De Paul McCartney à Arthur H et de Miles Davis aux punks cosmiques : sept BD sur la musique à lire cet été

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 13min
Sept BD musique parues en 2025. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)
Sept BD musique parues en 2025. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO CULTURE)

Voici la belle brassée de romans graphiques autour de la musique, parus au premier semestre 2025, qui ont retenu notre attention. À lire cet été en montant le volume.

Du jazz, du rock, du punk, de la chanson française, des musiciens expérimentaux et underground : il y en a pour tous les goûts dans cette sélection. Elle comprend une majorité de récits biographiques, qui nous en apprennent beaucoup sur les figures de la musique telles que Miles Davis ou Paul McCartney, mais aussi sur deux chansons majeures de l'histoire de la musique : Strange Fruit, popularisée par Billie Holiday et Walk on the Wild Side de Lou Reed. Une jolie aventure poétique en compagnie d'Arthur H et une bible des géniaux musiciennes et musiciens dont l'audace a fait sauter quelques conventions et verrous sonores, complètent ce panorama. À lire dans un hamac ou sur le sable avec les oreilles grandes ouvertes !

1"Underground 2. Derviches tourneuses & punks cosmiques"

Après Underground, véritable bible dessinée de la musique indépendante parue en 2021, le duo d'auteurs mélomanes Moog et Le Gouëfflec exhume dans ce second volume une nouvelle brassée de curiosités musicales à (re)découvrir. Mais ils se penchent aussi cette fois sur des figures connues, telles Anne Sylvestre, Beck, Yoko Ono, Catherine Ribeiro, Siouxsie, Erik Satie, Fela Kuti, Rita Mitsouko ou George Clinton, dont ils s'attachent à montrer les innovations, et rendent également un hommage plus appuyé aux figures féminines. Toutes et tous ont leur place ici pour avoir fait preuve d'audace, expérimenté et renouvelé les approches de la musique. Dans cette corne d'abondance, la curiosité des mélomanes est abondamment stimulée. Voudront-ils jeter une oreille sur les pistes sonores de Gilbert Artman, qui enregistre en 1973 avec Lard Free une réponse française au krautrock de Can ou de Faust, avant de fonder Urban Sax ? Jetteront-ils leur dévolu sur les expérimentations de Pauline Oliveros, qui vise avec le "deep listening" l'expansion de conscience de l'auditeur ? Testeront-ils la musique de Basil Kirchin, dont la théorie rejoint celle de la physique quantique ? Cette épaisse anthologie amoureuse des génies déviants de la musique, mise en scène et en images de façon inventive, se termine par une copieuse discographie sélective. Ne reste plus aux chercheurs de pépites sonores qu'à se plonger avec délice dans cette terra incognita. (Lire la critique complète)

"Underground 2. Derviches tourneuses & punks cosmiques" de Arnaud Le Gouëfflec (scénario) et Nicolas Moog (dessins), Glénat, 336 pages, 30 euros

La couverture de "Underground 2" de Arnaud le Gouëfflec et Nicolas Moog. (GLENAT)
La couverture de "Underground 2" de Arnaud le Gouëfflec et Nicolas Moog. (GLENAT)

2"La Solidité du rêve"

"Vous aimez ça quand on vous raconte des histoires ? Même quand elles sont romantiques, hypnotiques et divinement tragiques à la fois ?" C'est la question que pose le Arthur H de papier au dessinateur Alfred dans ce petit livre délicieux, qui nous embarque dans une aventure onirique dont ils ont tous les deux le secret. Ils semblent s'être amusés comme des petits fous à concocter cet ouvrage à la fois drôle et poétique qui se déploie dans toutes les directions et retombe toujours sur ses pattes, à la manière des contes. On navigue ici dans l'univers d'Arthur H dont de nombreuses chansons sont convoquées, comme Eleonore et Leonard, Le Baron noir, Lily Dale, El Magnifico, La Boxeuse amoureuse, Titanic, Cosmonaute père et fils ou l'hommage à Brigitte Fontaine Divin blasphème. Un théâtre en ruines, une porte dans un arbre, et voilà que s'ouvre "le ventre du rêve, là où tout commence". Les deux compères se retrouvent "sans destination et sans but", la plus belle manière de voyager, en "s'ouvrant ou présent et à l'inconnu". Comme dans la musique, devise Arthur H en chemin, car composer, c'est "naviguer à vue", "s'abandonner aux flux d'énergies pour s'oublier complètement". Un dialogue textes et images qui ouvre le cœur, comme les chansons d'Arthur H et les dessins d'Alfred. Ils étaient faits pour s'entendre, ces deux enchanteurs, pour qui "savoir se perdre est plus amusant que de trouver son chemin".

"La Solidité du rêve", Arthur H et Alfred, Casterman, 128 pages, 18 euros

La couverture de "La Solidité du rêve" d'Arthur H (textes) et Alfred (dessins). (CASTERMAN)
La couverture de "La Solidité du rêve" d'Arthur H (textes) et Alfred (dessins). (CASTERMAN)

3"Strange Fruit. La Chanson d'Abel"

En mars 1939, Billie Holiday dévoile sa dernière chanson au public médusé du Café Society de New York. Il s'agit de Strange Fruit, un brûlot bouleversant contre le lynchage des Afro-Américains dans les États du Sud, où il est question non pas de fruits mais de corps noirs pendus aux arbres. Dans l'Amérique ségrégationniste de Roosevelt, jamais artiste n'avait dénoncé le racisme aussi crûment. Ce manifeste, qui est aussi une des plus belles chansons jamais écrites, aurait pu cependant ne jamais parvenir à nos oreilles si son auteur, Abel Meeropol, ne s'était pas battu pour la faire interpréter par la merveilleuse Billie Holiday. Car "Lady Day", connue pour ses chansons d'amour déchirantes, n'y était au départ pas favorable, craignant pour sa carrière avec ce texte si engagé. La chanson, dont les paroles coup de poing la hantaient, finit cependant par devenir un des phares de son répertoire, mais elle fit scandale et lui valut d'être harcelée par les agences fédérales. Vincent Hazard, qui a déjà raconté cette histoire sur France Inter en 2020, la décline cette fois en BD avec le dessinateur et illustrateur A. Dan, dont on remarque le travail minutieux de reconstitution. Texte et images révèlent en chemin le personnage courageux et attachant qu'était Abel Meeropol, issu d'une famille juive d'Europe de l'Est, dont les sympathies communistes lui valurent d'être intimidé durant le maccarthysme.

"Strange Fruit. La Chanson d'Abel", Vincent Hazard et A. Dan, Aire Libre/Dupuis, 128 pages, 26 euros

La couverture de "Strange Fruit. La Chanson d'Abel" de Vincent Hazard et A. Dan. (AIRE LIBRE / DUPUIS)
La couverture de "Strange Fruit. La Chanson d'Abel" de Vincent Hazard et A. Dan. (AIRE LIBRE / DUPUIS)

4 "Candy Superstar et les muses du pop"

"Holly came from Miami FLA, Hitch-hiked her way across the USA, plucked her eyebrows on the way, shaved her legs, and then he was a she..." ("Holly venait de Miami, Floride, traversait les États-Unis en stop, elle s'est épilé les sourcils en route, rasé les jambes et à l'arrivée il était elle") : dans son tube impérissable de 1972 Walk on the Wild Side, Lou Reed parle de transidentité. C'est Candy Darling, première actrice transgenre aux États-Unis, star de la Factory d'Andy Warhol, qui lui avait inspiré cette chanson, mais aussi ses amies trans Holly Woodlawn et Jackie Curtis. Dans Candy Superstar et les muses du pop, Claire Translate et Livio Bernardo proposent une biographie romancée de cette icône trans, disparue en 1974 à l'âge de 29 ans, dont on suit la vie et celle de ses amies de 1963 à 1972. Leur quotidien, d'abord difficile dans une Amérique puritaine et peu inclusive où il est encore affiché dans les bars "Pas d'alcool pour les pédés", va s'épanouir auprès de Warhol, dont elles deviennent les muses. Cette BD, où l'on croise Warhol, Paul Morrissey, Lou Reed, Nico mais aussi l'autrice féministe radicale Valérie Solanas (qui tenta d'assassiner Warhol), nous immerge dans le milieu artistique underground new-yorkais des années 1960. Pour raconter cette époque et cette histoire de lutte et d'émancipation à la fois grave et légère, où fleurit l'humour queer à chaque page, Livio Bernardo use d'un style graphique audacieux et original, fait de caricatures expressives et de couleurs primaires, résolument pop.

"Candy Superstar et les muses du pop" de Claire Translate et Livio Bernardo (Delcourt/Encrages), 296 pages, 29,95 euros

La couverture de "Candy Superstar et les muses du pop" de Claire Translate et Livio Bernardo. (DELCOURT / ENCRAGES)
La couverture de "Candy Superstar et les muses du pop" de Claire Translate et Livio Bernardo. (DELCOURT / ENCRAGES)

5"Paul - La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)"

Obsédé revendiqué des Beatles, Hervé Bourhis, qui a déjà signé deux ouvrages autour du groupe britannique – Le Petit Livre Beatles en 2010 et Retour à Liverpool en 2021 – se concentre dans ce récit sur une période bien particulière de la vie de Paul McCartney. Celle des trois années qui ont suivi la rupture des Beatles, lorsque fans et médias, sommés de choisir leur camp, optèrent en masse pour le provocateur John Lennon, tandis que Paul McCartney passait dès lors pour tiède et conservateur. Une traversée du désert durant laquelle le génial songwriter plongea dans la dépression avant de se remettre à la musique, d'abord en solo, puis avec son groupe The Wings, dans lequel il embarqua sa femme Linda. L'auteur met surtout l'accent sur la façon dont Macca repartit de zéro comme un débutant avec son groupe, jouant dans les foyers étudiants d'universités sans même un ingénieur du son, avant de reconquérir les foules et les hit-parades. Cette BD gorgée d'anecdotes savoureuses n'oublie pas le fameux séjour à Lagos (Nigeria) pour l'enregistrement mouvementé de l'album Band on the Run, et la rencontre avec l'inventeur de l'afrobeat Fela Kuti. En brossant le portrait du musicien à ce moment bien précis, l'auteur parvient comme il le souhaitait à réhabiliter un McCartney bien plus avant-gardiste qu'on a voulu le montrer – féministe et végétarien avant l'heure, notamment. "L'injustice à pris fin", se réjouit-il. (Lire la critique complète)

"Paul - La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)" d'Hervé Bourhis (scénario et dessin), Casterman, 88 pages, 20 euros

La couverture de "Paul - La résurrection de James Paul McCartney (1969-1972)" d'Hervé Bourhis. (CASTERMAN)
La couverture de "Paul - La résurrection de James Paul McCartney (1969-1972)" d'Hervé Bourhis. (CASTERMAN)

6"Miles Davis et la quête du son"

Comme Miles Davis, à qui il consacre ce superbe roman graphique, l'auteur Dave Chisholm est lui-même trompettiste de jazz. À la fois au scénario, au dessin et à la couleur, il raconte à la façon d'une autobiographie le parcours de ce musicien américain exigeant qui chercha durant plus de cinq décennies à se dépasser dans une quête obsessionnelle du son. Le récit, constitué de propos de Miles Davis tirés d'interviews et de son autobiographie, démarre au début des années 1980, au moment où le musicien se retrouve privé de l'usage de sa main droite à la suite d'un infarctus. Son médecin lui recommande alors de pratiquer le dessin comme mode de rééducation. Se prenant au jeu, Miles se met à noircir des dizaines de carnets de croquis au crayon, au feutre et au marqueur, avant de se lancer dans la peinture. "Je vois des couleurs et des choses quand je joue", assurait l'inventeur du cool jazz. L'auteur le prend au mot et déploie dans ce livre de superbes trouvailles visuelles pour matérialiser en images le son du génial trompettiste en train de composer. Ce sont des explosions de couleurs, en volutes, parfois douces ou plus anguleuses, liquides ou électriques, qui sortent de son instrument dans une sarabande psychédélique. Un hommage inspiré dont certaines pages sont une splendeur graphique. (Lire la critique complète)

"Miles Davis et la quête du son", Dave Chisholm, Glénat, 160 pages, 23 euros

La couverture de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)
La couverture de "Miles Davis et la quête du son" de Dave Chisholm. (GLENAT)

7"Les héros du peuple sont immortels - La cavale de Gilles Bertin"

Dans cette nouvelle BD dont le nom est tiré d'un fanzine punk culte, l'auteur et dessinateur Stéphane Oiry raconte une tranche oubliée de l'histoire du mouvement punk en France. Celle, à la fois rocambolesque et tragique, de Gilles Bertin, chanteur et musicien du groupe bordelais Camera Silens, "une bande de vauriens (...) qui vociféraient leur révolte" dans les années 1980. Le nihilisme chevillé au corps, vivant chichement de rapines et de combines, Gilles Bertin tombe dans l'héroïne et commet avec quelques complices un braquage de la Brink's sans coup de feu, à Toulouse, en avril 1988, dérobant quelque 12 millions de francs. Il s'exile ensuite dans la péninsule ibérique avec sa part du butin. Durant presque trente ans, il vivra entre l'Espagne et le Portugal sous une fausse identité, avant de revenir en France en 2016, afin de se rendre aux autorités dans l'espoir de revoir son premier fils, Loris, abandonné dans sa fuite. Condamné à cinq ans de prison avec sursis, le repenti est mort des suites du sida, en novembre 2019, après avoir récupéré son identité et publié ses mémoires, Trente ans de cavale. Un sujet en or pour Stéphane Oiry, qui, en tant que dessinateur de presse pour Le Monde, L'Obs, La Croix ou L'Express, est aussi un passionné de faits divers. Il s'empare de cette trajectoire cabossée avec beaucoup de délicatesse, en se basant sur les mémoires de Gilles Bertin, dont il avait obtenu l'accord avant sa mort, et fait revivre toute une époque avec un luxe de détails réjouissants. (Lire la critique complète avec interview de l'auteur)

"Les héros du peuple sont immortels - La cavale de Gilles Bertin", Stéphane Oiry, Dargaud, 128 pages, 21,50 euros

La couverture de "Les héros du peuple sont immortels - La cavale de Gilles Bertin" de Stéphane Oiry. (DARGAUD)
La couverture de "Les héros du peuple sont immortels - La cavale de Gilles Bertin" de Stéphane Oiry. (DARGAUD)

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