: Interview Romane Bohringer au festival De l'écrit à l'écran : "'Dites-lui que je l'aime' est vraiment une histoire de réparation"
Le deuxième long-métrage de l'actrice et réalisatrice est l'un des six films en compétition au festival De l'écrit à l'écran qui s'achève jeudi à Montélimar. Entretien avec Romane Bohringer.
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La séance de Dites-lui que je l'aime dimanche 21 septembre à Montélimar a été suivie par une longue ovation pour la réalisatrice du film, Romane Bohringer. Le long-métrage est en compétition dans la section Cinéma et littérature du festival De l'écrit à l'écran avec 5 autres films. Nombreux sont ceux qui reniflaient encore, à la fin de la projection, tant ils avaient été émus par l'œuvre protéiforme de Romane Bohringer. Son film éponyme est adapté du livre de la députée Clémentine Autain sur sa mère, la comédienne Dominique Laffin disparue quand sa fille avait 12 ans. En découvrant l'ouvrage, Romane Bohringer réalise qu'il fait étrangement écho à sa relation avec sa maman qui l'a abandonnée quand elle avait 9 mois. Dites-lui que je l'aime, en salles le 3 décembre, est un film qui s'appuie à la fois sur la fiction et le documentaire pour raconter le parcours de deux fillettes, devenues mères, qui tentent de se réconcilier avec celles qui semblaient les avoir abandonnées, leurs mamans. Rencontre gracieuse à Montélimar avec une Romane Bohringer très enrhumée.
Franceinfo Culture : Quand vous annoncez à Clémentine Autain votre souhait d'adapter son livre, elle vous demande tout de suite comment. Pourquoi pensez-vous qu'elle vous pose d'emblée cette question ?
Romane Bohringer : Dans ce livre, elle parle de sa maman qui n'est plus et d'elle enfant. Elle m'interroge en réalité sur l'histoire que je vais raconter. Est-ce que tu vas raconter mon histoire, l'histoire de ma maman ou ton histoire et celle de ta maman ? Elle pose au début du film toutes les questions que je me suis posées : comment raconter nos quatre histoires croisées, nos deux mamans disparues, nos deux souvenirs d'enfance, nos deux enfances ? Comment raconter ces histoires si intimes en construisant un récit commun qui passe à la fois par la vérité et la fiction. Avec cette première interrogation, elle ouvre le chemin de toutes les questions que je me suis posées et que j'essaie d'ailleurs de partager ouvertement avec les gens en leur montrant un peu le chemin qui m'a menée à cette confession.
Dans le volet de votre récit qui concerne Clémentine Autain, vous êtes fidèle à son livre. Vous confiez lors de la projection de votre film combien il était important de respecter son histoire.
Je suis à la fois fidèle et totalement infidèle à son livre puisque j'ai vraiment pris les passages qui résonnaient avec ma propre histoire, qui m'interrogeait sur l'enfant que j'ai été, la mère que je suis devenue... Dans les passages que j'ai gardés, l'un de mes guides, y compris quand je m'éloigne de son récit, c'est le fait de rester loyale, douce et respectueuse de ses souvenirs d'enfant à elle, de l'image de sa maman, dans l'espoir qu'elle retrouve dans le film ses sensations à elle. C'est engageant en termes de responsabilité. En tournant, par exemple, le passage où sa mère est très alcoolisée et casse tout à l'hôtel, j'ai à cœur de respecter les souvenirs qu'elle a de cette maman vulnérable, fragile et mystérieuse, son regard d'enfant. Oui, j'ai été guidée par une extrême loyauté.
Vous arrivez à faire parler le père de Clémentine Autain, qui, explique-t-elle dans le livre, est très pudique quand il s'agit d'évoquer sa maman. Comment avez-vous réussi à le convaincre ?
Pour fabriquer un film, il y a tout ce qu'on décide, tout ce qu'on veut, mais aussi tous les miracles. Quand on fait du cinéma, où interviennent des acteurs et des non-acteurs, on prie pas mal pour qu'il y ait des miracles. Je dois avouer que quand je regarde aujourd'hui le film, j'ai le cœur gonflé de gratitude envers les gens qui ne font pas de cinéma et qui ont accepté de me livrer une part si intime de leur histoire. Je pense évidemment au père de Clémentine, mais aussi à mes demi-frère et sœur, à leur maman qui n'avait jamais vu une caméra de sa vie, à mes deux amies d'enfance, Esther et Céline. À tous, j'ai essayé de leur expliquer comment ça se passerait.
Par exemple, j'ai eu plusieurs fois au téléphone le père de Clémentine, Yvan, qui a accepté de se confier merveilleusement comme il l'a fait. J'ai dû lui expliquer qu'on arriverait à très peu, qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète, que l'on parlerait longtemps. Certains étaient terrorisés comme mes demi-frère et sœur. Ma demi-sœur m'a dit : "Mais moi, je n'y arriverai jamais". Nous avons mis tout en place pour que le tournage se déroule bien.
Je suis très bouleversée par les films d'Alain Cavalier, des récits qui se construisent avec des voix que l'on n'entend pas d'habitude, dans des corps qui n'en sont pas. Comment faire rentrer la vie dans le cinéma ? C'est une grande question pour moi.
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Clémentine Autain est dans ce processus de réappropriation de son vécu avec sa mère. Le travail d'écriture qu'elle a effectué se déroule pour vous au moment de la réalisation du film. Qu'est-ce que cette démarche vous a apporté ?
Clémentine a, d'une certaine manière, fait tout le chemin en écrivant son livre. Pour ma part, son récit m'a obligée à faire le chemin que je n'avais pas fait. J'ai cru que je l'avais fait quand j'ai décidé d'adapter son livre. J'ai cru que je l'avais fait parce qu'il y avait dans l'ouvrage tout ce que je voulais filmer. Mais ce n'était pas vrai. Quand tout d'un coup, en écrivant le scénario, je me suis rendu compte qu'en fait tout était muré, qu'il fallait que j'aille plus loin pour aller au bout de mon film, je suis rentrée dans une phase folle que je n'avais pas du tout prévue. En somme, ma décision d'adapter ce texte m'a obligée à faire un chemin que je n'avais pas fait.
Je pense vraiment toujours à cette phrase folle de John Cassavetes : "Je ferai tout pour résoudre un problème, y compris faire un film." Je trouve génial de transformer un problème en film. C'est ce que j'ai fait avec L'Amour flou et maintenant avec Dites-lui que je l'aime. Nous avons cette chance, nous les artistes, de pouvoir transformer nos émois en objets consolateurs. Et c'est libérateur. Il y a plein de gens qui vivent avec leur chagrin sans pouvoir forcément trouver l'endroit de la consolation. Clémentine a réussi à le faire avec ce livre. Et moi, en m'appuyant sur son œuvre, j'ai réussi à faire quelque chose de tout ça.
Coécrire le scénario du film avec Gabor Rassov vous a portée, dites-vous. Comment ?
J'adore ce proverbe qui dit : "Il faut tout un village pour élever un enfant". Il faut une quantité de regards pour faire un film. J'aimerais être la seule dépositaire de mon œuvre, mais il faut des gens pour vous éclairer, vous confronter et vous interroger. Mes producteurs et mon coscénariste ont été des gens importants, d'autant plus que sur un sujet si intime, on n'a pas toujours le recul nécessaire sur soi-même. Gabor, mon coscénariste, n'a eu de cesse de me confronter à mon film : "Où est ton vrai film ? Comment l'organiser ?" L'écriture a été longue, périlleuse, vertigineuse par moments, compliquée. Il fallait réussir à faire coexister ces quatre histoires tout en ne méprisant aucune. Il était hors question que le récit de Clémentine ne soit qu'un tremplin pour moi. Je voulais absolument que Clémentine existe fortement dans le film ainsi que Dominique Laffin. C'était aussi difficile de faire coexister les aspects documentaire et fictionnel.
Des quatre histoires qui composent votre film, quelle est la première que vous avez écrite ?
La toute première version que j'ai adoré écrire d'ailleurs était vraiment une restitution du livre, une version où je n'intervenais pas du tout. Et puis, on a commencé à se poser des questions. Où es-tu dans ce film ? Et je disais : je suis partout. Je suis dans l'enfance, je suis dans la mère, c'est une fiction... Gabor a alors commencé à me pousser. On a pris des trains, on a cherché des gens, on a effectué des enquêtes sur internet, on a cherché des archives militaires pour retrouver la trace de ma mère au Vietnam. Et pendant qu'on écrivait la deuxième version du scénario, celle qui me concernait, on a continué à enquêter. Et après, on a essayé à l'écriture de passer d'une scène à l'autre, c'est-à-dire à quel moment le livre de Clémentine m'oblige à regarder. À chaque fois que Clémentine avait posé une question dans son livre et qu'elle avait réussi à y répondre, Gabor m'a aidée à aller chercher mes réponses.
En dépit de tout, il y a de la joie dans votre film...
La joie est primordiale. Il y a de la beauté finalement dans tout ça, il n'y a pas que du chagrin. Dites-lui que je l'aime est vraiment une histoire de réparation. Le film porte sur le fait que l'on peut trouver de la beauté et de la lumière dans ce qui nous a pourtant abîmés à un moment donné.
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