Interview "On ne s'attendait pas à une telle prévalence de l'apnée du sommeil chez les joueurs de rugby", alerte un médecin du sommeil

Chef de service aux Hospices civils de Lyon, Emeric Stauffer, a réalisé des travaux de recherches sur le sommeil des joueurs de rugby. D'après les premiers résultats, ces derniers seraient davantage concernés par l'apnée du sommeil que le reste de la population française.

Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5min
Le demi d'ouverture gallois Ben Thomas (au centre) repousse un plaquage du pilier français Jean-Baptiste Gros, lors du deuxième match du tournoi des Six nations, entre la France et le Pays de Galles, au Stade de France, le 31 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)
Le demi d'ouverture gallois Ben Thomas (au centre) repousse un plaquage du pilier français Jean-Baptiste Gros, lors du deuxième match du tournoi des Six nations, entre la France et le Pays de Galles, au Stade de France, le 31 janvier 2025. (THIBAUD MORITZ / AFP)

Les joueurs de rugby sont-ils davantage concernés par le syndrome de l'apnée du sommeil ? C'est l'une des hypothèses qu'Emeric Stauffer, chef de service de médecine du sport aux Hospices civils de Lyon, a soulevé et cherche désormais à confirmer. Le médecin du sommeil et du sport a mené une étude pilote sur le sommeil, et notamment sur l'apnée du sommeil, de 23 joueurs de rugby du club de Bourgoin-Jallieu, évoluant en Nationale (3e division).

Les premiers résultats, dévoilés mi-février, montrent qu'"environ 30 % des joueurs testés présentaient un trouble respiratoire du sommeil", soit une donnée bien supérieure à la moyenne nationale. En France, on estime qu'entre 4 à 6 % de la population souffre d'apnée du sommeil (ce chiffre pourrait être sous-évalué puisqu'il dépend d'études anciennes).

Prudent quant aux résultats de cette étude pilote, Emeric Stauffer souhaite à présent lancer une étude à l'échelle nationale en lien avec plusieurs clubs allant jusqu'au Top 14, afin d'obtenir un échantillon plus large et d'être capable de confirmer ces premiers résultats. "Les discussions sont en cours avec une dizaine de clubs professionnels. Nous souhaiterions aussi l'étendre aux équipes féminines et aux centres de formation", se projette-t-il pour franceinfo: sport.

franceinfo: sport : Votre étude montre qu'environ 30 % des joueurs testés présentent un trouble respiratoire du sommeil, un chiffre bien supérieur de celui de la population générale. Cet écart vous a-t-il surpris ?

Effectivement, on ne s'attendait pas à avoir une telle prévalence de syndrome d'apnée du sommeil chez les joueurs de rugby, surtout sur cette population, jeune, sportive, et en bonne santé. C'est nettement au-dessus de la moyenne dans la population générale. Habituellement, quand on cherche un syndrome d'apnée du sommeil, c'est plutôt chez des sujets qui sont sédentaires, en surpoids ou obèses, et qui ont souvent d'autres pathologies, notamment cardiovasculaires. Dans cette étude, nous sommes vraiment à l'opposé de cela.

Les premiers résultats de votre étude semblent montrer une association entre commotions cérébrales et une augmentation des troubles respiratoires du sommeil...

Il faut rester prudent sur ces premiers résultats, puisque notre étude est purement descriptive. Elle ne nous permet pas encore de mettre en évidence de lien de cause à effet. D'un point de vue scientifique, ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a une tendance pour une association entre le nombre d'anomalies respiratoires et le nombre de commotions cérébrales. Pour le moment, on ne peut pas aller plus loin.

Quelles peuvent être les conséquences d'une apnée du sommeil sur les performances sportives ?

Le syndrome d'apnée du sommeil va fragmenter le sommeil et le rendre moins réparateur. Le sommeil a un rôle essentiel dans la réparation musculaire ainsi que dans le processus de mémorisation. Si un athlète a des petites blessures et que son sommeil est de mauvaise qualité, il va moins bien cicatriser et récupérer. Sa mémorisation de gestes techniques sera également réduite, et son niveau de performance sera diminué. Par ailleurs, chez les sportifs de haut niveau, la dette de sommeil s'accompagne d'un risque augmenté de blessures. 

Quels sont les signes d'une apnée du sommeil ?

Le principal symptôme est la somnolence, c'est-à-dire le fait d'avoir envie de dormir toute la journée et de se réveiller le matin fatigué. Il y a également les ronflements qui sont fréquemment associés au syndrome d'apnée du sommeil. On peut aussi citer le constat, par l'entourage, d'arrêts respiratoires pendant le sommeil, qui est évocateur d'un syndrome d'apnée du sommeil.

Au moindre doute, il ne faut pas hésiter à aller consulter son médecin traitant, et éventuellement un médecin du sommeil. Ce n'est pas parce qu'on est sportif de haut niveau ou même sportif amateur, qu'on est en pleine santé et donc qu'on est protégé du risque de syndrome d'apnée du sommeil.

Comment les joueurs de rugby, auxquels vous avez découvert une apnée du sommeil, sont-ils désormais pris en charge ?

Dans un premier temps, nous avons traité les formes les plus sévères pour lesquelles on a proposé le traitement de référence, le PPC [pression positive continue, un appareil qui, pendant la nuit, envoie l'air dans les voies respiratoires avec une légère surpression]. Ils le tolèrent très bien et ressentent un vrai bénéfice sur leur qualité de vie.

Pour ceux ayant une forme modérée, nous nous sommes orientés vers l'orthèse d'avancée mandibulaire, qui peut être comparée à un protège-dents, mais au niveau des mâchoires afin de propulser la mâchoire inférieure en avant pour avancer toute la mandibule et ouvrir le pharynx de manière à ce que l'air s'écoule mieux.

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