Témoignages "Les femmes étaient maltraitées" : 50 ans après la loi Veil, des "avorteurs" clandestins racontent

Article rédigé par franceinfo
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La loi Veil, portée par la ministre de la Santé de l'époque, Simone Veil, a été promulguée le 17 janvier 1975. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)
La loi Veil, portée par la ministre de la Santé de l'époque, Simone Veil, a été promulguée le 17 janvier 1975. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

"Faiseuses d'ange" ou médecins, certaines femmes et hommes ont permis à des femmes d'avorter clandestinement à une époque où l'interruption volontaire de la grossesse était illégale. franceinfo les a rencontrés.

C'était il y a 50 ans, jour pour jour. Le 17 janvier 1975, la loi Veil autorisant l'IVG en France était promulguée, grâce notamment au courage de militants et de médecins qui ont fait pression en pratiquant des avortements clandestins. franceinfo a rencontré trois d'entre eux, un médecin et deux femmes qui témoignent des décennies plus tard.

Jusqu'au milieu des années 1970, les femmes qui avaient une grossesse non désirée avaient trois possibilités, que résume Annie Chemla.

"Se charcuter" ou faire appel à des "faiseuses d'ange"

Cette femme a rejoint le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (Mlac) en 1973. "Les solutions à l'époque, c'était soit les 'faiseuses d'ange', qui n'étaient pas toutes formées, soit pour celles qui avaient de l'argent le fait d'aller voir un médecin. Clandestinement et pour très cher, beaucoup de médecins pratiquaient des avortements..., rappelle Annie Chemla. Et puis, il y avait le fait de se charcuter, c’est-à-dire d'introduire soi-même dans son utérus une sonde ou un morceau de métal pour déclencher des saignements et ensuite on allait à l'hôpital. Et c'est là que les femmes étaient maltraitées".

"Beaucoup de médecins décidaient de leur propre chef de punir les femmes. Souvent, on laissait les femmes saigner et les médecins disaient que? comme ça, elles ne recommenceraient plus..."

Annie Chemla

à franceinfo

Françoise Gayet, médecin généraliste à la retraite installée à Besançon peut en témoigner. En 1958, sa mère, qui avait déjà trois enfants, décide d'avorter et consulte une "faiseuse d'ange". "Elle a failli mourir parce qu'elle a fait une septicémie, une infection gravissime. Et puis, après, elle a fait une dépression, ça avait été horrible", confie-t-elle.

"Bataille d'idées"

Ces conséquences physiques ou psychologiques parfois irrémédiables, c'est également ce qui a poussé René Frydman, médecin, gynécologue et père scientifique du premier bébé-éprouvette français, à s'engager pour légaliser l'avortement. "J'ai été très marqué par le décès d'une jeune fille qui était hospitalisée, que j'avais connu pendant quelques jours pendant mes activités médicales. Un matin, quand je suis arrivé, le lit était vide, ça a été un choc, on m'a appris qu'elle était décédée d'une septicémie à clostridium perfringens", confie-t-il.

René Frydman rejoint alors, avec d'autres médecins, le Groupe information santé (GIS), et lutte notamment pour promouvoir ce qu'on appelle la méthode Karman : une méthode par aspiration simple et peu douloureuse. Le débat a alors pris une autre tournure : "Il y avait une bataille d'idées parce qu'en fait il y avait une idéologie sous jacente. Si l'aspiration marche mieux et est plus facile à faire, alors ça va favoriser les avortements, donc vaut mieux qu'elles en souffrent et en payent le prix", se rappelle-t-il.

Le professeur René Frydman, en 2011, devant l'hôpital Antoine Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine). (ERIC FEFERBERG / AFP)
Le professeur René Frydman, en 2011, devant l'hôpital Antoine Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine). (ERIC FEFERBERG / AFP)

Le professeur Frydman va donc appliquer cette méthode et réaliser plusieurs avortements clandestins, tout comme Françoise Gayet, qui elle aussi en, 1973 est à la fin de ses études. "Grâce à cette méthode très simple on a pu pratiquer des avortements chez les femmes. Elles étaient soulagées, ça durait vingt minutes quand tout allait bien. On aspirait tout doucement, on s'arrêtait, on mangeait des gâteaux, on buvait un coup", témoigne Françoise.

Loi Veil "insuffisante"

Annie Chemla décrit ce même climat. Certes ces avortements étaient clandestins mais "il y avait beaucoup de chaleur humaine, de tendresse, pour que ce moment qui n'est pas facile à vivre se passe du mieux possible", assure-t-elle.

Elle, n'a jamais eu de formations médicales, elle a donc d'abord accompagné des femmes lors des IVG avant d'en pratiquer elle-même après la promulgation de la loi. "La loi Veil est une loi extrêmement insuffisante, parce que l'avortement n'était pas remboursé et qu'il était très cher, parce qu'il était interdit aux mineurs de moins de 21 ans et aux immigrés, et puis parce que les hôpitaux n'étaient absolument pas prêts", estime Annie Chemla.

Il a fallu attendre 2012 pour que l'Interruption volontaire de grossesse soit remboursée à 100% par la sécurité sociale. Cette "liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse" est désormais inscrite dans la Constitution depuis le 4 mars 2024.

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