Mesure de justice fiscale ou frein pour l'économie ? L'article à lire pour comprendre le débat sur la taxe Zucman, qui vise les ultrariches

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 12min
Une pancarte appelant à l'instauration de la taxe Zucman, le 18 septembre 2025, à Paris. (FREDERIC PETRY / AFP)
Une pancarte appelant à l'instauration de la taxe Zucman, le 18 septembre 2025, à Paris. (FREDERIC PETRY / AFP)

L'économiste français Gabriel Zucman propose de créer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros. Si cette idée est reprise par la gauche, elle est très critiquée par la droite et le centre et le patronat.

C'est l'un des sujets de conversation de la rentrée politique et sociale. Sur les plateaux de télévision, au Parlement ou dans les manifestations, la taxe Zucman revient dans le débat. Cette mesure, portée par l'économiste français Gabriel Zucman, vise à créer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros. Ses partisans, notamment à gauche, y voient une mesure de justice fiscale, tandis que ses opposants s'inquiètent d'une mesure "confiscatoire" qui entraverait la liberté et la capacité d'investissement des entreprises. Objectif, différence avec les taxes déjà existantes, gains espérés, conformité avec la Constitution... Franceinfo résume le débat sur cette taxe.

En quoi consiste cette taxe ?

Le dispositif, porté par l'économiste Gabriel Zucman et défendu dans un rapport commandé par le G20 en juin 2024, consiste à instaurer un impôt plancher sur les patrimoines des ultrariches. Il vise à s'assurer que les contribuables s'acquittent de l'équivalent de 2% de la valeur de la partie de leur patrimoine excédant les 100 millions d'euros. Cette taxe, qui pourrait concerner environ 1 800 foyers fiscaux en France selon l'économiste, s'appliquerait à l'ensemble du patrimoine du contribuable (financier et immobilier).

Cet impôt est dit "plancher", car il veut garantir une contribution minimum en impôts, c'est-à-dire s'assurer que les contribuables s'acquittent bien de ces 2%. Il est aussi dit "différentiel" parce qu'il se fonde sur la différence entre les impôts déjà acquittés par le contribuable et ce plancher, afin d'éviter une double taxation. Le calcul de cette taxe prend ainsi en compte les sommes déjà acquittées au titre de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), de la contribution sociale généralisée (CSG), des contributions au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR).

Quel est son objectif ?

"La taxation des grandes fortunes constitue à la fois un instrument de stabilité budgétaire et un outil de justice", a estimé l'économiste Gabriel Zucman sur France 2. Pour justifier cette mesure, le professeur d'économie à la Paris School of Economics et à l'université de Californie part d'un double constat : les milliardaires paient proportionnellement moins d'impôts que la moyenne des Français, alors que leurs fortunes augmentent.

Une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP), publiée en juin 2023, démontre que le taux effectif d'imposition des 0,1% les plus fortunés diminue à mesure que l'on grimpe dans l'échelle des revenus : les 0,1% les plus riches sont imposés à 46% de leurs revenus tandis que les 0,0002% les plus riches − les milliardaires − ne paient que 26% de leurs revenus en impôts. Un phénomène qui s'explique par des stratégies d'optimisation fiscale, qui consistent à utiliser des mécanismes légaux pour réduire le montant dû à l'Etat. Dans le même temps, le patrimoine des 500 plus grosses fortunes de France a été multiplié par 14 entre 1996 et 2025, rapporte Challenges.

Quelle est la nouveauté ?

La taxe Zucman diffère de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) – qui concerne les contribuables ayant un revenu fiscal de référence supérieur à 250 000 euros net pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple – ou de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) par son fonctionnement et sa cible. A la différence de l'IFI, qui a remplacé l'impôt sur la fortune et se limite à l'immobilier, la taxe Zucman concerne l'ensemble du patrimoine, y compris les biens professionnels (fonds de commerce, immeubles affectés à l'exploitation, parts de sociétés, etc.). Certains estiment que ce changement majeur en termes de fiscalité peut poser problème en imposant un patrimoine qui n'est pas forcément disponible.

Arthur Mensch, le patron de la start-up française d'intelligence artificielle Mistral AI, a ainsi déclaré sur France 2 qu'il ne pourrait pas payer cette taxe. Son entreprise est valorisée à 11 milliards mais il n'a pas l'argent disponible pour régler ces 2%, puisque sa fortune se compose d'actions, à la valeur volatile par essence, et ne repose pas sur des revenus sur un compte en banque. Gabriel Zucman a convenu qu'il y avait "quelques dizaines de cas où il [allait] falloir réfléchir à des modalités de paiement", pour cette raison "d'illiquidité", c'est-à-dire d'indisponibilité d'argent liquide. Il a proposé que les contribuables concernés paient l'impôt en nature en versant des actions dans un fonds souverain qui serait géré par la banque publique d'investissement Bpifrance.

Le taux de la taxe Zucman (2%) diffère aussi de celui de l'IFI (entre 0,5% et 1,5%), tout comme le plafonnement. Alors que l'IFI est cantonné à 75% du total des revenus du contribuable, la taxe Zucman ne prévoit pas de plafonnement. Enfin, la taxe Zucman vise les ultrariches avec un seuil d'imposition qui se déclenche au-dessus de 100 millions d'euros (1 800 foyers fiscaux) tandis que l'IFI prend effet lorsque le patrimoine immobilier d'un contribuable dépasse 1,3 million d'euros, ce qui concerne 186 000 foyers, selon la Direction générale des finances publiques.

Combien pourrait-elle rapporter ?

Selon Gabriel Zucman, le dispositif pourrait rapporter 20 milliards d'euros à l'Etat chaque année. Mais ce chiffrage, non détaillé, reste contesté. Dans une tribune publiée début septembre dans Le Monde, sept économistes jugent que ce calcul "surestime très largement le rendement effectif" de la taxe. Ils tablent sur des recettes de l'ordre de 5 milliards d'euros annuels, un chiffre bien inférieur qu'ils justifient par les risques d'optimisation et d'exil fiscal.

Leur démonstration se fonde notamment sur un rapport du Conseil d'analyse économique (CAE). L'organe public, qui a publié en juillet une note sur l'exil fiscal à travers plusieurs pays, estime que, pour un euro prélevé mécaniquement, seuls 25 centimes se traduisent en recettes. Une démonstration que conteste Gabriel Zucman. Pour la commission des finances du Sénat, il apparaît difficile d'estimer les recettes de cette taxe. "Aucune autre imposition de ce genre n'existant aujourd'hui, il est possible que les personnes les plus aisées s'exilent pour éviter l'impôt", estiment les sénateurs.

Pourquoi le patronat y est farouchement opposé ?

Les mots forts de Bernard Arnault illustrent l'opposition des grands patrons pour cette taxe "mortelle pour l'économie". Dans The Sunday Times, le PDG du groupe LVMH juge que Gabriel Zucman "présente la situation fiscale française de manière biaisée. (...) Il met au service de son idéologie (qui vise la destruction de l'économie libérale, la seule qui fonctionne pour le bien de tous) une pseudo-compétence universitaire qui elle-même fait largement débat", déclare la plus grande fortune de France.

Le président du Medef, Patrick Martin, y voit lui un "frein à l'investissement" et s'inquiéte dans Le Parisien de la "prise en compte de l'outil de travail dans le calcul du patrimoine". Il redoute même une "une forme de spoliation" pour certaines entreprises de la tech, "qui valent cher mais ne font pas encore de résultats ou ne distribuent pas de dividendes". Le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises, Amir Reza-Tofighi, craint lui une taxation "suicidaire" pour l'économie française.

Pourrait-elle vraiment faire fuir les grandes fortunes ?

Certains observateurs, dont Emmanuel Macron, dénoncent le risque d'un exil fiscal des ultrariches. Le chef de l'Etat a défendu, mi-mai, cette taxe à l'échelle internationale mais pas au niveau national, arguant que si la France la mettait en place seule les plus grosses fortunes s'exileraient. Néanmoins, plusieurs éléments tendent à modérer la crainte d'un tel scénario.

Le rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) explique qu'"une augmentation d'un point de pourcentage de l'imposition effective sur le revenu engendre une expatriation supplémentaire à long terme comprise entre 0,02 et 0,23% des hauts patrimoines français". Ses auteurs avancent également que les plus fortunés sont "moins mobiles" que les autres et qu'ils réagissent à des mesures de taxation par des comportements d'optimisation fiscale plutôt que par des départs. Ils soulignent aussi que l'impact global des hausses d'impôts sur l'économie reste limité.

Pour limiter les risques d'une fuite des capitaux, les défenseurs de la taxe Zucman mettent aussi en avant le dispositif de l'"exit tax". Cette mesure, qui avait été introduite par un amendement à l'Assemblée nationale, permettrait de faire perdurer l'impôt pendant cinq ans après l'arrêt de la domiciliation fiscale en France.

Cette taxe est-elle constitutionnelle ?

A ce stade, les avis des spécialistes de droit constitutionnel et fiscal interrogés par franceinfo divergent. "En soi, cette taxe n'est pas anticonstitutionnelle, mais la nuance réside dans le taux marginal d'imposition [le taux qui s'applique à la tranche la plus élevée des revenus] qui serait appliqué", estime Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public.

Plus que le principe de la taxe, c'est son mode de calcul qui pourrait pousser les Sages à la censurer. L'absence de plafonnement, qui pourrait obliger le contribuable à se séparer d'une partie de son patrimoine pour régler l'impôt, fait dire à certains opposants (dont l'ex-Premier ministre François Bayrou) que la mesure risque d'être confiscatoire.

En 2012, l'impôt de 75% sur la tranche des revenus supérieurs à un million d'euros, décidé par François Hollande, avait été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif qu'il était confiscatoire et rompait l'égalité devant l'impôt. Mais un collectif de juristes et de politistes rappelle, dans une tribune publiée dans Le Monde, qu'une censure de la taxe Zucman par le Conseil constitutionnel "n'a rien d'évident". D'une part, le contexte est différent de 2012. Et d'autre part, "le maintien d'un stock exonéré de 100 millions d'euros" prévient le risque confiscatoire, selon eux.

A-t-elle une chance d'être adoptée ?

Actuellement non. Une proposition de loi portée par les écologistes a bien été adoptée par les députés en février mais elle a été rejetée en juin par le Sénat, la droite et le centre, majoritaires à la chambre haute du Parlement, s'étant opposés à ce dispositif. La ministre des Comptes publics démissionnaire, Amélie de Montchalin, a même évoqué une taxe qui serait "maximalement confiscatoire", donc "anticonstitutionnelle" et "inefficace". Etant donné la composition actuelle de l'Assemblée nationale, la taxe Zucman n'a aucune chance d'être adoptée, même si elle est soutenue par une large partie de la population. Un sondage de l'institut Ifop commandé par le Parti socialiste a récemment révélé que 86% des sondés se déclaraient favorables à cette taxe.

Je n'ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

La taxe Zucman vise à créer un impôt plancher de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros, soit environ 1 800 foyers fiscaux en France. L'économiste Gabriel Zucman voit dans ce dispositif un moyen de rétablir davantage de justice fiscale tout en renflouant les caisses de l'Etat. Mais les gains espérés chaque année – 20 milliards d'euros – sont contestés, tout comme sa conformité vis-à-vis de la Constitution. A l'approche du prochain budget, et alors que la taxation des plus hauts revenus revient dans le débat public, la taxe Zucman a malgré tout peu de chances d'être adoptée puisque le bloc central et la droite y sont opposés, au contraire de la gauche.

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