Retraite de Romain Bardet : "Un personnage incontournable du sport français", estime son ancien manager Vincent Lavenu

L'ex-manager de la formation cycliste AG2R avait fait passer Romain Bardet professionnel en 2012, avant de le voir évoluer sous ses couleurs pendant neuf ans. Il revient sur cette période, alors que le Français est désormais à la retraite.

Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Vincent Lavenu, alors manager de la formation AG2R-La Mondiale, et Romain Bardet lors du Tour de France, le 19 juillet 2016. (MAXPPP)
Vincent Lavenu, alors manager de la formation AG2R-La Mondiale, et Romain Bardet lors du Tour de France, le 19 juillet 2016. (MAXPPP)

Romain Bardet raccrochera son vélo, dimanche 15 juin, après quatorze années professionnelles et 11 victoires, dont quatre sur le Tour de France. Pour l'occasion, Vincent Lavenu, son manager dans sa formation de cœur AG2R, est revenu sur la carrière du Français.

Franceinfo: sport : Romain va prendre sa retraite dimanche, qu'est-ce que cela vous procure comme sentiment après toutes ces années à ses côtés ? 

Vincent Lavenu : C'est un garçon organisé, réfléchi, qui a tout planifié depuis qu'il est très jeune. Pour sa fin de carrière, c'est pareil : il l'a réfléchie, anticipée et il a trouvé que c'était le juste moment pour arrêter une belle carrière. Romain fait partie d'une génération dorée, avec Thibaut Pinot, Julian Alaphilippe et Jean-Christophe Péraud, premier coureur à terminer 2e du Tour de France (en 2014) depuis Bernard Hinault. Dans sa période où il était très fort, en 2016-2017, où il finit 2e et 3e du Tour, Romain était exceptionnel, il était au sommet. C'était un personnage incontournable du sport français, c'est sûr qu'il aura marqué son temps. 

Comment était-il de votre point de vue de manager ? 

C'était un leader sportif. De par ses résultats, il emmenait naturellement les équipiers pour l'aider. C'est quelqu'un qui était capable de s'exprimer, mais ce n'était pas quelqu'un qui prenait la parole tout le temps ou qui était très extraverti. Il était d'abord concentré sur la performance, sur ce qu'il fallait faire lui-même d'abord et sur ce que l'équipe et les équipiers devaient faire pour être performants.

Romain Bardet et son manager Vincent Lavenu lors du Tour de France 2020. (MAXPPP)
Romain Bardet et son manager Vincent Lavenu lors du Tour de France 2020. (MAXPPP)

Romain est connu pour son professionnalisme extrême. Ça a toujours été le cas ?

Il a toujours été à la recherche des méthodes d'entraînement, de nutrition, il était en avance là-dessus. C'est pour ça qu'il a fait la carrière qu'il devait faire. C'est un garçon qui a su exploiter toutes ses forces. C'est lui qui était l'initiateur chez nous des premiers stages en montagne. Au départ, il le faisait de manière individuelle puis petit à petit, on l'a accompagné. Finalement, il a grandi et l'équipe a grandi en même temps.

Comment était l'homme qui se cachait derrière le coureur ?

C'est un garçon qui a un regard un peu différent sur la vie, une certaine façon intellectuelle d'appréhender la politique, l'écologie, toutes les choses qui se passent dans la vie. En dehors du fait que c'est un garçon qui a fait des choses extraordinaires dans sa carrière, c'était aussi un garçon qui avait un certain recul sur la société, qui savait parfaitement s'exprimer avec ses idées à lui. Il était reconnu pour ça.

Quand avez-vous vu qu'il y avait quelque chose de différent chez lui ? 

En 2011, lors de sa deuxième année au centre de formation, on est allés le voir au Tour de l'Avenir, il avait gagné l'étape la plus dure d'une façon incroyable. Je me suis dit : "Ce gamin, il a quelque chose". Surtout, là où j'ai remarqué qu'il allait être bon, c'est dès sa première année, sur l'Amstel Gold Race 2012. Il avait fait l'échappée du matin et avait tenu le choc jusqu'à la fin dans une course de très haut niveau.

"Au début des années 2000, lors du Grand Prix de San Sebastian, un partenaire me demande si je peux prendre un gamin de 14-15 ans dans la voiture. Je lui dis oui s'il n'y a pas de commissaire qui traîne, car c'était interdit à son âge. Quand Romain signe son contrat en 2012, il me dit : 'Vous ne vous rappelez pas, mais j'étais dans votre voiture à San Sebastian'. Cet épisode a certainement contribué à aller jusqu'au bout de ses rêves."

Vincent Lavenu

à Franceinfo: sport

Lorsque vous repensez à sa carrière, quelle image vous vient en premier ? 

Quand il termine deuxième du Tour en 2016. Quand vous êtes sur les Champs-Elysées, que votre coureur monte sur le podium, à la deuxième place, c'est quand même fort. Après, il y a eu ses victoires d'étape. À Saint-Jean-de-Maurienne (en 2015), j'étais dans la voiture, avec Julien Jurdie (son directeur sportif) qui avait tendance à douter jusqu'au dernier moment. Il disait : 'Ils sont en train de revenir, c'est foutu !". Je lui dis : "Ça va le faire, ça va le faire !". Et finalement, c'était gagné. Je me rappelle le monde qu'il y avait autour du bus, c'était phénoménal. Ce sont des moments uniques, très rares. Romain nous a permis de vivre ces moments-là. 

Et est-ce qu'il y a, à l'inverse, un regret pour lui ? 

En 2019, il était un peu déçu de son Tour, parce qu'il est arrivé avec beaucoup d'ambition. On était partis sur un classement général, ça n'avait pas fonctionné comme il souhaitait. Finalement, il a réussi à faire le maillot à pois, mais il était déçu. Quand il monte sur le podium avec le maillot à pois, il sourit, parce qu'il faut sourire. Mais au fond du lui-même, il est déçu. On l'était moins que lui, parce qu'il s'était battu à fond comme à chaque fois. Romain, il n'a jamais baissé les bras, c'est une caractéristique chez lui.

Avec le recul, aurait-il vraiment pu faire mieux que deuxième du Tour ? 

À l'époque, je pense qu'il a exploité beaucoup de choses sur les combinaisons, les positions sur le vélo, les méthodes d'entraînement. À ce moment-là, Chris Froome était quasiment imbattable. En 2017, juste avant le départ de Marseille (chrono sur l'avant-dernière étape), il est à 23 secondes, tout était possible. Malheureusement, ce jour-là, il était complètement cramé, il a fini le Tour ratatiné. Pour une raison ou une autre, c'est Froome qui aurait pu ne pas être bien ce jour-là et Romain aurait remporté le Tour. Malheureusement, l'histoire en a décidé autrement. 

 

"Je crois qu'il n'y a aucun regret à avoir. Il a fait une magnifique carrière. C'est très rassurant pour notre sport qu'un Romain Bardet soit capable de faire deuxième du Tour."

Vincent Lavenu, ancien manager de Romain Bardet

à franceinfo: sport

Romain a moins de victoires et a un caractère moins spontané que Pinot ou Alaphilippe. Y-a-t'il une forme d'injustice dans la vision qu'a le public de sa carrière aujourd'hui ?

Il n'y a pas d'injustice, chacun a sa place par rapport à son tempérament, son histoire. Alaphilippe c'est sa nature. Quand il y avait la folie, il en jouait, il sortait rapidement du bus pour aller en profiter. Ce n'était pas forcément le tempérament de Romain et de Thibaut. Ils avaient mis une petite carapace. Je pense que Thibaut a bénéficié ces dernières années de tout le public acquis, avec son personnage un peu secret et sauvage, mais les gens l'ont adoré. Mais Romain, il a été adoré aussi. Quand il fait 2e et 3e du Tour, on avait plus de monde autour du bus que la Française des Jeux. C'était incroyable. 

Romain a fait le choix de partir dans une équipe étrangère parce qu'il allait découvrir autre chose et avoir un peu moins de pression. Thibaut, c'est pareil, il ne courait pas après la notoriété. Quelquefois, même, on voyait que ça le gênait, presque ce rapport. Je pense qu'au fond ils sont très fiers de voir le public complètement acquis à leur cause, mais tous les deux, ce sont des garçons réservés.

Comment avez-vous vécu la première étape du Tour 2024, et ce maillot jaune enfin obtenu ?

Encore une fois, il a osé attaquer à un moment donné où c'était dur, il faisait chaud, tout le peloton était un peu en vrac. Et lui, boum, il a attaqué, il a osé, sans savoir vraiment si ça allait le faire. On était très heureux pour lui, parce c'est peut-être le moment qui va le plus marquer sa carrière.

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