Reportage "On ne sait pas forcément comment réagir" : des commerçants formés pour mettre en sécurité les victimes de harcèlement de rue

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Les "safe places" recencées dans l'application sont signalées par un sticker apposé sur la devanture. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Les "safe places" recencées dans l'application sont signalées par un sticker apposé sur la devanture. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Depuis 2019, l'application Umay répertorie des "safe places" partout en France. Dans ces espaces, souvent des commerces, les salariés ont été formés à une bonne prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles.

Sifflements, interpellations, insultes, agressions… Dans les espaces publics, les violences sexistes et sexuelles sont fréquentes. D'après une étude de l'Observatoire national des violences faites aux femmes, publiée début mars, le nombre de victimes de violences sexuelles dans les transports en commun a augmenté de près de 86% en dix ans en France.

Les premiers lieux dans lesquels les victimes de harcèlement se réfugient sont souvent les commerces de proximité. "On ne sait pas forcément comment appréhender la situation, comment réagir", confie Marc, salarié d'un Monoprix à la gare RER Auber, à Paris. Pour leur apprendre les bons réflexes, Pauline Vanderquand, fondatrice de Umay, multiplie les formations à travers la France grâce à des partenariats avec des groupes commerciaux et des collectivités. Les commerces qui en ont bénéficié peuvent ensuite être référencés "safe place" (lieu sûr) et sont répertoriés sur une application, disponible sur smartphone depuis 2019. franceinfo a pu assister à l'une de ces formations.

"Un accueil de premier niveau dans un cadre citoyen et solidaire"

Ils sont quatre salariés, ce jour-là, dans l'arrière-salle d'un magasin Monoprix de la galerie commerciale de La Défense, en région parisienne. Pauline Vanderquand commence par préciser aux vendeurs qu'ils n'ont pas vocation à se substituer aux forces de l'ordre. La formation, au contraire, vise à leur donner des clés pour effectuer "un accueil de premier niveau dans un cadre citoyen et solidaire". La formatrice projette au mur des mots-clés : "Embrasser de force", "mains aux fesses", "bruits obscènes"…

Des exemples de violences sexistes et sexuelles énumérés pendant la formation Umay. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Des exemples de violences sexistes et sexuelles énumérés pendant la formation Umay. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

La première question est basique et directe : "Qu'est ce qui vous vient en tête quand on entend parler de violences sexistes et sexuelles ?" L'assemblée énumère les différentes formes d'agressions, morales, physiques, sexuelles… Une pyramide des violences leur est présentée avec les sanctions qui correspondent. "On le sait mais c'est toujours bien de le rappeler et de l'avoir en tête", reconnaît l'un des participants, salarié du Monoprix de la gare Montparnasse à Paris. Comme ses collègues, il confirme se retrouver parfois dans des situations sensibles : certaines femmes sont suivies par des hommes, d'autres ont été insultées ou menacées. Pauline Vanderquand passe alors en revue les impacts de ces violences sur les victimes. Sidération, angoisse, culpabilité, évitement…

"Le cerveau d'une victime d'agression est comme un circuit électrique qui disjoncte, toutes les ampoules grillent instantanément."

Pauline Vanderquand

à franceinfo

"À ce moment-là, on n'est plus capable de parler, de penser, de bouger. C'est une sorte de paralysie", précise la formatrice. Des indications qui permettent aux commerçants de comprendre l'état dans lequel certaines victimes passent la porte de leur boutique : certaines sans leur adresser un mot, juste pour se réfugier, feuilleter un magazine, regarder les rayons et attendre que le temps passe.

Recueillir, rassurer, renseigner

Pour les prendre en charge de façon adaptée, Umay a développé la "Méthode R" : recueillir, rassurer, renseigner. La formatrice distribue des affichettes "à accrocher dans les salles d'équipe des commerces", pour indiquer à tous les salariés le comportement à adopter et leur rappeler que le magasin est répertorié "safe place". Des "bons mots" sont suggérés : "Vous avez bien fait de venir nous voir", "vous êtes en sécurité ici", "je vous crois", "voulez-vous que je contacte quelqu'un ?".

Les affiches distribuées aux commerces pour rappeler aux salariés comment bien prendre en charge une victime de violences. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)
Les affiches distribuées aux commerces pour rappeler aux salariés comment bien prendre en charge une victime de violences. (AUDREY ABRAHAM / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Il s'agit de communication bienveillante, précise Pauline Vanderquand qui préconise aussi une gestuelle particulière : ne pas avoir les bras croisés, rester proche de la victime mais pas trop, ne pas porter de jugement sur l'apparence ou l'état de la personne. "Nous ne sommes pas la police, ni des détectives, ni des enquêteurs, donc ça ne nous coûte rien de dire à une victime qu'on la croit et c'est très important pour elle et pour sa reconstruction", conclut la formatrice. Elle rappelle enfin les numéros d'urgence et le contact de plusieurs associations de prise en charge de victimes de violences sexistes et sexuelles.

La formation a duré une heure. Régulièrement, des ambassadeurs Umay se présenteront dans les magasins partenaires pour s'assurer que le dispositif est bien intégré dans les équipes et que la prise en charge de potentielles victimes peut être assurée. Les salariés sont également invités à effectuer des signalements sur l'application pour permettre aux équipes de Umay de suivre la victime dans la suite de son trajet et de rester en contact avec elle. Pour que le commerce reste référencé dans l'application, il faut qu'au moins un salarié ayant suivi la formation soit présent sur les horaires d'ouverture.

7 000 commerces référencés en France et un développement en cours en Angleterre

L'idée de ce dispositif a germé dans la tête de Pauline Vanderquand, en 2019, à la suite d'une agression : "J'ai été victime de harcèlement de rue. J'étais suivie par un homme qui me menaçait et m'insultait. Quand j'ai demandé de l'aide à un vigile à l'entrée d'un bar, il m'a simplement dit que ce qui se passe dans la rue reste dans la rue et que ce n'est pas son problème." Un épisode marquant qui lui permet de constater que les témoins sont souvent désarmés et dans l'incapacité de remplir leur devoir d'assistance à personne en danger.

"81% des Françaises déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics mais seules 20% d'entre elles ont reçu de l'aide."

Umay

à franceinfo

À ce jour, 7 000 commerces sont référencés par Umay, essentiellement dans les grandes villes de France, et une trentaine de collectivités sont partenaires. L'application a été téléchargée par 250 000 personnes (70% des utilisateurs sont des femmes). Un chat y est actif 24/24h et 7/7j pour permettre aux victimes et aux usagers en insécurité d'être accompagnés. Parmi les signalements recensés, 80% sont des faits de harcèlement de rue.

Une trentaine de personnes composent les équipes de Umay qui est aussi en partenariat avec les commissariats et gendarmeries via le ministère de l'Intérieur. L'application est disponible en huit langues (français, anglais, italien, espagnol, portugais, allemand et chinois). Elle est en cours de déploiement en Angleterre grâce à un partenariat avec une collectivité du Grand Manchester, mais aussi en Suisse, à Lausanne. "La problématique n'est pas uniquement française, elle est mondiale", conclut Pauline Vanderquand.

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.