Entretien "Le vélo, c’est une maladie incurable" : la reconversion de Romain Bardet dans le gravel, sans pression mais avec la même passion

Retraité depuis le mois de juin, le Français dispute dimanche ses premiers championnats du monde de gravel, une discipline dans laquelle il brille sans le vouloir.

Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Romain Bardet lors du Critérium du Dauphiné, le 15 juin 2025. (AFP)
Romain Bardet lors du Critérium du Dauphiné, le 15 juin 2025. (AFP)

Éclatant guidon en main quand la pente s'élève, Romain Bardet est bien plus discret dans la vie. Une habitude que l'Auvergnat a laissée de côté. Retraité du peloton depuis le mois de juin, le meilleur grimpeur du Tour de France 2019 disputera, dimanche 12 octobre, ses premiers championnats du monde de gravel, après avoir remporté deux étapes de Coupe du monde.

Pour l'occasion, le coureur qui fêtera ses 35 ans en novembre, se dévoile dans le mini-documentaire "A quiet shift". Il y raconte sa transition entre cyclisme sur route professionnel et le gravel, mais surtout une quête personnelle centrée sur la volonté de prendre du plaisir. Le vice-champion du monde 2018 y revient en longueur pour franceinfo: sport. Entretien avec un jeune retraité apaisé.

Franceinfo: sport : Vous allez participer dimanche à vos premiers championnats du monde de gravel. L’objectif, c’est d’aller chercher le maillot arc-en-ciel que vous avez touché du bout des doigts à Innsbruck (Autriche), en 2018 ?
Romain Bardet : Non, je ne suis pas là pour aller chercher l’arc-en-ciel à tout prix. Après, quand j’ai un dossard sur le dos, j’aime toujours faire du mieux possible. J’aurais aimé que ces Mondiaux aient lieu, comme prévu à Nice. Ça aurait eu une certaine valeur sentimentale, parce que j'y ai fini mon dernier Tour de France, et je m’y entraînais l’hiver. Le parcours était plus à mon avantage. Mais ils ont lieu à Maastricht (Pays-Bas), finalement, et c’est aussi une belle histoire, parce que c’est proche du QG de mon équipe PicNic-DSM, qui m'a permis de choisir ma sortie sur le Dauphiné et qui m'accompagne aujourd'hui en gravel.

Après avoir arrêté votre carrière sur route en juin, vous avez en effet immédiatement démarré -avec succès- une nouvelle carrière en gravel. Pourquoi ce choix ? 
Depuis quatre ans, j’avais incorporé le gravel à mon entraînement. J’ai toujours aimé le VTT, mais la position était trop différente de celle de la route. Avant d’être une reconversion, le gravel a été un bol d’air frais sur mes dernières années de professionnel. Et c’est comme ça que j’ai découvert les compétitions. C’est une transition intéressante pour garder la forme physique, continuer la pratique, parce que j’aime faire du vélo tout simplement. Ça me permet de retrouver des copains sur des épreuves, de courir pour la première fois avec eux depuis plus de quinze ans. Derrière chaque course de gravel, il y a une histoire, on se retrouve en famille, entre copains. On partage des moments de vie grâce à cela.

Plus que la victoire ou l’adrénaline de la course, on sent dans votre documentaire que ce qui vous anime, c’est avant tout de prendre du plaisir sur le vélo...
C’est un état d’esprit oui. En vérité, on gagne assez peu souvent en vélo, donc j’ai appris à trouver des réjouissances, des motivations ailleurs que dans la victoire. En gravel, je ne suis pas là pour me construire un palmarès mais pour partager des moments avec des gens que j’aime sur des épreuves sympas, à taille humaine, tout en profitant de ma forme. Je ne suis pas là pour fanfaronner et battre les autres à tout prix.

On l’a d’ailleurs vu aux championnats de France, que vous terminez à la deuxième place, tout sourire, tout en applaudissant le vainqueur Hugo Dréchou, qui vous bat au sprint. C’est rare de voir un deuxième aussi beau joueur, non ?
Avec Hugo, on a fait la course jusqu’au bout mais je lui avais dit que je ne disputerai pas le sprint. On s’était bien tiré la bourre. Hugo fait du gravel depuis des années, il est investi. Je trouve cela bien que ce soit lui qui soit couronné champion de France. En revanche, pour les Mondiaux dimanche, c’est différent, même si ce n’est pas le match retour d’une quelconque déception antérieure. Je vais faire la course jusqu’au bout, parce qu'on ne sera pas entre Français, donc ça serait bien de titiller les Belges et les Néerlandais…

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le gravel ?
Déjà, je roule selon mon humeur du jour. Je ne m’impose plus de séance, parce que je n’ai plus envie. Ce qui me plaît le plus, c’est de changer de terrain sur une même course. Jeudi matin, par exemple, je dormais à côté de Boulogne-Billancourt. Je n’avais pas du tout envie de faire de la route. J’ai trouvé une trace à suivre dans la forêt de Saint-Cloud, c’était hyper ludique, sans trafic. J’avais une impression de vitesse entre les arbres. Et à la fois ça reste un vélo très sportif, tu peux prendre des bouts de route sans être en décalage comme en VTT.

"Le gravel évite de planifier, puisqu’on passe partout. C’est une sensation de liberté."

Romain Bardet, ancien maillot jaune sur le Tour de France

à franceinfo: sport

C’est aussi une discipline de voyage. Je suis parti cinq jours cet été avec la sacoche par exemple. En compétition, c’est aussi un retour aux sources, sans assistance, sans pouvoir changer de vélo, seul avec lui. En plus, j’ai un beau vélo, que l’équipe m’a offert à ma retraite, avec des couleurs que j’aime. Je suis content de le sortir !

Justement, ce vélo montre que le monde du gravel se professionnalise rapidement. Et ça se ressent sur les moyennes de courses, parfois proches de 40 km/h. 
Oui ça va très vite en gravel, j’ai été étonné ! Que ce soit sur route ou sur des surfaces instables. On a des gros pneus et un confort supérieur pour tout absorber, mais ça reste des vélos assez proches de la route, y compris dans le positionnement. Techniquement, des fois il y a des passages plus compliqués, mais j’ai été impressionné de voir les moyennes de vitesse. Je pensais voir beaucoup de personnes comme moi, présents pour le plaisir avant tout, même si le dossard réveille toujours l’esprit compétiteur. J’ai vu beaucoup de profils spécialisés. Ça devient une discipline à part entière avec des pros qui ne font que ça, et qui élèvent le niveau. Beaucoup de coureurs n’ont rien à envier au niveau World Tour.

Vous pensez que le gravel de compétition va prendre de l’ampleur, et pourquoi pas devenir olympique un jour ?
Si j’ai été attiré par le gravel, c’est parce que c’est assez peu conventionnel. Ça ne répond pas à des canons de haute performance qui viendront si le gravel évolue dans la hiérarchie sportive. Je trouve cela bien que ce ça reste large et ouvert, avec des courses parfois de dix heures. Si des équipes se structurent, ça deviendra un circuit secondaire de la route et ça perdra de son essence.

"C’est juste que j’aime faire du vélo"

Dans le documentaire, ce qui ressort de votre nouvelle vie est une sensation d’apaisement. On est loin du retraité incapable d’arrêter le vélo, et qui trouve un nouveau terrain de jeu pour combler le vide laissé par la “petite mort” qu’est la retraite sportive.
Exactement. En fait, je réponds toujours à mon besoin de faire du sport, de m’éclater sur un vélo, sans avoir toutes les contraintes accessoires qui, sur mes dernières années, étaient devenues plus pesantes. Le vélo, c’est une maladie incurable. Mais je trouve ça plus grave d’arrêter du jour au lendemain, de poser le vélo et de prendre 20 kilos en étant dégoûté de son sport. C’est plutôt sain de continuer, d’une autre façon, mais ça dépend de chacun. Le gravel, c’est une quête personnelle parce que j’aime ça, je trouve ça cool. Je ne voulais pas quitter la route pour aller performer ailleurs. C’est juste que j’aime faire du vélo, j’aime retrouver cet anonymat dans ce sport qui m’a accompagné toute ma vie.

Vous avez un diplôme en management, on vous a vu sur le dernier Tour de France venir jouer l’assistant pour vos anciens coéquipiers. Voir Romain Bardet dans un rôle de directeur sportif d’une équipe, c’est possible un jour ?
C’est trop tôt pour le dire. Je reste proche du milieu, je prends du recul, mais j’aime le monde du vélo. Je ne m’en éloignerai jamais trop. C’est un beau sport où il reste des choses à faire. Même si le cyclisme a vraiment évolué, il est beaucoup plus prenant pour les jeunes que pour nous à l’époque. Je regrette un peu cette évolution, mais les résultats parlent pour eux. Il y a un rajeunissement clair du peloton, mais ça leur laisse moins de place pour vivre pleinement leur adolescence et former les adultes qu’ils deviendront.

Quand on vous voit sur le gravel, aussi à l’aise, on se dit que c’est dommage que vous n’ayez jamais pris le départ de Paris-Roubaix ?
Je resigne l’an prochain pour le faire ! (rires) J’ai toujours aimé les courses qui sortaient des canons du cyclisme sur route, comme Roubaix ou les Strade Bianche. J’ai fait les pavés sur le Tour, mais j’étais dans une position, dans l’équipe, où les managers ne voulaient pas risquer de me mettre sur les pavés. Je ferais Paris-Roubaix en cyclo, et ce sera très bien !

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