: Récit "Un quotidien de menaces et d'enfermement" : les années de calvaire de Chahinez Daoud avant d'être brûlée vive par son mari
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La jeune femme de 31 ans a été tuée en mai 2021, deux mois après avoir déposé une plainte contre son conjoint, dont elle était séparée. Mounir Boutaa est jugé devant la cour d'assises de la Gironde à partir de lundi.
"Même comme ça, tu caches le téléphone pour que je ne le prenne pas." C'est l'une des dernières phrases que Mounir Boutaa déclare avoir adressée à sa femme, le 4 mai 2021. Chahinez Daoud gît alors au sol, les jambes meurtries par deux tirs de fusil qu'il vient de lui infliger à bout portant. Puis le quadragénaire l'asperge d'essence et l'immole devant son domicile, à Mérignac, dans l'agglomération bordelaise. Chahinez Daoud, mère de trois enfants, avait 31 ans.
Quatre ans plus tard, Mounir Boutaa est jugé devant la cour d'assises de la Gironde, à partir du lundi 24 mars, notamment pour assassinat. En garde à vue, il a expliqué qu'il voulait "cramer" son épouse "pour tout le mal qu'elle et la justice [lui] ont fait", selon l'ordonnance de mise en accusation consultée par franceinfo. Une version que semblent contredire les sept plaintes et mains courantes déposées par la victime. Son mari avait été condamné pour violences conjugales en 2020, mais avait été libéré au bout de quelques mois. Ce féminicide, qui a bouleversé la France, est l'aboutissement de nombreux appels à l'aide restés sans réponse, au point que l'avocat de la famille a engagé, en mars 2023, une procédure pour "dysfonctionnements du service public de la justice". Comment, malgré ces alertes, la jeune femme a-t-elle pu être brûlée vive ?
Un premier mariage de l'accusé jalonné de violences
En 2015, Chahinez Daoud, fraîchement divorcée, habite en Algérie avec ses deux premiers enfants. La jeune femme de 25 ans rencontre alors Mounir Boutaa, âgé de presque 15 ans de plus qu'elle. Le passé de ce maçon franco-algérien est marqué par un divorce conflictuel, une dépression et une tentative de suicide. Surtout, sa précédente relation est ponctuée de violences. Son ex-femme, la mère de ses trois premiers enfants, raconte aux enquêteurs avoir vécu sous l'emprise d'un homme jaloux. Elle évoque notamment des coups, des insultes et un viol ayant conduit à une grossesse.
A l'époque, Chahinez Daoud ignore cela. Elle épouse Mounir Boutaa après quelques mois de relation et décide de le rejoindre en France. En octobre 2015, la jeune femme obtient un visa touristique et séjourne quelques mois auprès de lui, avant de rentrer dans son pays natal. En mars 2016, elle quitte définitivement l'Algérie.
"Là, l'enfer commence"
Dès son installation en France, le comportement de Mounir Boutaa change. "Là, l'enfer commence", confie une amie de la victime, Samia*, aux enquêteurs. "Il a vraiment joué un double jeu", appuie l'avocat des parents de Chahinez Daoud, Julien Plouton. "En Algérie, il se présente comme le gendre idéal et reprend sa véritable personnalité une fois que sa femme le rejoint en France et qu'elle est bloquée avec lui", analyse-t-il. A ce moment-là, la jeune femme est enceinte et son fils aîné de 8 ans, resté en Algérie, attend un visa pour la rejoindre.
"Il la tape, au bout d'une semaine, il montre son vrai visage, il la viole, l'insulte."
Samia*, amie de Chahinez Daoudaux enquêteurs
Le bébé naît au mois d'août 2016. Les brimades deviennent de plus en plus fréquentes. Chahinez Daoud ne peut sortir qu'en portant un voile, y compris dans son jardin, et doit refaire ses papiers parce que son mari les déchire, selon l'une de ses amies. Mounir Boutaa assure en garde à vue que sa femme s'intéressait moins à lui qu'à son droit de rester en France.
En 2019, la famille déménage à Mérignac (Gironde). Chahinez Daoud trouve un peu de répit en travaillant dans une cantine scolaire, mais son mari contrôle l'argent qu'elle gagne, rapporte sa mère, Djohar Daoud. D'après elle, "il lui interdisait de parler aux autres et de sortir". Suivie par la maison départementale de la solidarité et de l'insertion de Mérignac, la victime endure "un quotidien de menaces et d'enfermement", selon sa responsable, Valérie Lavaud. La jeune femme dépose au moins quatre mains courantes entre 2018 et 2020.
Confronté aux témoignages des proches de son épouse, Mounir Boutaa se défend au cours d'un interrogatoire, le 22 mai 2021 : il évoque "un acharnement de ces témoins" qui viendrait "de la police". Il estime normal de fouiller dans le téléphone de sa femme. Quant aux mains courantes, il s'agit d'un plan qu'elle aurait mis en place. "La chose qu'ils ne savaient pas, c'est qu'elle finirait comme ça, qu'elle serait morte", assène-t-il.
Une première plainte déposée
En 2020, le confinement aggrave encore la situation. Un jour, pour avoir voulu porter un jean, Chahinez Daoud est étranglée jusqu'à perdre connaissance. Le 24 juin, elle dépose plainte contre son mari. Il nie en bloc, la traite de "chaudasse" et prétend qu'elle s'est blessée en tombant. Il est condamné à 18 mois de prison, dont neuf avec sursis probatoire sur une période de deux ans.
Cette décision ne marque pas la fin du calvaire de Chahinez Daoud, au contraire. Depuis sa cellule, Mounir Boutaa assaille sa femme d'appels et de messages, au point qu'elle dépose une nouvelle plainte, le 7 août 2020. Elle se rétracte rapidement, arguant qu'il s'est excusé. L'affaire est classée sans suite. Nadia*, une amie, assure aux enquêteurs qu'à ce moment-là, Chahinez semble aller mieux.
Mais son répit est de courte durée : Mounir Boutaa est libéré le 7 décembre, avec une interdiction de paraître au domicile conjugal et d'entrer en relation avec la victime. Une semaine après sa sortie, il réintègre pourtant la maison "normalement", à la demande de sa femme, d'après lui. L'une de ses amies, Isabelle*, souligne auprès des enquêteurs les deux facettes de Chahinez Daoud : "Une sous l'emprise de monsieur, et une autre, sa vraie personnalité."
"A chaque coin de rue, il était là"
Trois mois plus tard, les tensions explosent de nouveau et Mounir Boutaa déménage. Le 15 mars, Chahinez Daoud porte de nouveau plainte pour violences conjugales : elle déclare que son mari l'a contrainte à monter dans son fourgon, puis étranglée avec un foulard. Le policier qui recueille sa plainte vient lui-même d'être condamné pour "violences intrafamiliales". Mounir Boutaa n'est pas poursuivi pour ces faits, la plainte n'ayant pas été transmise au parquet, et aucune mesure de précaution n'est mise en place. Cette suite de défaillances, ayant abouti à la sanction de plusieurs policiers, est pointée dans un rapport de la mission d'inspection, remis au gouvernement en 2021.
Face aux enquêteurs, Mounir Boutaa concède un coup de tête lors de la dispute du 15 mars, expliquant qu'il soupçonne sa femme de multiples infidélités. A la suite de cet épisode, plusieurs proches décrivent un harcèlement incessant. "A chaque coin de rue, il était là. Elle a dû arrêter de travailler, elle avait peur de dormir seule", confie Samia* aux enquêteurs.
"Il lui disait toujours que c'était lui qui avait pu la faire venir en France et que ce serait lui qui la ferait rentrer en Algérie dans un cercueil."
Djohar Daoud, mère de Chahinezaux enquêteurs
Yasmine*, une amie, affirme que la jeune femme vit alors barricadée et rapporte l'avoir entendue dire que Mounir Boutaa finirait par la tuer. "Qu'au moins son honneur serait lavé et qu'en prison, il passerait pour un homme, alors que là, il passait pour une tapette." De son côté, l'oncle de la victime relate qu'elle l'a appelé trois fois avant son décès pour l'avertir : "Il va me tuer tonton, il va me tuer."
Une "mission" à accomplir
Mounir Boutaa est persuadé que Chahinez Daoud le trompe. Hébergé chez sa sœur après leur séparation, il ressasse cette obsession pour un amant fictif : "Il est chez moi, il est dans mon lit." Le 4 mai 2021, dès l'aube, il s'installe dans la rue de sa femme, embusqué dans son fourgon. Toute la journée, il guette ses allées et venues, jusqu'à ce qu'il la voie enfin sortir, vers 18 heures. Lorsqu'elle passe devant lui en courant, il saisit son fusil et fait feu pour l'empêcher de s'enfuir. Chahinez Daoud s'effondre. Il dira plus tard, lors de l'expertise psychologique, qu'il attendait un seul mot, "pardon", et que, faute de l'avoir entendu, il a tiré une seconde fois dans les jambes de sa victime.
Il s'approche, fouille la veste de la jeune femme et récupère les clés de la maison, avant d'attraper un bidon d'essence resté dans son véhicule et d'asperger son corps. "Je ne voulais pas la tuer, juste la marquer", assurera-t-il aux enquêteurs. Pourtant, il craque une allumette et met le feu à son épouse.
L'homme incendie ensuite le pavillon, après en avoir fait sortir le fils aîné de Chahinez Daoud, alors âgé de 12 ans. Ce dernier raconte aux enquêteurs s'être s'enfui, pieds nus, vers l'école de sa petite sœur, et avoir tenté d'appeler sa mère, en vain. Pendant ce temps, Mounir Boutaa est interpellé. Lors du trajet vers le commissariat, il répète calmement aux policiers qu'il avait une "mission" à accomplir en tuant sa femme.
Un discernement altéré, selon les psychiatres
Depuis son incarcération, l'accusé enchaîne les incidents. Placé à l'isolement, Mounir Boutaa met le feu à sa cellule en juillet 2021. En juin 2022, il menace un codétenu de l'égorger et de le brûler comme il l'a fait avec sa femme. En mars 2024, convoqué en commission disciplinaire pour violences sur un codétenu, il interrompt froidement le président en lançant : "Lui, il est victime ? Oui, c'est ça, comme ma femme." Les experts psychiatres considèrent que son discernement, bien qu'altéré, n'efface pas sa responsabilité pénale.
Ses avocates, Elena Badescu et Anaïs Divot, assurent que depuis un an, sa détention se passe "plutôt bien", sans nouveau rapport d'incident. "Il a la volonté de s'expliquer devant cette cour d'assises", expliquent-elles.
"M. Boutaa est une personnalité complexe, c'est compliqué de se prononcer sur son état d'esprit à ce jour."
Les avocates de l'accuséà franceinfo
Les parents de Chahinez Daoud attendent pour leur part que "justice soit faite" et que "Mounir Boutaa soit mis face à la portée de son acte", selon leur avocat, contacté par franceinfo. Tout au long du procès, Julien Plouton entend démontrer l'engrenage du contrôle coercitif et mettre en lumière l'aveuglement qui permet l'escalade de la violence, parfois jusqu'au féminicide. Il en est convaincu : "Ce qui est arrivé à Chahinez, ce n'est pas un simple fait divers, c'est un fait de société."
*Les prénoms ont été modifiés.
Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Ce numéro garantit l'anonymat des personnes, mais n'est pas un numéro d'urgence comme le 17 (ou le 114 par SMS) qui permet pour sa part, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie.
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