"Le risque, c'est un drame à long terme" : quelles peuvent être les conséquences économiques après la dégradation de la note de la France ?
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L'agence de notation S&P a avancé son calendrier pour abaisser vendredi la note française de AA- ("qualité haute ou bonne") à A+ ("qualité moyenne supérieure"). Un message adressé à la classe politique et aux marchés financiers, dans un contexte d'instabilité durable.
"Un appel à la lucidité, à la responsabilité." C'est en ces termes que le ministre de l'Economie a pris acte de la décision de l'agence S&P Global Ratings (ex-Standard & Poor's) de modifier la note de la dette souveraine de la France de AA- ("qualité haute ou bonne") à A+ ("qualité moyenne supérieure"). "C'est un nuage supplémentaire qui s'ajoute à un bulletin météo déjà assez gris", a concédé Roland Lescure, samedi 18 octobre sur franceinfo, alors que le pays est toujours englué dans une crise politique inédite sous la Ve République.
La surprise ne vient pas tant de cette dégradation, qui était attendue, que du calendrier. Prévue fin novembre, la sanction a été avancée et S&P s'est alignée sur la dégradation déjà prononcée mi-septembre par l'agence Fitch. "Les agences s'octroient ce droit si des événements exceptionnels le nécessitent. S&P a manifestement pensé que la suspension de la réforme des retraites le méritait", explique à franceinfo l'économiste Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management.
"Malgré la présentation cette semaine du projet de budget 2026, l'incertitude sur les finances publiques françaises demeure élevée", affirme S&P, qui figure parmi les trois plus influentes agences de notation, avec Moody's et Fitch. Non seulement S&P estime que l'objectif de ramener le déficit public sous les 3% du PIB en 2029, comme s'y est engagé l'exécutif, "sera plus lent que prévu", mais elle prévoit que "la dette publique brute atteindra 121% du PIB en 2028, contre 112% à la fin de l'année dernière". En cause, "l'approche de l'élection présidentielle de 2027" et l'incertitude politique qui demeure d'ici là pour adopter un budget sans majorité à l'Assemblée. Cette dégradation peut-elle avoir des conséquences concrètes pour l'économie française ?
Un "contexte anxiogène" défavorable pour les taux
"L'agence est en train de souffler sur les braises, car les marchés financiers avaient montré une certaine forme d'apaisement vendredi, avec le rejet de la motion de censure du gouvernement, analyse l'économiste Stéphanie Villers, conseillère au cabinet PwC France. S&P va à contre-courant pour alerter les marchés et la classe politique française." Lundi, les yeux seront braqués sur l'ouverture de la Bourse. Le coup de chaud va-t-il durer ? "Tout dépendra de ce qui sera dit par la classe politique", observe-t-elle.
"Les marchés financiers risquent de vendre de la dette française, ce qui va mécaniquement faire remonter les taux d'intérêt français."
Stéphanie Villers, économisteà franceinfo
Cette dégradation de la note peut en effet se traduire par un alourdissement des intérêts d'emprunt de la France sur ce que l'on appelle le marché de la dette publique. La prime de risque appliquée à la dette française sur dix ans – qui correspond à l'écart (le "spread") entre les coûts d'emprunt de la France et de l'Allemagne, meilleure élève de l'UE avec une note AAA – était pourtant redescendue d'un point. Le taux français était ainsi repassé sous celui de l'Italie, dont la note souveraine appliquée par Fitch est "passable" (BBB+). "Les investisseurs peuvent être tentés de moins souscrire aux obligations françaises, d'autant que l'Allemagne va émettre beaucoup de dette, mieux notée, en raison de son plan de plusieurs centaines de milliards d'euros dans les infrastructures et les dépenses militaires", observe l'économiste Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Epargne.
Mécaniquement, cette remontée des taux d'intérêt de l'Etat français peut se traduire par une remontée des taux appliqués par les banques aux particuliers. Une tendance déjà l'œuvre, selon Philippe Crevel. "Depuis un à deux mois, les taux de crédit immobilier ne baissent plus, voire réaugmentent légèrement, car les banques se refinancent à la fois auprès de la Banque centrale et sur la gestion de la dette publique." En conséquence, les Français risquent de nouveau de différer leurs achats immobiliers.
Si cette tendance se confirme, avec une nouvelle dégradation de la note de la France par l'agence Moody's, dont la décision est attendue le 24 octobre, ce "contexte anxiogène" va également favoriser "l'épargne, l'attentisme et le report des projets d'investissements" de la part des entreprises françaises, poursuit l'économiste. Une situation critique face à la "nécessité de moderniser l'appareil productif avec l'arrivée de l'intelligence artificielle", pointe Stéphanie Villers. "Les entreprises françaises regardent pour investir à l'étranger. Le risque, c'est un drame à long terme, avec des points de croissance en moins, des points d'investissement en moins et des embauches en moins... Un effet de chaîne."
"L'abondance des patrimoines et revenus privés" comme garde-fou
L'agence S&P n'a pas mâché ses mots sur le sérieux de la situation, qualifiant la période de "la plus grave instabilité politique" depuis la fondation de la Ve République en 1958. Si la France n'était pas le meilleur élève européen en matière de rigueur budgétaire, sa force aux yeux des investisseurs et au sein de la zone euro résidait dans "la puissance de ses institutions et la stabilité dans les fondamentaux économiques, relève Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. Cela a explosé avec la dissolution, qui a ouvert la boîte de Pandore, et on ne sait pas comment cela va se terminer."
"Ce ne sont pas les indicateurs économiques de la France qui font basculer les choses, c’est le politique. Et au bout d'un moment, il peut conduire à une dégradation de ces indicateurs."
Mathieu Plane, économisteà franceinfo
"Epargne des ménages, entreprises frileuses, fuite des investisseurs étrangers... Là, vous créez une vraie crise économique", poursuit-il. L'économiste Eric Dor se veut un peu plus optimiste. "Les investisseurs ont confiance en l'abondance des patrimoines et revenus privés en France" et "pensent aussi, à tort ou à raison, que la Banque centrale européenne serait de toute manière obligée de secourir un pays de la zone euro qui aurait des problèmes pour se financer sur les marchés", soulève-t-il.
Il assure que, pour l'heure, "les obligations publiques françaises restent considérées comme une bonne affaire par les traders". Les jours à venir seront en tout cas particulièrement scrutés par les acteurs économiques. D'autant que les débats budgétaires s'annoncent longs et houleux, marqués par l’examen de nombreux amendement des oppositions. Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, s'est engagé à ne pas recourir à l'article 49.3 pour faire adopter son texte.
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