Portrait Rock en Seine 2025 : Kid Cudi, rappeur américain cabossé et brillant, fait son retour à Saint-Cloud

Quatorze ans après sa dernière apparition sur la scène du festival francilien, le rappeur de Cleveland fait son retour pour remplacer Asap Rocky, avec un onzième album prévu pour le 22 août 2025.

Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Kid Cudi se produit sur scène lors de la soirée FanDuel Super Bowl organisée par Spotify le 9 février 2024 à Las Vegas, dans le Nevada. (DAVID BECKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)
Kid Cudi se produit sur scène lors de la soirée FanDuel Super Bowl organisée par Spotify le 9 février 2024 à Las Vegas, dans le Nevada. (DAVID BECKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Ce devait être A$AP Rocky. Ce sera Kid Cudi. Et Rock en Seine n’y perd pas au change. Le jeudi 21 août, le festival francilien accueille l’homme que ses fans surnomment "le Man on the Moon", rappeur à la fois superstar et outsider, icône fragile et pionnier du hip-hop introspectif. Un remplaçant de luxe, mais surtout une présence qui fait sens : car depuis quinze ans, Kid Cudi incarne un rap qui ne bombe pas le torse, mais parle à voix basse de nuits blanches, de démons intérieurs et d’envies d’ailleurs.

Scott Ramon Seguro Mescudi naît en 1984 à Cleveland, Ohio. Enfance cabossée, un père mort quand il avait 15 ans, un horizon qui s'annonce limité à cause d'un casier judiciaire déjà rempli. Il rêve de cinéma, gratte des textes, tente sa chance à Brooklyn. En 2008, viré par son oncle du magasin dans lequel il travaillait, il écrit Day ’n’ Nite, qu'il envoie sur MySpace, un futur hit mondial. Le morceau file en boucle dans les clubs, se propage sur internet, finit remixé dans toute l’Europe. Succès immédiat. Kanye West l’aperçoit, l’enrôle sur 808s & Heartbreak (2008), un disque clinique et dépressif qui ouvre la voie à un rap plus vulnérable que celui qu'on entend à la fin des années 2000. Le "Kid" y impose déjà sa voix brisée, entre rap et chant, qui deviendra sa marque de fabrique. C’est à ce moment-là qu’apparaît son pseudo : Kid Cudi, où “Kid” traduit son esprit jeune et rêveur, tandis que “Cudi” est tiré de son véritable nom, Scott Mescudi.

En 2009 paraît Man on the Moon: The End of Day. Album concept en forme de trip spatial, saturé de synthés et de confessions. On y entend Pursuit of Happiness, la bande originale du film Projet X, hymne d'une génération. Cudi s’impose comme pionnier : il ose chanter l’angoisse et la mélancolie, quand le rap mainstream préfère l’ostentation.

Kid Cudi ne connaîtra jamais les chiffres d’un Drake ou d'un Kendrick Lamar. Mais son influence est colossale. Travis Scott, Juice WRLD, Post Malone, Lil Uzi Vert : tous revendiquent sa filiation. Sans Cudi, pas de rap "émo", pas de trap planante saturée d’autotune qui donnera plus tard naissance à XXXTentacion ou Lil Peep. Il a montré qu’on pouvait transformer ses failles en hymnes, et ses insomnies en refrains fédérateurs.

De nombreux projets autour de sa santé mentale

Ses disques suivants confirment cette ligne fragile. Man on the Moon II (2010) plonge dans l’obscurité. Indicud (2013) expérimente. Speedin’ Bullet 2 Heaven (2015), tentative punk lo-fi, déconcerte. Mais l’aura reste. En 2018, l’album commun avec Kanye West, Kids See Ghosts, synthétise leur folie douce : psychédélie, spiritualité, rage contenue. Un sommet.

Car la trajectoire de Cudi est indissociable de ses gouffres. Dépressions, séjours en cure, addictions à la cocaïne et à la marijuana avouées comme dans le clip de Cudderisback. En 2016, il entre volontairement en désintox, expliquant "ne plus pouvoir lutter contre ses démons". Loin d’entamer son aura, cette sincérité radicale le rapproche de ses fans, qui voient en lui un miroir de leurs propres fragilités. Kid Cudi devient ce grand frère cabossé qui ose dire tout haut ce que d’autres taisent.

Parallèlement, il multiplie les projets hors musique. Dans le cinéma (Don’t Look Up, X), les séries (Westworld, How to Make It in America), et même l'animation (Entergalactic sur Netflix). Passionné de mode, il fréquente assidûment la Fashion Week parisienne, brouillant les frontières entre musique, image et style.

Le 12 janvier 2024, une statue géante de Kid Cudi a été installée place de la Bourse à Paris pour promouvoir la sortie de son nouvel album Insano. (AMAURY CORNU / Hans Lucas)
Le 12 janvier 2024, une statue géante de Kid Cudi a été installée place de la Bourse à Paris pour promouvoir la sortie de son nouvel album Insano. (AMAURY CORNU / Hans Lucas)

Paris d'ailleurs se souvient encore de son coup d’éclat en janvier 2024. Pour fêter la sortie de Insano, son neuvième album, Kid Cudi s’est offert une statue éphémère haute de dix mètres, installée place de la Bourse. A la nuit tombée, on y voyait le rappeur en démon, bras tendus, tête baissée, yeux rouges lumineux, bouche béante. Quelques heures de gigantisme au cœur de la capitale, avant démontage express. Sur les réseaux, Cudi poste la photo et écrit : "J’adore Paris". Comme un clin d’œil à cette ville qui l’accueille depuis quinze ans, entre shows - dont son premier Rock en Seine en 2011 -, mode et coups de pub. Une image parfaite de l’artiste : mégalo et fragile, géant et éphémère.

Quatorze ans après son premier passage, Kid Cudi revient donc à Rock en Seine. Avec dans ses valises Insano et sa version enrichie (Insano: Nitro Mega), neuvième et dixième albums denses et peuplés d’invités XXL : Travis Scott, Lil Wayne, Wiz Khalifa, Pharrell Williams, Young Thug… Et même A$AP Rocky, qu’il remplace aujourd’hui au pied levé. Ironie du destin. Kid Cudi joue ses dernières cartes.

Le rappeur de Cleveland arrive également avec un petit dernier. Son onzième album studio, prévu pour le 22 août 2025 chez Wicked Awesome et Republic Records. Un disque annoncé comme un virage pop, calibré avec une esthétique léchée et une identité visuelle bien appuyée. Déjà trois éclaireurs : Neverland, Grave et Mr. Miracle, singles taillés pour faire patienter les fidèles. Et pour la promo, Cudi n’a pas fait dans la dentelle : passage obligé chez Jimmy Fallon, où il a interprété Grave en direct, avant de teaser l’arrivée de quelques inédits. Histoire d’entretenir le mystère jusqu’à la grande sortie de l’été.

Alors quand résonnera Pursuit of Happiness dans le parc de Saint-Cloud, il ne s’agira pas seulement d’un tube de festival. Mais du mantra d’un artiste cabossé qui a survécu à ses propres gouffres pour devenir une icône. Kid Cudi en remplaçant ? Certainement pas. Kid Cudi en climax. Comme sa statue parisienne : géant d’un soir, mais gravé dans les mémoires.

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