données issues d'autres pays montrent que l'on ne retrouve pas systématiquement un écart aussi marqué entre suicide assisté et euthanasie. Un rapport publié en mars 2025 par le Centre national sur la fin de vie et les soins palliatifs montre qu'en Suisse, par exemple, où seul le suicide assisté est autorisé, les taux de recours figurent parmi les plus élevés au monde. En 2023, le suicide assisté représentait 2,4% des décès dans le pays, un chiffre bien supérieur à celui de la Californie. A l'inverse, l'Espagne, qui a légalisé l'euthanasie en 2021, enregistre un taux de recours très bas : en 2023, les aides à mourir ont représenté moins de 0,1% des décès dans le pays. Au Luxembourg, où les deux pratiques sont autorisées depuis 2009, le taux reste également faible : 0,76% des décès en 2023 ont été réalisés via une aide à mourir.
Ces chiffres soulignent que les comparaisons internationales sont complexes, et qu'il est donc hasardeux d'attribuer les différences de recours à un seul facteur, comme le fait que le geste soit accompli par un médecin ou par le patient lui-même. Le cadre légal, la culture du soin, la perception de la fin de vie, le niveau de connaissance du dispositif ou encore l'organisation du système de santé sont autant d'éléments qui influencent ces pratiques. D'ailleurs, le texte de loi actuellement discuté en France ne ressemble ni au modèle californien, puisque le suicide assisté serait encadré par un médecin, ni au modèle canadien, qui traite l'aide médicale à mourir et les soins palliatifs dans un même ensemble.
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