: Enquête Suicides chez les pompiers : un bilan loin de la réalité
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Il y a eu 273 suicides et tentatives de suicides chez les pompiers en six ans, selon les données de l’inspection générale de la sécurité civile révélées par la cellule investigation de Radio France. Un constat dramatique sans doute sous-évalué.
En septembre 2022, épuisée par la gestion de la crise covid et de multiples tensions au sein de son service, Sandrine se retrouve prise à partie dans une réunion par des membres de son équipe. Ses supérieurs ne font rien et laissent dire. Pour elle, c'est la goutte de trop. Elle décide alors d'en finir. "Il fallait que ça se termine, cette souffrance. Je me suis préparée à faire ce geste-là. Je savais dans quelle pièce aller et par où je pouvais sauter", témoigne cette ex-pompier, âgée aujourd'hui de 54 ans. Elle est sauvée in extremis par une collègue qui la voit ouvrir la fenêtre et appelle du renfort.
Un an plus tard, Sandrine porte plainte contre sa hiérarchie pour harcèlement moral mais l'enquête n'a pas abouti. D'abord en arrêt de travail, elle enchaîne les problèmes de santé : inflammation de l'épaule, problèmes de peau. L'angoisse est telle que ses jambes se dérobent sous ses pas lorsqu'elle s'approche de son ancien lieu de travail. Elle a, aujourd'hui, changé de région et de métier.
Un sujet tabou chez les pompiers
Des cas comme Sandrine sont pris en compte dans les données officielles de la sécurité civile parce qu'ils ont été constatés sur le lieu de travail et pendant le service. Mais beaucoup de professionnels estiment que ces chiffres sont sous-évalués, comme Camille Chatelet, auteur d'un mémoire en 2022 sur la gestion des risques psychosociaux chez les pompiers, dans le cadre de sa formation à l'université de Montpellier. "Il y a eu plusieurs cas de suicides autour de moi et je me suis rendu compte que c'était un peu un tabou chez les pompiers", raconte celle qui est également pompier volontaire. Face à la difficulté de documenter ces situations au sein des SDIS (Services départementaux d'incendie et de secours), Camille Chatelet va donc envoyer un questionnaire sur internet et obtiendra près de 450 réponses représentatives de la population des pompiers. Elle estime que tous les suicides ne sont pas comptés par les directions des SDIS.
"Certains ne se sont pas donné la mort à la caserne, mais ils l'ont fait en tenue ou alors ils expliquent dans la lettre qu'ils ont laissé les raisons de leur geste".
Camille Chateletà franceinfo
Un pic avec 31 suicides en 2022
À l'occasion de la conférence nationale des services d'incendie et de secours, ce mercredi 12 mars 2025, l'inspection générale de la sécurité civile a transmis de nouveaux chiffres qui montrent que 273 pompiers se sont suicidés ou ont tenté de le faire ces six dernières années. Cette comptabilité des suicides des pompiers, quelles que soient leurs causes, est une revendication de longue date de leurs représentants syndicaux. Le ministère de l'Intérieur y a accédé à partir de 2017. Les premières données officielles en 2018 montraient 24 suicides avec un pic à une trentaine en 2022. La direction générale de la sécurité civile estime aujourd'hui que ce nombre tend à décroître puisqu'il y a eu 26 suicides en 2024.
Ces chiffres montrent en effet que le taux de suicide s'est réduit chez les officiers ces trois dernières années et que pour un même nombre d'agents, ils se suicident moins que les policiers et les gendarmes. "Les pompiers n'ont pas d'arme de service, précise toutefois Sébastien Delavoux, représentant CGT des SDIS. La sécurité civile ne peut compiler que les données qui leur remontent de la part des services départementaux d'incendie et de secours".
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La section syndicale CGT du Nord a annoncé le chiffre de 14 suicides en quatre ans, lors d'une conférence de presse le 3 mars 2025. "C'est sept fois plus que la moyenne nationale et deux fois plus que la police", estime Benjamin Calvario, de la CGT-SDIS 59. Le syndicat estime qu'il y a clairement un lien entre ce mal-être et leurs conditions de travail qui se dégradent dans le Nord, ce que la direction conteste.
Des conditions de travail plus tendues
Les effectifs des pompiers sont restés stables. Ils ont trois statuts différents avec 200 000 sapeurs-pompiers volontaires, 43 000 professionnels dont l'âge moyen augmente et 13 000 militaires à Paris et à Marseille. Mais dans le même temps, la population française a augmenté et vieilli. Le nombre d'interventions est passé de 3,5 à 5 millions par an alors que le nombre de casernes a baissé de 30%. Si bien que le délai d'intervention a augmenté de deux minutes trente en moyenne sur dix ans. "C'est une moyenne, ça veut dire que par endroits en zone rurale notamment on est à plus de vingt minutes de délai d'intervention", explique Manuel Coullet, secrétaire national du syndicat Sud des SDIS.
Tous ces facteurs sont des sources de stress reconnues par les cadres des SDIS interrogés par la cellule investigation de Radio France. "Les syndicats veulent instrumentaliser les choses pour réclamer plus de postes, mais nous sommes dans un exercice budgétaire contraint", explique l'un d'entre eux. Le budget global des services d'incendie et de secours est de 5,3 milliards d'euros en 2024 contre 6,5 en 2021. Le Beauvau de la sécurité civile lui cherche en ce moment de nouvelles pistes de financement. Cette concertation lancée par le ministère de l'Intérieur en 2024 doit aboutir à un projet de loi d'ici la fin de l'année.
Des cas de suicide en lien avec le travail reconnus par la justice administrative
Même si un suicide peut avoir plusieurs causes, il y a bien des situations où le lien avec le travail est fait par la justice. C'est souvent un long combat pour la famille du pompier décédé, comme celui qu'ont mené les proches de Laurianne Amaglio, une jeune sapeur-pompier en formation qui s'est suicidée en 2016 dans le Maine-et-Loire. Six ans après, son SDIS a reconnu sa responsabilité dans la mort de la jeune femme par un arrêté de la présidente du service d'incendie et de secours. "Il y a d'autres cas ailleurs en France qui aurait nécessité la même énergie dans ce long combat avec l'administration pour permettre de faire aussi reconnaître le lien entre leur suicide et le travail, comme ce qu'on a fait pour Laurianne", admet Sébastien Delavoux, de la CGT de SDIS. Mais le volet pénal n'a pas abouti.
En effet, les combats sont parfois longs et tout le monde n'a pas la force de les mener. Pourtant ils permettent parfois de dégager des responsabilités. En mars 2022, le Tribunal administratif de Grenoble a reconnu "l'imputabilité du service" à titre posthume pour la dépression sévère d'un pompier de la caserne de Pont de Cheruy (Isère) qui s'était suicidé. En février 2021, Cyril Minard, représentant Sud dans le département s'est donné la mort après de multiples conflits avec sa direction, notamment à propos de l'exercice de son droit de grève. "À l'issue de deux heures de grève, il demandait à reprendre le travail, ce qui lui a été refusé à plusieurs reprises. Et donc comme il n'avait pas travaillé, son salaire a été amputé du nombre d'heures non travaillées", explique Manuel Coullet, secrétaire national Sud des SDIS et pompier professionnel en Isère.
Sur le plan pénal, une instruction est en cours suite à la plainte pour harcèlement moral et homicide involontaire déposée contre le SDIS de l'Isère et certains de ses cadres. L'ancien directeur est d'ailleurs mis en examen dans cette enquête depuis mai 2024. Ni lui, ni le SDIS n'ont souhaité répondre à nos questions.
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