Détenus, recours possibles, conditions de détention... Ce qu'il faut savoir des premiers transferts de narcotrafiquants vers la prison de Vendin-le-Vieil

Après la publication du décret sur les quartiers de lutte contre la criminalité organisée, une centaine d'individus doivent rejoindre ce centre pénitentiaire du Pas-de-Calais d'ici à la fin juillet.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une cellule de la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), le 14 mai 2025. (MICHEL EULER / AFP)
Une cellule de la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), le 14 mai 2025. (MICHEL EULER / AFP)

Après des semaines d'attente, ils ont été informés de leur transfert imminent. Plusieurs détenus savent désormais qu'ils font partie de la centaine de narcotrafiquants qui doivent rejoindre la prison ultrasécurisée de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) d'ici à la fin juillet. Après la publication du décret d'application de ces quartiers de haute sécurité, créés par la loi visant "à sortir la France du piège du narcotrafic", les premiers courriers sont arrivés. Selon les informations de franceinfo, les notifications ont été délivrées dès mardi 15 juillet.

Mohamed Amra, Gabriel Ory ou Moufide Bouchibi notifiés de leur transfert

Au moins un détenu était certain de faire partie du "casting" : le multirécidiviste Mohamed Amra, incarcéré à Condé-sur-Sarthe (Orne) pour son évasion qui a coûté la vie à deux surveillants pénitentiaires au péage d'Incarville en mai 2024. La création de ces quartiers de haute sécurité, dédiés à la criminalité organisée et inspirés du carcere duro ("prison dure") italien, a été présentée comme une réponse à ce drame. Le détenu, arrêté en Roumanie après sa cavale, a donc été informé de son transfert à Vendin, a appris mercredi franceinfo de sources concordantes, confirmant une information du Figaro. Et ce, malgré le fait que la prison de Condé doive, elle aussi, accueillir une centaine d'autres narcotrafiquants en octobre. Selon une source proche du dossier, Mohamed Amra ne s'est pas opposé à ce transfert à Vendin-le-Vieil.

Gabriel Orysoupçonné d'être à la tête de la DZ Mafia, une organisation criminelle marseillaise connue pour ses méthodes ultraviolentes et ses règlements de comptes, s'est aussi vu notifier son transfert à Vendin, selon son avocate à franceinfo, Christine d'Arrigo. Il est actuellement incarcéré à Fleury-Mérogis (Essonne), où il est déjà soumis à un régime de détention très strict, selon son conseil, après la découverte dans sa cellule de plusieurs téléphones portables. "Ils lui font l'antichambre des prisons Darmanin", nous avait confié Christine d'Arrigo. 

Une figure du camp rival marseillais Yoda, "Mareko Scala", Guy B., de son vrai prénom, a, lui aussi, reçu un courrier l'informant qu'il allait rejoindre le centre pénitentiaire du Pas-de-Calais, comme l'a rapporté son avocate au Parisien. Depuis sa cellule du centre pénitentiaire d'Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), Guy B. est notamment soupçonné d'avoir planifié un homicide en mars 2022 à Garges-lès-Gonesse sur fond de guerre entre narcotrafiquants. Il a aussi été condamné à 25 ans de prison, dont il a fait appel, pour des actes de torture et de barbarie sur des guetteurs à la cité marseillaise de la Busserine. "On envisage de l'envoyer dans ce centre qui bafoue l'entièreté des libertés publiques les plus fondamentales, alors même qu'il n'est à ce jour condamné définitivement dans aucune des procédures sur lesquelles l'administration s'appuie pour demander son transfert", déplore son avocate, May Sarah Vogelhut, auprès du Parisien.

Moufide Bouchibi, présenté comme le plus gros trafiquant de drogue français, a, lui aussi, reçu sa convocation pour Vendin, confirme son avocat, Raphaël Chiche, à franceinfo. Il avait été interpellé à Dubaï fin mars 2021. Le pénaliste confirme également avoir été informé du transfert de deux autres de ses clients, un trafiquant nantais récemment acquitté aux assises, mais incarcéré dans d'autres dossiers, et un homme arrêté l'an dernier après cinq ans de cavale.

Trois jours pour contester cette décision via un premier recours

A partir du moment où ils reçoivent l'information de leur transfert, les détenus disposent de trois jours pour préparer des observations avec leurs avocats. Ils les présentent dans le cadre d'une brève audience, lors d'un débat contradictoire. Ces observations sont ensuite transmises à la Direction interrégionale de l'administration pénitentiaire puis à la Chancellerie. C'est le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui décide in fine, par arrêté ministériel, du transfert de chaque détenu. "On sait très bien que le débat contradictoire, soi-disant, ne va rien donner. On est censés pouvoir faire des observations, on sait qu'on ne sera même pas lus", a estimé sur franceinfo l'avocate Christine d'Arrigo.

Ce débat contradictoire aura lieu vendredi pour Moufide Bouchibi, comme l'indique son avocat à franceinfo. "A la réception de la décision, nous formerons un recours devant le tribunal administratif", précise Raphaël Chiche. Si le transfert est confirmé, des recours classiques devant la justice administrative sont en effet possibles. Mais ils ne sont pas suspensifs. Autrement dit, le détenu sera tout de même acheminé vers Vendin. L'avocat Philippe Ohayon dénonce ainsi des moyens de recours "fictifs".

"Nous avons un ministre de la Justice qui n'a pas le droit d'intervenir dans les affaires internes et qui, tel un empereur, va avec un grand stylo signer des ordres de transfert."

Philippe Ohayon, avocat

à franceinfo

"Si cette méthode était appliquée au procès pénal et à un procès correctionnel, nous serions effectivement en dictature", soutient l'avocat. Il regrette notamment de ne pas être en possession de toutes les pièces du dossier de son client : "J'ai un dossier avec marqué 'pièces communicables', ce qui veut dire qu'il y a des pièces qui ne sont pas communiquées, ce qui est absolument scandaleux."

Un régime d'isolement renforcé valable un an

Une fois transférés à Vendin-le-Vieil, les détenus, qu'ils soient condamnés définitivement ou en détention provisoire, seront soumis à un régime d'isolement renforcé valable un an – contre trois mois jusqu'ici – et renouvelable. Les travaux à l'intérieur du centre pénitentiaire sont terminés et il reste quelques travaux à l'extérieur pour la sécurisation du domaine. La prison a été équipée de brouilleurs contre les drones et les téléphones portables, de murs de 10 mètres de haut et d'agents triés sur le volet, pour limiter les risques de corruption.

Des hygiaphones ont été installés aux parloirs (le détenu est séparé des visiteurs par une vitre), les unités de vie familiale sont interdites, les appels téléphoniques limités à deux heures, deux fois par semaine, et le travail interdit. Le Conseil constitutionnel a émis une réserve sur les fouilles à nu systématiques en cas de contacts sans surveillance d'un agent, en conditionnant celles-ci à certaines circonstances. Il a par ailleurs censuré partiellement l'article sur la généralisation de la visioconférence pour les rendez-vous avec le juge, en ce qui concerne les détenus mis en examen.

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