Témoignages "Sans nous, on va rater des alertes" : l'inquiétude règne dans les agences de l'Etat menacées de suppression dans le budget 2026

François Bayrou, qui détaille mardi les grandes orientations de son prochain budget, a promis de faire des économies conséquentes sur plusieurs opérateurs de l'Etat, comme l'Institut national de la consommation, l'Agence bio ou l'Ademe.

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Temps de lecture : 7min
Le gouvernement veut fusionner ou supprimer un tiers des agences et opérateurs de l'Etat, dont l'Ademe et l'Institut national de la consommation. (SOPHIE ANIMES / ADOBE / IAN LANGSDON / AFP LUDOVIC MARIN / AFP XOSE BOUZAS / AFP / PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Le gouvernement veut fusionner ou supprimer un tiers des agences et opérateurs de l'Etat, dont l'Ademe et l'Institut national de la consommation. (SOPHIE ANIMES / ADOBE / IAN LANGSDON / AFP LUDOVIC MARIN / AFP XOSE BOUZAS / AFP / PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Depuis quelques mois, les dossiers de financement de producteurs et coopératives sur le bureau de la directrice de l'Agence bio sont au point mort. Comme "les caisses sont vides", Laure Verdeau se heurte à un difficile arbitrage. "Soit on refuse les dossiers, soit on les met en attente et on tranchera pour savoir lesquels on financera à la fin", explique la directrice de cette agence gouvernementale dont l'avenir est plus que menacé. Sauvé in extremis en janvier de la disparition par le gouvernement, après un vote du Sénat, amputé de 15 millions d'euros de budget en mai, cet opérateur de l'Etat, qui finance l'agriculture biologique et participe à la promotion du label bio auprès du grand public, pourrait faire les frais du prochain budget.

Le gouvernement de François Bayrou, qui présente mardi 15 juillet les grandes orientations de son projet de loi de finances pour 2026, veut fusionner ou supprimer un tiers des agences et opérateurs de l'Etat d'ici 2027 afin de réaliser 2 à 3 milliards d'euros d'économies, une petite portion des 40 milliards d'euros d'économies espérés par le Premier ministre l'an prochain. L'Agence bio et l'Institut national de la consommation (INC), qui édite le magazine 60 millions de consommateurs, sont régulièrement cités pour une suppression, alors que des établissements comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pourraient être concernés par une fusion. La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, a ainsi prévenu que l'Etat allait "faire du ménage dans notre organisation, parce que les Français le demandent".

"On nous colle l'image du fonctionnaire un peu planqué"

A l'Agence bio, l'INC ou l'Ademe, les propos autant que les desseins de la ministre ont heurté les différents salariés interrogés par franceinfo. "On nous caricature, on nous colle l'image du fonctionnaire un peu planqué dans un bureau à Paris, qui travaille plus ou moins", déplore Philippe Henry, vice-président de l'Agence bio, qui emploie une vingtaine de salariés. Pierre-Louis Cazaux, syndicaliste SNE-FSU à l'Ademe, y voit de son côté des projets "démentiels" pensés par des dirigeants éloignés du terrain.

Des salariés de l'INC jugent les mesures symboliques et démagogiques, à défaut d'être efficaces. Un cocktail de "méconnaissance et de positionnement idéologique qui voudrait que les services publics ne servent à rien", s'énerve Brigitte, chargée des relations avec les lecteurs de 60 millions de consommateurs. Fin mai, des salariés de l'INC, qui édite depuis 1970 le magazine, ont écrit à Amélie de Montchalin afin d'exprimer leur incompréhension et leur colère. "À l'heure du scandale des eaux minérales, des polluants éternels, de la désinformation, face à des enjeux climatiques capitaux, non et non, madame de Montchalin, nos missions ne sont pas échues", avaient-ils écrit, en référence à des propos de la ministre devant le Sénat.

"On teste chaque année des centaines de produits et de services. On peut s'intéresser aux tisanes, aux outils du quotidien comme des pistolets de massage ou encore aux téléviseurs."

Adrian, journaliste à "60 millions de consommateurs"

à franceinfo

Une mission qui permet parfois de révéler la présence de pesticides dans les couches ou de... crottes de souris dans les tisanes. "On est là pour rendre accessibles aux consommateurs des problématiques complexes" du quotidien, explique Lionel Maugain, journaliste à l'INC et délégué du personnel, qui multiplie les rendez-vous au ministère de l'Economie et à l'Assemblée nationale pour alerter sur la mission de service public qu'exercent l'institut et son magazine.

Des reculs sur l'écologie qui se multiplient

Si l'INC informe, l'Ademe, elle, décarbone l'industrie, participe au déploiement des énergies renouvelables ou encore à la rénovation des bâtiments. Son millier de salariés accompagne des entreprises, des citoyens et des collectivités dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. L'ingénieur Pierre-Louis Cazaux a récemment supervisé deux projets de remplacement de chaufferies au gaz naturel, en y intégrant du bois ou de la géothermie. L'Ademe a aussi popularisé le bilan carbone, par lequel tout le monde jure aujourd'hui.

"On introduit de l'écologie dans la vie de tous les jours", explique le représentant syndical, qui voit un recul écologique derrière les coupes budgétaires. "Ce n'est pas tant à nous qu'à la politique publique de l'environnement que nos détracteurs en veulent. Mais c'est plus facile de nous taper dessus que de dire qu'on ne veut plus faire d'écologie", estime-t-il, alors qu'un rapport du Sénat a conclu, début juillet, que les économies souhaitées par le gouvernement ne pourraient se faire à "missions constantes".

Le vice-président de l'Agence bio, Philippe Henry, compare les récents reculs écologiques (loi Duplomb, suppression annoncée des ZFE) à un "avis de tempête" pour le secteur. "Il n'y a aucune explication, si ce n'est du dogmatisme", juge-t-il au sujet d'une suppression qui pourrait avoir des conséquences sur les producteurs et les coopératives suivis par l'Agence bio (une trentaine de dossiers ont déjà été refusés cette année), tout comme sur l'image de l'agriculture biologique. "Le signal envoyé à toute la filière [145 000 emplois en 2023] est délétère. Il sous-entend qu'au final, le bio n'est pas si important que ça. Et il va aussi empêcher des agriculteurs de se tourner vers le bio ou de soutenir leurs projets."

Des licenciements redoutés

"Actuellement, les bénéficiaires se battent pour obtenir des subventions de l'Ademe. Si on touche à notre budget, certaines collectivités vont abandonner leurs projets ou faire sans nous", estime Pierre-Louis Cazaux. A l'INC, où trois scénarios sont sur la table (suppression de l'opérateur, cession du magazine 60 millions de consommateurs, plan de relance soutenu par les salariés), on s'inquiète des conséquences d'une suppression de l'INC, ou d'une vente du magazine, pour les consommateurs, alors que les coupes budgétaires ont déjà fait baisser les effectifs ces dernières années. "60 millions de consommateurs, ça parle à tout le monde, c'est un bien commun qui fait partie du patrimoine, glisse Alain-Henri, arrivé à l'Institut national de la consommation il y a une trentaine d'années. Sans nous, on va forcément rater des alertes et des informations sur des produits."

La suppression de l'INC pourrait aussi avoir des conséquences humaines, alors que les employés ne sont pas fonctionnaires et que certains dépassent la cinquantaine. "Pour ceux qui sont contractuels, c'est direction Pôle emploi [France Travail]", résume Alain-Henri. A l'Agence bio aussi, la quasi-totalité des salariés n'est pas protégée par le statut de fonctionnaires. Si certains pourraient être redéployés au sein du ministère de l'Agriculture, leur ministère de tutelle, l'hypothèse de licenciements n'est pas impossible.

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