: Reportage "Aberration historique" : quand l’extrême droite allemande s’en prend à l’héritage architectural du Bauhaus

C’est un courant artistique admiré et reconnu dans le monde entier : le Bauhaus. Fondé en 1919 en Allemagne avant d’être interdit par les nazis, ce mouvement a représenté une révolution pour l’architecture de l’époque. Mais alors qu’approchent les élections législatives, le 23 février, l’extrême droite allemande remet en question l’héritage du Bauhaus. L’AfD, en deuxième position dans les sondages, lui reproche d’avoir propagé laideur et fautes de goût. Reportage à Dessau, Weimar et Magdebourg.

Au premier étage du bâtiment, voici le clou de la visite suivie ce matin-là par un groupe de lycéens : le bureau de Walter Gropius, l’inventeur du Bauhaus. Les fenêtres sont larges, l’intérieur sobre et fonctionnel, c’est l’esprit de ce courant artistique, explique la directrice de la Fondation du Bauhaus. "Après la guerre, c’était la misère, il y avait une crise du logement, rappelle Barbara Steiner. Le Bauhaus s'est alors demandé : comment peut-on construire très rapidement un grand nombre de logements de qualité, tout en dépensant le moins possible ?"

Les logements en préfabriqué qui voient le jour font la part belle aux matériaux industriels. Un siècle plus tard, c’est cet héritage que l’AfD remet en question. Au Parlement de la région de Saxe-Anhalt, Hans-Thomas Tillschneider, député d’extrême droite, a réclamé "un inventaire critique" du Bauhaus. "L'idée directrice du Bauhaus était la rupture avec toutes les traditions de construction, et l'assemblage de maisons à partir d'éléments préfabriqués, avance-t-il. Il s'agit en réalité d'une vision d'horreur, d'une vie dans un espace réduit, pleine d'interdictions et de restrictions. Le Bauhaus ne peut donc pas nous servir de modèle mais seulement d'aberration historique."

Le Bauhaus "leur est encore étranger"

"Aberration historique". La formule, utilisée par un architecte nazi, fait bondir le monde culturel. En 1933, le régime d'Hitler avait interdit le Bauhaus, qualifié "d’art dégénéré". L’historienne de l’art Anke Blümm dénonce l’argumentaire de l’extrême droite. "Ils évoquent un espace exigu et l’horreur du vivre-ensemble, observe-t-elle. Ils considèrent que c’est un style international qui s’est répandu partout et qu’il manque une identité allemande. Visiblement, le Bauhaus, 100 ans plus tard, leur est encore étranger, car cette architecture moderne a permis de construire rapidement de nombreux logements bon marché."

Le milieu culturel s’interroge sur la stratégie de l’extrême droite et sur les raisons de cette attaque en règle contre le mouvement Bauhaus. Rainer Robra, le ministre de la Culture de la région de Saxe-Anhalt, a son idée sur la question. Il nous reçoit dans son bureau, à Magdebourg. "On vit la même chose avec le théâtre. On ne devrait plus jouer que des pièces allemandes, la musique moderne ne leur plaît pas, tout est trop international."

"L’AfD regarde avec quels thèmes le parti nazi a eu du succès il y a 100 ans et reprend ces thèmes, un par un, pour élargir son électorat."

Rainer Robra, ministre de la Culture de la région de Saxe-Anhalt

à franceinfo

La polémique a offert au Bauhaus un coup de projecteur inattendu et les visiteurs se pressent à Dessau, Weimar et Bernau, les foyers du mouvement. Les trois sites sont classés au patrimoine culturel mondial de l’Unesco.