ArcelorMittal : comment le dossier du géant de la sidérurgie est redevenu éminemment politique

L'exécutif est accusé d'impuissance face à l'annonce de suppression de plus de 600 postes en France par ArcelorMittal. De quoi également inquiéter Bruxelles.

Article rédigé par franceinfo
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Le site industriel d'ArcelorMittal à Dunkerque. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)
Le site industriel d'ArcelorMittal à Dunkerque. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

En meeting à Narbonne, jeudi 1er mai, Marine Le Pen a agité le spectre d'une "saignée sociale" et accusé le gouvernement de mentir en tentant de faire croire à la réindustrialisation du pays. La gauche, elle, accuse le gouvernement de s'être fait berner par le géant de la sidérurgie en accordant sans contrepartie des aides publiques et demande une nationalisation.

Le dossier ArcelorMittal - 634 suppressions de postes annoncées en France par le géant de la sidérurgie - devient politique. Tout le défi pour le gouvernement, c'est de contrer l'accusation d'impuissance.

La nationalisation, une solution "démagogique" selon Bercy

Nationaliser Arcelor, "mauvaise solution", répond le ministre de l'Industrie Marc Ferracci. "Démagogique", évacue Bercy en coulisse : "À quoi bon placer une usine dans le formol qui resterait incapable d'écouler sa production. Ce serait transformer le parc industriel en parc d'attractions", juge une source ministérielle.

Le gouvernement ne semble pas vouloir engager de bras de fer. Des échanges que franceinfo a pu voir avec les cabinets des ministres concernés, et jusqu'à Matignon qui suit de près le dossier, ce n'est pas du tout le vocabulaire employé, ni l'optique dans laquelle se place l'exécutif. L'entourage de François Bayrou estime que "taper du poing sur la table" ne fera rien avancer. Autour du premier ministre, on ne veut pas parler de rapport de force avec la direction d'ArcelorMittal. "Si une entreprise pense qu'il faut réduire la voilure, on ne peut pas lui demander de rester figée, ce serait idiot", juge une source ministérielle rompue aux questions économiques.

Pour l'exécutif, il y a deux sujets distincts : les suppressions de postes annoncées la semaine dernière  d'abord. "Peu probable qu'Arcelor revienne dessus. On va suivre de près le reclassement des salariés concernés", dit-on déjà en coulisse. Le deuxième sujet, c'est ce qu'un élu local de premier plan appelle déjà le "risque de cascade" : le risque qui pèse sur toute la filière acier, donc de voir les sites fermer et la France perdre son outil industriel. Et c'est cela l'urgence pour le gouvernement.

Les élus locaux constatent "une peur de l'avenir" 

"On sent une colère, et on sent surtout une crainte (...) une peur de l'avenir", explique pour sa part Patrice Vergriete, maire de Dunkerque, au micro de franceinfo, vendredi. Pour l'élu local et ancien ministre, "la question principale, c'est d'abord de clarifier les positions". Il rappelle que l'Union européenne "s'est enfin engagée dans un plan acier européen, que tout le monde reconnaît comme extrêmement positif".

Un plan que "les industriels, et en premier lieu ArcelorMittal, ont applaudi". Bémol, "son calendrier de mise en œuvre qui est fortement étalé". Il défend donc l'idée, avec Xavier Bertrand le président de la région Hauts-de-France, "de faire une réunion au plus haut niveau avec Stéphane Séjourné, le commissaire européen, ArcelorMittal, les élus locaux, l'État et les représentants du personnel, et que chacun annonce clairement les choses". Il exige également des annonces sur le calendrier de la part de l'Union européenne, et du côté d'ArcelorMittal, "s'il considère que ce plan acier est adapté pour pouvoir investir en Europe".

Des discussions au niveau européen

Pour l'exécutif, c'est en effet au niveau européen que tout se joue. Protéger l'acier français, c'est d'abord protéger le marché de l'UE. Plus de quotas, plus de taxes sur les importations... "Les solutions, je suis en train de les construire", plaide le ministre. Marc Ferracci a rendez-vous, lundi 5 mai, avec Stéphane Séjourné, le commissaire européen chargé de la Stratégie industrielle. Il s'agit d'avancer sur le dossier et mieux protéger le secteur de l'acier en difficulté face à la concurrence chinoise, a fait savoir l'entourage du ministre au service politique de franceinfo, vendredi.

La gauche faisait pression à Dunkerque. Le ministre de l'Industrie ne s'y rendra pas pour le moment, même s'il assure être conscient de l'angoisse des salariés. Marc Ferracci attend d'avoir des annonces à faire. Le problème, c'est qu'il le reconnaît lui-même : "Tout cela ne se fait pas d'un claquement doigts".

Le nerf de la guerre pour l'exécutif est de convaincre le géant mondial de l'industrie que cela vaut le coup de continuer de produire en Europe, et en particulier en France un acier décarboné. L'exécutif veut convaincre que la production peut être rentable, et plus compétitive face à la concurrence chinoise notamment. L'Union européenne a prévu des mesures, ce qu'on appelle le "plan Acier 2026" pour mieux protéger sa production et son marché.

L'objectif est de pousser l'Europe à accélérer, à aller plus loin et plus vite. Du côté du gouvernement, l'idée de mettre sous tutelle ou de nationaliser n'est donc pas à l'ordre du jour. Pas question, donc, de répondre en se précipitant sur place. "Y aller pour se lamenter ou passer la pommade, ça ne les intéresse pas les salariés", dit un collaborateur du ministre de l'Industrie. "On bosse, on sort des choses concrètes et on ira après".

Des mesures pour tenter de protéger le marché européen

L'une de ces mesures porte sur la protection du marché européen, face à l'afflux d'acier à bas coût en provenance notamment de Chine. Une clause de sauvegarde a été introduite sans tarder le 1er avril. Elle est censée se prolonger jusqu'à mi-2026, ce qui laisse largement le temps d'inventer un mécanisme pour la remplacer d'ici là.

D'autres axes du "plan Acier 2026" prennent, en revanche, plus de temps, concède la commission. Mais comment peut-il en être autrement ? L'énergie à bas coût, dont ArcelorMittal semble faire un préalable pour électrifier ses hauts fourneaux. Les réacteurs, notamment nucléaires, ne se construisent pas en un claquement de doigts. Quant à la relance des commandes industrielles de secteurs très gourmands en acier, comme l'automobile, encore faudrait-il que leurs ventes repartent à la hausse… Ce qui n'est pas la tendance actuelle du marché européen.

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