Affaire Bertrand Cantat : le combat sans relâche de Lio "pour défendre Marie" Trintignant et les victimes de violences conjugales

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
La chanteuse Lio lors d'une séance photo à Paris, le 7 novembre 2024. (JOEL SAGET / AFP)
La chanteuse Lio lors d'une séance photo à Paris, le 7 novembre 2024. (JOEL SAGET / AFP)

Dans le documentaire "De rockstar à tueur : le cas Cantat", diffusé sur Netflix, la chanteuse revient sur ses nombreuses prises de parole pour dénoncer la violence du leader de Noir Désir, condamné pour le meurtre de l'actrice Marie Trintignant en 2003.

Jamais Lio n'a cessé de s'opposer à la théorie du "crime passionnel" longtemps véhiculée au sujet de la mort de l'actrice Marie Trintignant sous les coups de son compagnon, Bertrand Cantat, en 2003. Dans la série documentaire De rockstar à tueur : le cas Cantat, diffusée depuis le 27 mars sur Netflix, la chanteuse revient sur son combat pour dénoncer la violence du leader de Noir Désir. A une époque où la société et les médias ne parlaient pas encore de féminicide, l'interprète du Banana Split affirmait avec force que l'"amour n'apporte pas la mort".

Lio a longtemps bataillé seule. Trois ans après la mort de son amie, la chanteuse – Vanda Maria Ribeiro de Vasconcelos de son vrai nom – étrille l'écrivaine Muriel Cerf, autrice d'un ouvrage complaisant à l'égard de Bertrand Cantat, dans l'émission de Thierry Ardisson "Tout le monde en parle". "Dire que Marie était responsable de sa mort avec lui, que c'est la passion et l'amour qui l'ont tuée, c'est non", tempête Lio. Sur le plateau, aucun autre invité n'ose alors remettre en cause les propos de Muriel Cerf qui défend "l'erreur" de Bertrand Cantat, pris d'un "amour passionnel". Tout juste Thierry Ardisson lui fait-il remarquer que son livre ne retranscrit pas la brutalité des gestes du chanteur et lui demande-t-il comment elle peut tenir ce discours en ayant aussi subi des violences conjugales.

"Il y avait une volonté de salir Marie"

Devant l'assistance médusée, Lio raconte que "Marie est morte avec un visage qui était détruit comme après un accident de moto à 120 km/h". Le rapport d'autopsie avait conclu que l'actrice avait reçu 19 coups d'une extrême violence dans sa chambre d'hôtel à Vilnius, en Lituanie, durant cette soirée du 26 juillet 2003. "Marie est morte sous ses coups, (...) il l'a laissée mourir dans son lit alors qu'il aurait pu appeler les secours", insiste Lio.

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"Le seul discours des médias [était] que c'[était] un crime passionnel et qu'elle le mérit[ait] un peu", retrace Lio dans la série documentaire, deux décennies plus tard. "C'est d'une injustice folle ; c'est pour ça que je parle autant, explique-t-elle. Je trouvais que c'était juste de défendre Marie."

Dans les jours qui ont suivi les faits, la presse relayait largement la thèse de l'"accident" et d'une "mauvaise chute" plaidée par Bertrand Cantat. Après des aveux partiels, où il décrivait de "grosses baffes" portées à Marie Trintignant et déclarait "assumer" la responsabilité de sa mort, des journaux titraient sur sa "poignante confession". Dans le même temps, sur les plateaux de télévision, des proches du chanteur blâmaient la victime en invoquant son passé amoureux. "Il y avait une volonté de salir Marie [Trintignant], de l'avilir", se souvient Lio.

Reléguée au rang d'"hystérique"

Dans ce contexte, les prises de position de Lio dérangent. Sur le plateau de "C à vous", mardi sur France 5, elle a témoigné des répercussions sur sa carrière. Elle estime avoir été perçue comme une "folle" et une "hystérique" par sa maison de disques et par les "puissants" du milieu. "Je ne retrouvais plus un seul contrat", relate-t-elle, affirmant avoir été contrainte d'annuler une tournée. Pourtant, la chanteuse juge qu'elle ne s'est jamais exprimée "trop haut et trop fort"

"J'ai dit ce qui s'était passé : j'ai dit 'Cantat est un homme violent qui tape les femmes et qui n'hésite pas à les tuer'. Je trouve qu'on aurait pu le dire bien plus haut et plus bien fort à l'époque."

Lio

dans l'émission "C à vous", sur France 5

"Tout le monde savait que Bertrand Cantat était violent dans le métier", accuse Lio. Elle juge que le silence qui entourait le comportement du leader de Noir Désir était motivé par "des raisons mercantiles". "Il fallait que continue le groupe qui vend plus que Johnny" Hallyday, martèle-t-elle. En 2017, Anne-Sophie Jahn, journaliste au Point et coréalisatrice de la série documentaire, révélait dans un article et un livre l'omerta autour de Bertrand Cantat. Elle s'appuyait notamment sur le témoignage anonyme d'un membre de Noir Désir assurant que le chanteur avait été violent avec son ex-épouse et la mère de ses deux enfants, Krisztina Rady, avant la mort de Marie Trintignant. 

Lors du procès du chanteur, condamné en 2004 à huit ans de prison par un tribunal lituanien, Krisztina Rady avait témoigné pour lui apporter son soutien. A la sortie de prison de Bertrand Cantat pour bonne conduite, après quatre ans de détention, le couple s'était réinstallé ensemble. Mais quelques mois avant de se suicider, en 2010, celle-ci avait laissé un message alarmant sur le répondeur de ses parents, dans lequel elle décrivait un Bertrand Cantat violent, voire "fou", et disait "songer à s'enfuir".

Sur le plateau de "C à vous", Lio raconte une soirée, en marge d'une tournée, où Krisztina Rady a tenté de lui parler. "Elle m'a attendue longtemps, j'étais gênée, je ne savais pas quoi faire (...), je me trouve misérable ce jour-là", reconnaît-elle. "Ce sont deux femmes que je n'ai pas soutenues comme il le fallait : Marie parce que des éléments me manquaient et je la savais très entourée par sa famille ; Krisztina parce que j'ai été désemparée, je ne l'ai pas écoutée."

Au-delà de l'affaire Bertrand Cantat, Lio s'est régulièrement engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle qui en a elle-même été victime dans les années 1990. "J'ai traversé ça et pourtant, je suis une femme blanche, j'étais privilégiée, j'étais connue. Ça a été un enfer, confiait-elle en novembre dans un entretien à l'AFP. Je n'ose pas imaginer ce que traversent les femmes qui sont vraiment laissées seules, parfois dans une famille très conservatrice, très masculiniste, vraiment, encore en plus grand danger que moi." 

"Jamais on n'est entendue avant qu'il ne soit trop tard"

Elle ajoute alors : "Pour la société, une bonne femme est une femme morte, je le dis avec toute la douleur du monde". "Jamais on n'est entendue avant qu'il ne soit trop tard, et tout le monde est triste quand on est morte, alors qu'on a donné l'alerte tellement de fois avant", soupire-t-elle encore. L'artiste s'est aussi récemment ouverte sur les violences sexuelles incestueuses qu'elle a subies dans son enfance. Le 24 novembre, elle participe à une action féministe des Femen et du Mouvement de libération des femmes à Paris pour dénoncer les violences faites aux femmes dans le monde. Quelques jours plus tard, elle se produit au concert caritatif "Nos voix pour toutes" organisé par la Fondation des femmes.

Elle porte également un regard critique sur les moyens mis en œuvre dans la lutte contre les violences sexistes, dénonçant une "faillite" de l'Etat. "Il faut des sous, les associations en ont vraiment besoin pour aider les femmes dans leur traversée de cette horreur", plaide-t-elle auprès de l'AFP. A l'image des associations féministes, qui estiment à 2,6 milliards d'euros le budget annuel nécessaire pour lutter efficacement contre ces violences, Lio juge les mesures prises ces dernières années par les gouvernements successifs "insuffisantes". En 2023, l'Etat a dépensé près de 172 millions d'euros pour lutter contre les violences conjugales, et 12,7 millions pour la lutte contre les violences sexuelles hors du couple, selon la Fondation des femmes. 

La chanteuse Lio participe à une action des Femen et du Mouvement de libération des femmes, à Paris, le 24 novembre 2024. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)
La chanteuse Lio participe à une action des Femen et du Mouvement de libération des femmes, à Paris, le 24 novembre 2024. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Plus de sept ans après le début du mouvement #MeToo, Lio mesure le chemin parcouru, et celui qu'il reste à faire. "Les yeux des femmes prennent confiance, s'émeut-elle dans "C à vous". Aujourd'hui, je reçois (des messages) : 'Vous m'avez sauvée', 'Votre prise de parole m'a donné le courage', 'J'ai réussi à partir'." Près de vingt-deux ans après le féminicide de Marie Trintignant, elle regrette que les victimes puissent encore être décrédibilisées. Selon elle, "on en est toujours là" lorsqu'on entend les mots de l'avocat de Gérard Depardieu, jugé pour agressions sexuelles sur deux femmes lors d'un tournage en 2021. La chanteuse fait référence aux attaques répétées de Jérémie Assous lors de l'audience, qualifiant les plaignantes de "menteuses", d'"hystériques" et de femmes "vénales". "Tout bouge et rien ne bouge", observait-elle déjà en 2023 dans une interview à Libération.


Si vous êtes victime de violences conjugales, ou si vous êtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'écoute anonyme, le 3919, joignable gratuitement 24h/24 et 7 jours sur 7. Il est aussi possible d'envoyer un signalement sur une messagerie instantanée. Ce numéro n'est pas un numéro d'urgence comme le 17 (ou le 114 par SMS) qui permet, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie.

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