Festival d'Avignon 2025 : "When I Saw the Sea", l'émancipation dans le Liban sous les bombes

Le chorégraphe libanais Ali Chahrour a inauguré le 79e Festival d’Avignon avec un spectacle poignant sur l'émancipation de femmes de ménage, prises dans les nasses de l'esclavagisme moderne et la voracité de leurs patrons.

Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)
Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Cette année, la langue arabe et la culture arabes sont à l'honneur au 79e Festival d'Avignon. Parmi les créations, When I Saw the Sea. Ali Chahrour donne voix à celles qui sont en sont privées dans ce spectacle global : théâtre, danse, chant… À travers Zena, Tenei et Rania, on entend le récit de nombreuses femmes, abusées jusque dans leur chair par des propriétaires sans scrupules. When I Saw the Sea est aussi un théâtre du réel, documenté. Un théâtre documentaire porté par des comédiennes inspirées, à la présence dense, authentique.

Scène plongée dans le noir, bruits de passages d'avion à basse altitude, une voix au téléphone demande si tout va bien, réponse négative. "Tout ce qu'on a vu sur Gaza, on l'a vécu hier", dit une voix. "Ce serait comme si la guerre civile revenait à nouveau". Ali Chahrour installe sa création dans l'urgence. Une urgence à plusieurs niveaux.

Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)
Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Sur scène, trois femmes, Zena, Tenei et Rania, dépossédées de tout, jusqu'à leur identité, jusqu'à leurs prénoms, transformés par leurs employeurs. Les trois femmes sont des petites mains, des femmes de ménage placées dans des familles aisées. À cause des bombardements israéliens, ces familles quittent le pays, pour Dubaï ou d'autres cieux plus cléments.

Zena, Tenei et Rania sont jetées à la rue. L'une d'elle affirme voir la mer pour la première fois. D'origine éthiopienne, Tenei et Rania veulent échapper à la "kafala", un système qui favorise l'esclavagisme moderne en cours au Liban, et dans d'autres pays du Proche-Orient. Les travailleuses migrantes se voient confisquer leurs passeports dès leur arrivée dans le pays d'accueil par leur "kafil", "tuteur", qui dispose de tous les droits sur elles.

Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)
Scène de "When I Saw the Sea" d'Ali Chahrour. (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Le chorégraphe libanais, grâce à des ONG et des associations d'entraide de travailleurs migrants, a recueilli de nombreux témoignages. Reste à porter sur scène ces vies brisées. Comment transformer ces témoignages en geste chorégraphique ? Sur scène donc, les trois comédiennes évoluent dans un cadre dépouillé et souvent plongé dans le noir. Avec elles, Lynn Adib et Abed Kobeissy, deux musiciens-interprètes qui ont composé les titres spécialement pour cette œuvre protéiforme. Ils chantent le déracinement et la souffrance, l'espoir et l'amour, l'exil et le pays rêvé. Et la détermination d'écrire son propre destin.

Zena, Tenei et Rania sont des héroïnes des temps modernes. De l'intérieur, elles se battent pour en finir avec la Kafala. Plus jamais ça. Et à l'applaudimètre, l'œuvre a trouvé écho auprès du public de La FabricA qui a réservé une très longue ovation aux comédiens.

La fiche

Titre : When I Saw the Sea

Langue : arabe, amharique et anglais

Surtitrage : français et anglais

Durée : 1h10

Mise en scène et chorégraphie : Ali Chahrour

Msique composée et interprétée : Lynn Adib et Abed Kobeissy

Distribution : Tenei Ahmad, Zena Moussa, Rania Jamal et les musiciens Lynn Adib et Abed Kobeissy

Traduction en français : Marianne Noujeim

Lieu : La FabricA, 11 rue Paul Achard, 84000 Avignon, jusqu'au 8 juillet 2025 (complet)

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