: Vrai ou faux Les récits du médecin légiste Philippe Boxho, star des librairies et des réseaux sociaux, sont-ils authentiques ?
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Le très médiatique auteur belge, également habitué des plateaux et des interviews sur YouTube, admet mélanger la réalité et la fiction dans ses anecdotes professionnelles. Il assure toutefois avoir toujours été transparent sur leur caractère romancé.
Un homme qui s'y reprend à quatorze reprises pour se suicider, une femme éviscérée par un psychopathe rencontré sur Tinder, une boule à neige retrouvée dans un cadavre... Ces anecdotes professionnelles, parfois inouïes, ont fait la renommée du médecin légiste et auteur belge Philippe Boxho. Celui-ci les a compilées dans quatre livres, dont son éditeur dit avoir vendu plus d'un million d'exemplaires. Depuis la sortie du tout premier ouvrage en 2022, celui qui "fait parler les morts" captive aussi les plateaux de télévisions, racontant avec humour les plus folles scènes de crime observées en plus de trente ans de carrière.
Mais l'authenticité de ses récits interroge : relèvent-ils de la réalité ou de la fiction ? Alors que le quatrième livre du criminologue a paru fin août, le youtubeur français Antho, sur sa chaîne Anthodurire, a dénoncé les incohérences et les contradictions du célèbre docteur. "Si je vous disais maintenant que certaines histoires de Philippe Boxho ne sont peut-être pas aussi authentiques qu'il le prétend ? Et si derrière Philippe Boxho se cachait un Philippe 'mytho'", interroge l'humoriste au début de sa vidéo, visionnée par plus de 200 000 internautes sur YouTube depuis sa mise en ligne début septembre.
Une affaire, trois versions
Rien ne destinait Antho à revêtir un jour la casquette d'enquêteur. Quand il ne se produit pas sur scène, l'humoriste produit des contenus parodiques en ligne. Friand des émissions de "true crime", ces récits policiers basés sur des enquêtes réelles, il se prend de passion pour les entretiens fleuves de Philippe Boxho mis en ligne sur la chaîne Youtube Legend. Ces vidéos ont largement contribué à la notoriété du médecin, cumulant plus de 40 millions de vues en deux ans.
"J'ai plutôt une bonne mémoire. A force de regarder, j'ai remarqué que Philippe Boxho pouvait raconter deux fois la même histoire, mais différemment. Je me disais que ce n'était pas possible, qu'il ne l'avait pas racontée comme ça la dernière fois", se souvient Antho, contacté par franceinfo. Pendant plusieurs mois, l'humoriste passe au crible les interventions médiatiques du médecin légiste, en quête d'incohérences ou de différences notables avec les faits connus sur les affaires criminelles qu'il relate.
Son investigation s'avère fructueuse. Sur Legend par exemple, Philippe Boxho évoque un homme mort d'une péritonite, inflammation aiguë de la membrane couvrant les viscères et l'abdomen, après s'être enfoncé une boule à neige dans le rectum. Sur NRJ, une histoire similaire s'achève de façon plus heureuse : le patient survit aux dommages causés par ce même objet décoratif grâce à une opération chirurgicale. Dans une autre interview face à l'animateur Jordan De Luxe, le médecin raconte cette fois avoir repéré le bibelot hivernal grâce à l'imagerie médicale, à l'intérieur du cadavre d'un homme tué par balles.
"Mon objectif n'est pas de dire que Philippe Boxho est un imposteur, ou que tout a été inventé. Mais il présente des histoires comme "vraies" et "authentiques", alors qu'elles ne le sont pas totalement".
Antho, humoriste et vidéaste sur YouTubeà franceinfo
Antho s'est également plongé dans les archives de la presse belge pour y retrouver des articles sur les véritables affaires derrière les récits du médecin. Dans un entretien sur Legend en avril 2024, Philippe Boxho évoque ainsi le "gars de Tinder", un tueur ayant éviscéré une mère de famille alors qu'elle était encore vivante. Le médecin explique que l'assassin a été identifié en infiltrant l'ordinateur de la victime. "Grâce à Tinder, on a trouvé l'adresse, le pseudo du gars, et les services informatiques sont remontés jusqu'à son adresse IP. Son IP a permis de fixer l'ordinateur, on savait où il habitait, on a débarqué chez lui", détaille le médecin légiste. Il précise avoir pu confirmer lui-même l'identité de la victime, en retrouvant ses papiers sur la scène de crime.
De nombreux éléments de cette histoire correspondent à un fait divers dont on retrouve aisément la trace, son caractère sordide lui ayant valu une large couverture par la presse belge. Cependant, l'affaire remonte à 2003, rapporte le quotidien La Libre Belgique. Soit neuf ans avant le lancement de l'application de rencontre Tinder. La victime avait, en réalité, croisé la route du meurtrier dans un café de Verviers, dans la province de Liège. Celui-ci a été condamné à la prison à perpétuité.
Joint par franceinfo, Philippe Boxho explique avoir volontairement fusionné l'affaire de Verviers avec une autre histoire. "Qu'on rencontre sa victime dans un bar ou sur Internet avant d'aller tuer, ça ne change pas grand-chose. Je voulais attirer l'attention sur le fait que Tinder est dangereux", justifie-t-il. "Je ne raconte pas d'histoire dont je n'ai pas été le médecin légiste attitré. Le fond médical est vrai, tout comme mes discussions avec la police ou mes passages au tribunal".
Des récits "romancés" pour préserver l'anonymat
Philippe Boxho admet l'existence d'une part d'invention dans ses récits. "L'histoire est romancée. Je change les noms, je mets ceux de mes amis, parfois avec des fragments de leur vraie vie. (...) Je le fais, car je n'ai pas envie que l'on reconnaisse les protagonistes. Même s'il n'y a pas de circonstances légales qui m'y contraignent, je fais ça pour protéger les gens. C'est mon éthique", plaide celui qui est aussi professeur de médecine légale et de déontologie à la faculté de médecine de Liège.
La transparence auprès du public a-t-elle toujours été au rendez-vous ? "Tout le monde sait [que je romance], à condition de lire mes introductions. Je travaille comme ça, et je ne travaillerai pas autrement", tranche le médecin légiste. Dès l'introduction de son premier recueil d'anecdotes, il avertit en effet le lecteur que les "constatations médicales" sont "romancées pour les rendre plus agréables à lire que de simples rapports médicaux légaux". Il ajoute que les prénoms et la "contextualisation de ces histoires" sont inventées. Des mises en garde similaires figurent en introduction de ses deux livres suivants.
"Je ne veux pas produire un rapport de police ou journalistique, en racontant les faits exactement comme ils se sont produits. Je veux montrer que la médecine légale est utile."
Philippe Boxho, médecin légiste et auteurà franceinfo
Dans son dernier ouvrage, il se défend toutefois d'être un "romancier". En réponse à ses détracteurs les plus sceptiques, il se présente tour à tour comme un "auteur de non-fiction", "auteur d'essai", ou encore "raconteur d'histoires vraies".
Un mélange des genres plus ou moins assumé
L'aventure littéraire du légiste a débuté il y a trois ans. Il se fait remarquer par son futur éditeur, Kennes, après une interview virale auprès de la RTBF, le média de service public des belges francophones. Les morts ont la parole paraît en 2022 et s'écoule à un demi-million d'exemplaires. En parallèle, l'auteur arpente les plateaux de radio et de télévision, racontant ses anecdotes à la première personne sur C8, Europe 1, RTL, NRJ ou encore France 2.
Mais sur ces plateaux, la frontière entre la réalité et la fiction n'est pas toujours clairement tracée. "Je n'invente rien, je ne sais pas inventer. Je prends des faits qui sont tout à fait réels", soutient-il dans sa première interview en 2023 avec Guillaume Pley sur la chaîne YouTube Legend. Deux ans plus tard, l'auteur se montre plus nuancé : "Le fond médico-légal est vrai. Autour, je romance", prévenait-il dans "C à vous" sur France 5, en mars dernier.
Interrogé au sujet des versions contradictoires de ses récits, Philippe Boxho rétorque : "Quand je suis chez Guillaume Pley, je prends le temps de raconter les choses. Quand je n'ai pas le temps, je raccourcis l'histoire. Je n'ai pas de problème avec ça". De son côté, son éditeur assume cet entre-deux narratif, ainsi que les contradictions pointées par Antho. "Ce sont souvent des histoires qu'il a vécues il y a vingt, trente ans, au début de sa carrière. Il n'a plus tout à fait le contexte", répond Dimitri Kennes, qui dirige les éditions Kennes, auprès de franceinfo. "Mais quand il parle de la façon dont la personne est morte, et ce qui a permis de faire avancer l'enquête, tout cela est la stricte vérité".
"On n'est pas du tout gênés qu'il y ait des critiques sur notre travail. C'est une occasion de souligner ce qui est vrai, et ce qui ne l'est pas. Ce que je regrette, c'est que le youtubeur ne nous ait jamais contactés."
Dimitri Kennes, éditeur des livres de Philippe Boxhoà franceinfo
Selon le dirigeant de cette maison d'édition indépendante belge, Philippe Boxho est en mesure de prouver l'authenticité de ses anecdotes grâce aux photos d'autopsie qu'il conserve soigneusement sur son ordinateur. Celles-ci sont parfois révélées au public lors de conférences organisées par l'auteur. "Je les ai vues. La première fois qu'il m'a envoyé le PowerPoint, j'ai failli tomber dans les pommes", se remémore Dimitri Kennes, évoquant le cas d'un homme de 56 ans qui s'était tiré 14 balles dans le thorax avant de mourir. Philippe Boxho avait rapporté les circonstances de ce suicide peu commun dans une revue scientifique, Forensic Science International, dès 1999.
Aujourd'hui âgé de 60 ans, le médecin liégeois ne se rend plus sur les scènes de crime. Il délègue ce travail à ses trois assistants, tout en continuant de pratiquer des autopsies ou d'en superviser. Son aventure littéraire ne s'arrête pas pour autant : "On est en train de préparer une suite. On va créer un personnage de fiction qui n'est pas tout à fait Philippe. Il y aura une BD, une série TV, des romans... Les gens ont envie de connaître la personne derrière le médecin, comment il vit", s'enthousiasme Dimitri Kennes. Les récits de Philippe Boxho s'appuieront toujours ses connaissances médico-légales et resteront "inspirés de faits réels", garantit l'éditeur. Mais il sera plus difficile de l'accuser de brouiller la frontière entre les faits et l'imaginaire.
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