"Cet espace devient cathartique" : avec la série "Ballroom, danser pour exister", Amandine Gay met en lumière une culture queer historiquement marginalisée
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La réalisatrice consacre une série documentaire à la culture du ballroom, compétition artistique ou des membres racisés de la communauté LGBTQIA+ mêlent mode, danse et expression de soi.
Un voyage en quête d'identité. Ainsi se résume la série documentaire Ballroom, danser pour exister, réalisée par Amandine Gay et diffusée mercredi 30 juillet sur la plateforme france.tv. Une immersion au sein de la scène francilienne des ballrooms, compétitions artistiques LGBTQIA+ mêlant mode, danse et expression de soi. Souvent racisés (c'est-à-dire susceptibles d'être assignés à un groupe minoritaire et d'être victime de discriminations), ces participants trouvent dans cette culture une famille de substitution, ainsi qu'un espace où être soi-même.
Dans cette série en cinq parties, la réalisatrice suit le quotidien d'un groupe de performeurs de voguing, une danse revendicative née dans les clubs LGBTQIA+ new-yorkais, où on multiplie les poses inspirées des magazines. Dans cet univers, la maîtrise de la danse, mais aussi la création de personnages, le maquillage, les tenues ou encore le storytelling font toute la différence lors des concours.
Quête d'identité, solidarité face à l'exclusion ou encore désir d'ascension sociale… Ballroom, danser pour exister met aussi en lumière les problématiques intimes et politiques des acteurs de cette culture. Sa réalisatrice revient pour franceinfo sur l'élaboration de cette série documentaire.
Franceinfo : Pourquoi avoir décidé de consacrer cette série au voguing et aux ballrooms ?
Amandine Gay : J'ai une passion pour les questions de famille choisie et de communauté. Comment trouver des personnes qui nous ressemblent, que l'on soit une personne adoptée ou une femme noire ? Comment faire face à une société qui ne nous accepte pas toujours comme on est ? Quelle culture peut-on s'approprier ? Quelle culture peut-on revendiquer ? De quelle culture a-t-on été exclu ?
S'il y a bien une scène qui incarne ces questions et qui est véritablement une famille, c'est la scène ballroom. Nous avons la chance en France d'avoir le deuxième plus gros mouvement après les Etats-Unis, donc cela me semblait important de leur donner la parole et de montrer leur créativité.
"C'est un réel espace d'invention, riche de nombreuses catégories autour de la danse, de la mode, de la célébration de tous les corps… Autant de choses qui font désormais partie de la culture du grand public."
Amandine Gay, réalisatrice de "Ballroom, danser pour exister"à franceinfo
Il y a dix ans, je souhaitais représenter toutes les femmes noires dans mon travail, mais à l'époque, aucune femme noire trans ne voulait apparaître à visage découvert dans un film, car c'était vraiment très dangereux. Ces questions-là en étaient à leur balbutiement dans l'espace public. Faire cette série aujourd'hui est une façon de leur donner la parole et leur rendre hommage. Je voulais montrer que les choses ont évolué dans le bon sens.
On voit désormais des personnes queers [c'est-à-dire dont l'orientation ou l'identité sexuelle ne correspond pas au modèle social hétéronormé] et noires à la télévision, ce qui n'était pas le cas lorsque j'étais jeune. Il est important que des adolescents qui se posent des questions réalisent en voyant la série que leur destin ne sera pas forcément tragique et qu'ils peuvent trouver une communauté dans laquelle s'épanouir.
Où est né le mouvement du voguing ?
Aux Etats-Unis à la fin des années 1960, avec des personnes de la communauté afro-américaine et hispanique. Mais c'est lors de la sortie du clip de Madonna Vogue en 1990 que la culture voguing est devenue populaire.
A Paris, ce mouvement ne s'est développé qu'à partir de 2010. Il y a eu évidemment un effet miroir avec les Etats-Unis, puisqu'il a été créé ici par des personnes noires et maghrébines. Ce mouvement est un peu la petite sœur queer de la scène hip-hop. Il y a beaucoup de ponts entre ces deux scènes artistiques. Aujourd'hui, il y a des scènes ballrooms dans toute la France, notamment en Bretagne.
Qui participe à ces ballrooms ?
Ce sont majoritairement des gens plutôt jeunes, issus de milieux populaires et marginalisés dans une société où ils ont été confrontés au racisme, au sexisme, à l'homophobie, à la transphobie, etc. Des personnes qui n'entrent pas dans les canons de ce qui est considéré comme légitime et qui trouvent un moyen d'exister et de se réapproprier leur identité, d'autant qu'il y a autant de transphobie dans le monde noir que dans le monde blanc.
Finalement, aujourd'hui, leur culture devient tellement populaire qu'elle s'extrait du cercle des initiés. Pour preuve, ils ont pu danser lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris. Leurs tenues, leur façon de danser influencent désormais le grand public.
J'ai aussi souhaité montrer des hommes noirs de banlieue qui sont dans le soin, dans la douceur, la bienveillance. Une masculinité noire que l'on ne voit jamais à l'écran.
Ces ballrooms, structurés comme des cellules familiales, ne font-elles pas office de refuge et de thérapie de groupe ?
Oui. Outre la thématique familiale, il était important pour moi d'aborder la santé mentale. Pendant très longtemps, cette question était très difficile à aborder dans la communauté noire. De la même façon, il était compliqué de recevoir des soins thérapeutiques adaptés en provenance d'un corps médical blanc, qui n'était pas forcément formé [aux problématiques minoritaires].
Il est essentiel de montrer comment, dans la scène ballroom, il y a tout un travail humain, informel, de pédagogie, de soutien moral des aînés, qui guident les plus jeunes dans leur parcours, y compris médical pour ceux qui souhaitent faire une transition [de genre]. Je voulais montrer cette dimension-là et comment ces houses, comme on appelle ces groupes au sein de la ballroom sur le modèle des maisons de couture, deviennent des familles de substitution.
Dans les parcours des personnes queers, il y a souvent des moments de rupture avec les familles plus ou moins longs. Dans ces moments-là, il est important d'avoir des personnes vers lesquelles se retourner et la scène ballroom offre cela.
D'ailleurs, on peut le voir dans une séquence lors d'un cours de danse : certains jeunes, en apprentissage, se jettent au sol sur le dos de façon assez spectaculaire. Leur professeur leur explique que c'est le moment idéal pour eux d'évacuer tous leurs traumatismes. Cet espace artistique devient cathartique.
"C'est vraiment un mouvement de très grande liberté dont a besoin cette minorité marginalisée."
Amandine Gay, réalisatrice de "Ballroom, danser pour exister"à franceinfo
Dans ces ballrooms, ils peuvent laisser parler leur imaginaire sans que quiconque les juge. Mais les gens qui apparaissent dans la série ne sont pas tous en crise avec leurs familles.
Que font-ils lorsqu'ils ne dansent pas ?
Cela dépend de leur âge et de leur niveau de danse. Certains artistes et performeurs qui ont des carrières de danseurs et danseuses en dehors de ce mouvement. Il y en a qui travaillent dans la mode, dans la vente, d'autres sont étudiants… Certains ont des métiers "classiques" et leur appartenance à cette scène est une façon pour eux de vivre leur folie. Des membres arrivent à vivre de cette culture ballroom, car aujourd'hui, il y a de plus en plus de demande. On peut en voir danser dans des clips, accompagner des artistes lors de tournées…
Leur manière de danser est à fois très sexualisée et politique…
Cela dépend des catégories de danse. Lorsque le mouvement est né aux Etats-Unis, dans les années 1970, il y avait très peu de débouchés pour les personnes trans en dehors du travail du sexe. Heureusement, cela a changé aujourd'hui. Mais cette thématique de danse liée au corps est restée et le message est devenu de magnifier ce rapport à la sexualisation plutôt que d'en avoir honte.
Mais toutes les autres catégories ne sont pas sexualisées. Il existe une thématique, très présente dans le mouvement, qui célèbre les moyens de résistance de ces minorités discriminées. On y décrit comment survivre en tant que personne LGBTQIA+ dans un monde hétéronormé – c'est-à-dire en apprenant à se cacher. On assiste donc à une forme de célébration de leur capacité à être versatile, à travailler dans un bureau toute la journée et le soir devenir une drag-queen sans que leurs collègues puissent l'imaginer.
Si on résume la ballroom, on peut dire que c'est un peu la réappropriation de stigmates partagés. Tout ce qui est mal vu, méprisé ou contesté dans la société hétéronormée blanche majoritaire va être retourné et devenir un matériel alimentant la créativité.
La série documentaire "Ballroom, danser pour exister", réalisé par Amandine Gay, est diffusée à partir du mercredi 30 juillet sur la plateforme France.tv.
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