Procès Outreau : à la barre, la nouvelle Myriam Badaoui jure qu'elle "ne ment plus"
L'accusatrice en chef du dossier, condamnée à quinze ans de prison en 2004, est venue témoigner mardi. Elle a disculpé Daniel Legrand fils et chargé le juge Burgaud.
Tout le monde la guette. Le public, venu en nombre, et les journalistes. Myriam Badaoui a-t-elle autant changé que certains le prétendent ? Son fils Jonathan dit-il vrai lorsqu'il affirme qu'elle a perdu 60 kilos et qu'elle a fait de la "chirurgie esthétique" ? La première apparition de cette femme aujourd'hui âgée de 46 ans est trop fugace pour répondre : la témoin évite les objectifs en se faufilant dans la salle de la cour d'assises des mineurs de Rennes par la porte avant. Tête baissée, elle s'avance à la barre à toute vitesse, le visage caché par une capuche.
La mère incestueuse des quatre enfants Delay est venue témoigner au procès de Daniel Legrand, acquitté en 2005, mais rejugé depuis le 19 mai pour des viols et agressions sexuelles qu'il aurait commis sur les quatre fils de Myriam Badaoui lorsqu'il était mineur. D'elle, le public assis dans la salle d'audience ne verra qu'une silhouette amaigrie enveloppée dans un sweat bleu, la tête couverte par un foulard beige. Ceux qui ont fait le choix de la salle de retransmission la découvrent de face. Ses traits n'ont pas tellement changé, même s'ils se sont un peu affaissés sous le poids des années et des kilos en moins.
"Le juge m'a bouffé ma vie, il m'a mangée !"
Que réserve la nouvelle Myriam Badaoui ? Daniel Legrand, dans le box des accusés, la fixe avec appréhension. Dès ses premières déclarations, elle l'innocente et charge le juge Fabrice Burgaud : "Je ne connais pas Daniel Legrand. Le juge m'a montré les photos des gens dont les enfants avaient parlé." Voici, résumée en deux phrases, la teneur de la longue audition de Myriam Badaoui ce mercredi 27 mai. Ces propos, elles les avaient déjà tenus au procès en appel à Paris, en 2005. Mais elle va avoir le loisir de les développer pendant quatre heures.
Autant Myriam Badaoui blanchit l'accusé, "ce jeune homme à qui j'ai brisé sa vie, que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam", autant elle accuse le juge Burgaud, ce magistrat qu'elle a cru être "son ami", qui l'a "abandonnée" en cours de procédure et qui l'a poussée "dans ses délires". Une relation dévorante, à l'entendre : "Le juge m'a bouffé ma vie, il m'a mangée !" pleure Myriam Badaoui, reprenant ses accents d'autrefois, quand tout le monde la croyait encore, au procès de Saint-Omer en 2004.
"Vous devez me prendre au sérieux"
Aujourd'hui, Myriam Badaoui ne ment plus. "Même par amour pour mes enfants, je ne veux plus mentir", sanglote-t-elle, un mouchoir serré dans ses mains. "C'est aujourd'hui que vous devez me prendre au sérieux", insiste-t-elle à l'intention de la cour. Plusieurs de ses déclarations seront en effet considérées comme suffisamment sérieuses pour être actées par le président Philippe Dary. Notamment lorsqu'elle confirme que le juge Burgaud lui a donné les noms de Daniel Legrand père et fils. Le magistrat a démenti ces éléments lors de son témoignage par visioconférence vendredi dernier.
"Lorsque je disais la vérité, le juge n'était pas content, il tapait du poing sur la table, mime-t-elle à la barre, à grands renforts de gestes. Quand je choisissais un nom qui ne lui convenait pas, il me parlait d'autres personnes. (...) Alors je repartais dans mes délires." Myriam Badaoui victime et le juge Burgaud, coupable ? Lors d'une suspension d'audience, l'un des avocats de la défense, Me Hubert Delarue, dépeint "la relation folle et perverse" qui s'était nouée entre cette femme en quête de reconnaissance et ce tout jeune juge d'instruction. Mais il concède que le magistrat inexpérimenté a pu être "instrumentalisé" par celle qui apparaît alors comme "la pierre angulaire de l'accusation".
Des excuses à Daniel Legrand
Pendant l'audience, le président Philippe Dary ne ménage pas la témoin. Il reprend point par point toutes ses accusations concernant Daniel Legrand père et fils. Le réseau de cassettes pédophiles dont la plaque tournante était un sex-shop, dont le père était le propriétaire et le fils de 15 ans, le gérant. Les virées en Belgique pour filmer les viols des enfants par des adultes et des animaux. Les cassettes pornos cachées sous des paquets de chips au retour. "Mais comment avez-vous pu inventer tous ces détails ?" s'étonne le président. Myriam Badaoui, qui fait non de la tête, rechigne à répondre. "Je sais plus, j'en sais rien." Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle a menti, et que Daniel Legrand est innocent. "Je m'excuse auprès de lui, j'étais pas nette dans ma tête."
Sur le meurtre d'une fillette en Belgique, dénoncé par Daniel Legrand après ses aveux (rétractés) et qui a fait l'objet d'un non-lieu en 2007, Myriam Badaoui veut bien donner quelques détails sur le processus qui l'a conduite à confirmer ces accusations : "Quand M. Burgaud m'a fait venir et m'a expliqué qu'un des enfants avait cité une affaire de meurtre, je ne voulais pas traiter mes enfants de menteurs, alors j'ai dit n'importe quoi. Et c'est là que le juge m'a lu le contenu de la lettre de Daniel Legrand sur le meurtre." Quand elle donne la même version lors de la confrontation organisée quelques jours plus tard, elle voit "le visage de Daniel Legrand désemparé".
"Le mensonge détruit et ne construit pas"
Aujourd'hui, Myriam Badaoui le répète, le martèle, elle "ne veut plus mentir", "même pour faire plaisir", même "par amour" pour ses enfants. Jonathan, qui avait confié aux médias espérer qu'elle craque en le regardant dans les yeux, tente l'expérience. Autorisé à poser des questions à sa mère, comme il l'a fait la veille avec son père Thierry Delay, il se plante face à elle et se lance, très ému : "Est-ce que tu confirmes que vous n'étiez que quatre ?" Comme son ex-mari, Myriam Badaoui acquiesce et valide l'arrêt de la cour d'appel de Paris en 2005 : seuls elle, Thierry Delay, Aurélie Grenon et David Delplanque les ont violés. Jonathan reprend, très digne : "Est-ce que tu confirmes que nous n'étions pas filmés ?" "Oui, Jonathan", lui répond Myriam Badaoui au cours d'un échange mère-fils surréaliste et surtout d'une grande tristesse. Le cas de Daniel Legrand n'est pas abordé. Jonathan, qui le met en cause depuis le début des débats, n'a même pas posé la question.
De jour en jour, l'accusation s'effondre. Entendus après Myriam Badaoui, Aurélie Grenon et David Delplanque, ses co-accusateurs de l'époque, également condamnés pour viols, ont eux aussi disculpé le jeune homme. Et expliqué leurs mensonges de l'époque par l'influence de leur ancienne voisine de palier, dont seule "la vérité" comptait dans le bureau du juge.
Aujourd'hui, "votre gamin dit que c'est vous, la menteuse, que Legrand était là. C'est lui qui dit la vérité ou c'est vous ?" l'interroge habilement Me Franck Berton. "J'ai grandi dans ma tête", répond Myriam Badaoui. A la demande de la défense, elle adresse un message à son fils : "On ne construit jamais une vie sur du mensonge, car ça nous rattrape tout le temps. J'espère du fond du cœur, Jonathan, que, quand tu seras grand, mon garçon, tu prendras conscience, car le mensonge détruit et ne construit pas." Jonathan n'est plus là pour l'écouter. Il s'est enfui de la salle d'audience.
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